Le web grogne sur le web Les salariés d'Amazon.com, libraire-disquaire en ligne, y critiquent, hors syndicat, leurs conditions de travail. Le 29 novembre 1999 |
«Nous voulons constituer un groupe qui puisse expliquer à la direction ce que nous attendons d'elle.» Les salariés d'Amazon.com |
Elles ont du cran, les petites mains d'Amazon.com. Dissimulées derrière les pages web du célèbre libraire-disquaire en ligne, elles ne font d'ordinaire jamais parler d'elles. Sauf qu'elles en ont marre de leurs conditions de travail. Et ont choisi le Web pour les dénoncer. Pas sur le site de l'entreprise bien sûr, mais sur celui de WashTech (pour Washington Alliance of Technology Workers) (1). Celui-ci se veut un porte-parole de la main-d'œuvre dans l'informatique. Pas vraiment un syndicat, le secteur en est culturellement assez éloigné. Mais une sorte de vaste association d'employés. C'est tout l'intérêt de ces nouvelles formes d'organisations, prendre des allures de laboratoire expérimental. Les jeunes salariés du secteur ont une revendication commune: prendre part aux décisions de leur employeur, s'asseoir à sa table. Et s'estiment d'autant plus fondés à le faire qu'ils possèdent souvent des stock-options. Actionnaires de leur entreprise et donc un peu propriétaires de la maison. Depuis quelques mois, la contestation s'organise dans la high-tech (Libération du 22/11). Tout n'est pas rose dans les start-up, les revendications se multiplient. Les commerciaux d'Amazon.com sont de la partie. Leur profil est assez emblématique d'une nouvelle génération de salariés qui choisissent leur outil de travail, l'informatique, pour faire connaître leur existence. Sur le Web, les salariés d'Amazon.com publient les résultats d'une étude de satisfaction qu'ils ont menée dans leurs rangs. 90 personnes y ont répondu. La majorité a entre 22 et 25 ans, 20 % seulement ont 30 ans et plus. Ils apprécient le côté décontracté de l'entreprise, sans code vestimentaire. Leur lieu de travail, c'est un centre d'appels multimédia, comme il en fleurit un peu partout. Ils sont au minimum bacheliers, ce qui leur fait dire: «En ayant intentionnellement embauché des gens intelligents et éduqués, la direction doit s'attendre à ce que nous exigions d'avoir voix au chapitre en ce qui concerne nos vies professionnelles et les compensations financières qui vont avec.» Là, ça coince. 73 % estiment que sans faire d'heures supplémentaires, ils ne peuvent pas boucler leur fin de mois. Mais 54 % considèrent que les heures sup affectent leur santé et leur bien-être. Ils gagnent en moyenne 2 800 francs par semaine (environ 40 heures). C'est peu rapporté au coût de la vie à Seattle. Et les stock-options, soulignent-ils à juste titre, ne paient pas tout de suite. Mal payés, ils se disent aussi frustrés : 81 % se sentent trop qualifiés pour leur boulot, 58 % estiment que leurs compétences sont sous-utilisées. Méfiants à l'égard des organisations traditionnelles, les instigateurs de l'étude précisent: «Ce n'est pas un canular maquillé par un quelconque syndicat essayant de recruter des membres. Ca, c'est un cliché digne d'Hollywood. Personne ne s'infiltre, nous sommes déjà dans la place.» Et pour cause. Les initiateurs ont tous au moins un an d'ancienneté et «connaissent le boulot». De liens en liens, ils expliquent à l'internaute la nature de leur relation avec Wash Tech. Où l'on apprend que l'association des employés de l'informatique de l'Etat de Washington est une branche du CWA (Communications Workers of America) qui représente 150 000 employés des services. Les commerciaux d'Amazon.com tiennent à marquer leur indépendance, avec leurs références : «Chez Wash Tech ou au CWA, personne ne nous manipule. Bien sûr, parfois, le président du CWA apparaît dans un nuage de fumée et tente d'acheter nos esprits à la manière de Devil Flanders des Simpsons, mais on a toujours moyen de manœuvrer.» Leur ambition n'est pas de créer un syndicat à demeure, mais de constituer «un groupe qui puisse expliquer à la direction ce que nous attendons d'elle. Les changements n'arriveront pas en discutant individuellement»... En marge des résultats de l'étude, ils multiplient les témoignages, critiquent le management. L'un d'eux expose: «Il y a deux façons de faire pour une société comme Amazon.com: payer des salaires décents, offrir des évolutions de postes et avoir peu de turn-over. Ou alors, choisir la voie du centre d'appels classique où les gens sont sous-payés, n'ont aucune chance d'évoluer, recruter aux ras des pâquerettes et connaître un fort turn-over. Les deux façons fonctionnent et font gagner de l'argent à l'entreprise. La différence, c'est qu'un des modèles est bon pour l'employé, l'autre pas.» Les tâcherons d'Amazon.com entendent bien imposer le leur. MARIE-JOELLE GROS |