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Le verrouillage de la Toile mon diale est en cours

La mainmise des câblo-opérateurs et des télécoms sur l'accès au haut débit fait craindre le pire pour l'avenir du Net. D'où le combat acharné mené par les avocats du libre accès.

The Progressive
Madison (Wisconsin)


A qui appartient Internet ? Si vous pensez que la réponse est "personne", vous avez raison, pour l'instant. C'est d'ailleurs pour cela que la Toile a été une innovation aussi étonnante qui a pu prospérer avec tant d'énergie dès le départ. Mais cette époque pionnière risque fort de mal se terminer, et ce de façon malheureusement trop classique : les grandes entreprises domestiquent un phénomène chaotique et expérimental et en font une source de profits toujours juteuse, bien propre et bien rangée.
Les méchants de l'histoire, ceux qui veulent mettre des barbelés autour de la cyberprairie, ce sont les câblo-opérateurs, entraînés par les géants des communications comme AT&T. Car ils ont aujourd'hui ce qui fait envie à nombre d'entre nous : des services sur Internet à haut débit. Mais ils ont bien l'intention de nous les faire payer, et plusieurs fois si possible. Les enjeux se sont considérablement multipliés depuis que le principal prestataire d'accès à Internet, America Online (AOL), a annoncé sa fusion avec Time Warner, le 10 janvier dernier.
Et aujourd'hui, le combat porte sur l'accès ou non à ce haut débit. Quiconque connaît le Net l'attend avec impatience. Et les câblo-opérateurs seraient ravis de vous le fournir. Mais ils veulent contrôler l'usage que vous en ferez et qui vous contacterez, et ce en vous faisant payer pour ce privilège. Jusqu'à l'annonce de la fusion, AOL était l'un des leaders de la bataille pour la liberté d'accès. Mais avec son mariage, America Online pourrait changer d'attitude. Time Warner est d'une part propriétaire de chaînes de télévision, de studios de cinéma, de revues, de majors de la musique et est d'autre part le deuxième plus grand câblo-opérateur aux Etats-Unis. "AOL a profité du principe de l'accès ouvert et en profite encore", déclare Andrew Schwartzman, patron de Media Access Project, cabinet de conseil juridique de Washington spécialisé dans la défense de l'intérêt du public. "Mais il est toujours tentant d'exercer un monopole. Nous espérons cependant que le modèle ouvert prévaudra." Ce genre de rapprochements, en fin de compte, menace la liberté d'accès à Internet. Car si vous voulez accéder à des services à haut débit, les câblo-opérateurs vous aiguilleront vers leurs propres prestataires, comme Excite@Home pour AT&T. Les câblo-opérateurs veulent pouvoir déterminer la vitesse à laquelle les utilisateurs pourront envoyer ou recevoir des données, et Cisco Systems, fabricant de matériel pour Internet, leur vend déjà l'équipement nécessaire. AT&T, par exemple, ne vous accordera pas plus de dix minutes à la fois pour regarder une vidéo via Excite@Home.
internet risque de perdre sa raison d'être
Un problème plus grave encore risque de se faire jour : l'annihilation de toute ouverture, politique, sociale, économique, avant même qu'elle ait pu être envisagée. Si on laisse les câblo-opérateurs dicter leur loi sur le haut débit, le visage du Net sera très différent à l'avenir. "La raison pour laquelle Internet a été un tel moteur de créativité et de croissance est liée à sa conception, à son architecture", constatait Lawrence Lessig, qui enseigne le droit à Harvard, lors d'une conférence tenue à la fin du mois de décembre à Washington par des défenseurs des consommateurs. Le dernier livre de Lessig, Code and Other Laws of Cyberspace [Le code et autres lois du cyberespace, éd. Basic Books, 1999], explique le lien entre cette architecture et la politique. La fermeture des prestations d'accès ne pourra que décourager les transactions non rémunératrices. Internet a été développé par des chercheurs pour qu'ils puissent travailler ensemble facilement et à bas prix, et est donc ouvert à toute utilisation par n'importe quel utilisateur. Le Net, finalement, n'est rien d'autre qu'un ensemble d'accords publics et ouverts entre des ordinateurs portant sur la façon d'avoir accès aux codes les uns des autres. N'importe quel ordinateur peut utiliser le même logiciel simple pour "dialoguer" avec n'importe quel autre, en envoyant des blocs de données numérisées par les lignes téléphoniques. Tant que votre machine sait comment parler à toutes les autres machines et tant qu'elle dispose d'un chemin pour transmettre ses informations, vous êtes un élément du réseau. Vous êtes sur le Net. Vous ETES le Net. Ce sont les utilisateurs qui font le Net, et le système évolue avec eux.
Quand la grande majorité des informations était sous la forme de texte simple, les lignes téléphoniques fonctionnaient parfaitement pour permettre à des utilisateurs ordinaires de se raccorder. La voix prend dix fois plus de place que les données, ce n'était donc pas la place qui manquait. "Nous avons eu de la chance. L'écosystème d'Internet tel que nous le connaissons n'a pas besoin de grands efforts de conception", poursuit Lessig. Mais les images, surtout les images animées, nécessitent des espaces gargantuesques une fois encodées numériquement, et les énormes blocs de données qu'elles envoient engorgent tout le système.
L'étape suivante du Net ne peut donc se permettre d'avoir recours au réseau existant. Il faut la construire. Et le mode de construction choisi déterminera l'usage que l'on en fera et pourquoi. AT&T veut développer le système afin de pouvoir contrôler la technologie, en limitant l'accès dès le départ. Le haut débit n'est pas exclusivement le domaine réservé des câblo-opérateurs. En fait, les compagnies de téléphone locales développent ce que l'on appelle des services DSL (pour ligne numérique par abonnement) - transmissions accélérées de données sur les lignes téléphoniques. Légalement, elles sont tenues de rendre leurs systèmes disponibles à quiconque veut offrir des services DSL. Mais elles sont à la traîne dans le domaine des services Internet rapides parce qu'elles ne sont pas plus pressées de prêter le flanc à la concurrence que les câblo-opérateurs, et ce en partie à cause du coût de la pose de nouveaux câbles. Les câblo-opérateurs, qui ne sont pas obligés par la loi de partager leurs infrastructures, ont affirmé aux décideurs politiques qu'ils avaient engagé des dépenses considérables pour ces systèmes et qu'ils ne voyaient pas pourquoi ils devraient en ouvrir gratuitement l'accès. Selon les termes de Daniel Somers, nouveau directeur de la division câble d'AT&T, la société n'a pas dépensé 56 milliards de dollars [365 milliards de FF] sur le câble "pour se faire saigner à blanc".
le soutien au libre accès assurera l'avenir du net
Si la porte reste ouverte aujourd'hui, on peut se demander pour combien de temps encore. La réponse dépend en partie du destin de la fusion entre AOL et Time Warner. "Jusqu'à présent, AOL était l'un des principaux partisans du libre accès", commente Erik Sten, responsable du dossier Internet à la municipalité de Portland. "Je crains qu'il ne lâche considérablement la bride maintenant. Cette fusion est franchement inquiétante pour les gens qui défendent l'idée du libre accès." Mais la fusion n'est pas encore acquise, car elle dépend des responsables fédéraux de la réglementation, qui pourront exiger la mise en place d'une politique sur le libre accès.
AT&T, pour sa part, tient partiellement la clé de l'énigme. La société pourrait elle-même adhérer à ce principe. Conséquence des pressions des responsables de la réglementation et des activistes, AT&T a signé l'an dernier un accord de principe avec MindSpring, important prestataire d'accès, en vertu duquel AT&T autorisait le libre accès à son réseau à haut débit à Seattle. Accord dénigré par les partisans du libre accès simplement parce qu'il montre que quiconque sait plaire au gardien du portail peut parvenir à un accord. "Cet accord ne va pas assez loin", estime Ron Sims, un des avocats du libre accès à Seattle. "Au moins, ils ne peuvent plus raconter que le libre accès est techniquement infaisable ou qu'ils ne peuvent se permettre de le mettre en oeuvre."
La Federal Communications Commission (FCC), chargée de la régulation sur le réseau, a le pouvoir de décider si le câble doit libéraliser son accès et elle a maintenant une nouvelle occasion de conseiller la Federal Trade Commission et le ministère de la Justice à propos de la fusion entre AOL et Time Warner. Mais elle a malheureusement refusé de prendre une décision dans le cas d'AT&T, préférant adopter une attitude d' "attente attentive", pour reprendre les termes de son président, Bill Kennard.
"Le problème de cette position d'attente, lâche Lessig, c'est qu'en ne soutenant pas le libre accès on appuie ceux qui veulent le limiter." Et si le secteur du câble réussit à créer ses systèmes fermés, il deviendra coûteux, voire impossible, de les ouvrir ultérieurement ou de faire prospérer une innovation étouffée dans l'oeuf. Or le message simple qui doit être tenu aux responsables de la FCC est le suivant : protégeons ce que nous avons, et veillez à ce que nous puissions le développer. Que le libre accès devienne la base de tout accord commercial du secteur.



Pat Aufderheide


Courrier International
10/02/2000, Numero 484

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