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Les autres jours
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Jean-Claude Bouillet, Bouygues Télécom
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près quatre
semaines de négociation marathon, les 186 pays réunis à Istanbul ont fini
par s'entendre. Ils n'avaient pas le choix. Enjeu de la conférence :
le partage à l'échelle planétaire du spectre des fréquences. Sans accord
parfait, les émissions de télé des uns brouillent les conversations
téléphoniques des autres, les pilotes dans les cockpits captent, contre
leur gré, les émissions des satellites géostationnaires, tandis que des
projets comme l'UMTS (la téléphonie mobile à haut débit) sont condamnés
par avance... Voilà pourquoi, tous les trois ans, tous les pays du monde
se donnent rendez-vous, condamnés à s'entendre.
Ressource finie. Plus les années passent et plus les discussions
sont ardues. Car le spectre des fréquences, qui s'étale de quelques
kilohertz à quelques dizaines de gigahertz (un gigahertz = un million de
kilohertz), n'a plus de trous (voir schéma).
Chaque bande est affectée à un, voire à plusieurs usages. La société de
l'information est grosse dévoreuse de fréquences, tandis que les besoins
de l'homme nomade, à l'horizon de quelques années, semblent illimités.
Mais les fréquences, sorte de couloirs que les signaux radio empruntent,
sont une ressource finie. Un peu comme s'il fallait se débrouiller pour
écouler sur le réseau d'autoroutes un trafic de plus en plus hétéroclite
(de la charrette à bras à la Formule 1) et en croissance exponentielle.
Certes, «on peut faire encore quelques progrès pour optimiser l'emploi
du spectre. On peut essayer aussi de "monter" dans le spectre des
fréquences, explique Jean-Claude Bouillet, spécialiste de ces
questions chez Bouygues Télécom. Mais il n'y a pas de "terra
incognita".» Dommage, parce que s'il est rare que des usages
disparaissent, les nouveaux projets, eux, se bousculent au portillon.
Au programme de la conférence, un certain nombre de casse-tête
recouvrant des enjeux énormes. D'abord la téléphonie mobile, notamment
celle du futur, dite de troisième génération, dont l'UMTS. Cette norme de
téléphonie n'est pas encore en service en Europe, que les «fréquenciers»,
spécialistes hyperpointus des ondes radio, s'inquiétaient déjà de manquer
de place.
Après le traité signé vendredi, les opérateurs ont toute raison d'être
satisfaits. Trois bandes «additionnelles» ont été
«identifiées», et donc réservées d'office, en quelque sorte, pour
cette norme à compter de 2003. Mieux ces bandes seront les mêmes pour tous
les pays. Ce qui n'est pas le cas aujourd'hui pour le GSM, créant aux
Européens en voyage - notamment aux Etats-Unis - des difficultés pour
utiliser leur mobile.
Même satisfaction à propos des systèmes de positionnement par
satellite. Jusqu'à présent les Américains détenaient d'une certaine
manière le monopole, avec leur système GPS (Global Positioning System),
sous la coupe des militaires, et qui permet de se localiser sur terre à
quelques dizaines de mètres près. L'Europe s'est mobilisée, imaginant
Galileo, un système alternatif, soutenu par la Commission de Bruxelles. Il
lui manquait toutefois quelques assurances, côté fréquences. Galileo les a
obtenues à Istanbul.
Partage. Les satellites spécialisés dans l'Internet à haut
débit, couraient eux aussi après une «petite» place dans le spectre.
Skybridge, l'énorme projet piloté par Alcatel (45 milliards de francs), se
voyait bien émettant dans la bande des 10 à 18 gigahertz, dite encore KU.
La conférence de 1997 lui avait donné des espoirs, restait à transformer
l'essai. Appuyé par les fréquenciers, Skybridge a réussi à démontrer
«qu'on pouvait partager cette bande entre plusieurs applications, sans
pour autant brouiller les systèmes existants», raconte Mark MacGann,
vice-président de Skybridge, satisfait que l'Europe ait emporté le
morceau, après «trois ans d'études techniques et de lobbying à
l'échelle mondiale».
Autre sujet épineux, la revendication des pays arabes et africains,
réclamant leur part du ciel pour la radiodiffusion par satellite de
programmes de télévision. Ils disposaient déjà de cinq canaux, en
réclamaient dix, ont insisté et les ont obtenus (lire ci-contre). Le reste
du monde a dû se serrer sur des orbites déjà suroccupées.
Déménagements. De l'avis général, la conférence d'Istanbul s'est
bien passée. La responsable de la délégation américaine, Gail Shoettler,
promue au rang d'ambassadeur pour le temps de la conférence afin d'avoir
le grade requis pour signer le traité final, se disait, quelques jours
avant l'issue, «satisfaite à propos des satellites, géo et non
géostationnaires», et «assez satisfaite, à propos de l'IMT 2000
(qui englobe l'UMTS, ndlr), la téléphonie de 3e génération».
Mais elle faisait remarquer que «de nombreux pays ont beaucoup à dire
sur cet accord. Certains ont des préférences qu'ils n'ont pas encore
exprimées», laissant percer une pointe de désenchantement.
La semaine prochaine, à Istanbul, avant de se séparer, les délégations
vont plancher à nouveau. Pour préparer la conférence de 2003. Car ces
choses-là se préparent très à l'avance: les occupants de certaines bandes
de fréquences doivent savoir s'ils doivent déménager et quand. France
Télécom sait déjà, par exemple, qu'à l'échéance 2005, il devra avoir
libéré un petit coin du spectre pour donner plus de place à la star du
moment, l'UMTS, la téléphonie du futur.
Par |
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ongtemps,
les conférences mondiales de radiocommunication se sont résumées à un
face-à-face URSS-USA. «Le reste du monde se partageait les
miettes», explique Jean-Claude Bouillet, directeur des fréquences chez
Bouygues Télécom et vieux routier de ce type de conférence. Aujourd'hui,
changement de registre. «Le match se joue entre les Etats-Unis et
l'Europe.» Et il tourne à la guerre économique. Au sein de la
délégation française (143 personnes, la plus importante en nombre derrière
les Américains), on cachait difficilement le sentiment, alors que le
traité n'était pas encore bouclé, que l'Europe, à Istanbul, avait gagné.
A la racine du succès européen, d'abord, une organisation minutieuse.
Dans l'immense salle en bordure de Bosphore construite tout exprès par les
Istanbuliotes, chaque délégation dispose d'une pancarte, et donc d'une
voix. Saint-Marin y côtoie le Tadjikistan, Tuvalu jouxte le Vatican, et le
Kiribati, l'ex-république yougoslave de Macédoine. L'Europe a compris
qu'il fallait avancer groupée. Solidement structurée au sein de la Cept
(Conférence européenne des postes et télécommunications), l'Europe - au
sens continental du terme - dispose à elle seule d'un gros paquet de 43
voix. Fin mars, la Cept s'était donné rendez-vous avant l'heure à
Istanbul, histoire de repérer les lieux et surtout d'affûter ses
arguments. «Notre force, explique François Rancy, le chef adjoint
de la délégation française: une très grande variété des pays, donc des
intérêts très divergents. Nos consensus en sont d'autant plus forts.»
Le choc des cultures tourne aujourd'hui à l'avantage de l'Europe. Les
Américains appliquent à cette matière les mêmes recettes qui prévalent
dans les autres secteurs économiques: «Pas d'objectif en matière
d'harmonisation mondiale. Priorité donnée à l'innovation technologique. Et
que le meilleur gagne...», résume Véronique Rebecchi, de France
Télécom. Résultat: des positions américaines moins fortes, assorties d'une
certaine légèreté dans le respect des décisions. Pensez: «Ils ont mis
du PCS [le standard américain courant de téléphonie mobile] dans la
bande qui avait été préréservée dès 1997 pour le téléphone mobile de
troisième génération», s'indigne-t-on dans les rangs de la délégation
française.
Alors que la France, et derrière elle toute l'Europe, prône une
utilisation efficace du spectre, fondée sur le partage, les Etats-Unis
préfèrent segmenter leur bande, c'est-à-dire la débiter par tronçons et la
vendre aux opérateurs. Ils pratiquent une stratégie «fondée sur
l'exclusion des autres projets, le refus du partage et contre la
concurrence étrangère...», dénonce François Rancy, commentant le tir
de barrage des Américains pour tenter de bloquer Galileo, le projet
européen de positionnement par satellite, concurrent du leur, le GPS.
Dans cette bipolarisation de la conférence, le reste du monde est
parfois en position d'arbitre. A Istanbul, les pays arabes et africains
ont joué leur va-tout. Inquiets de voir les orbites au-dessus de leur tête
se peupler tous les jours de nouveaux satellites de radiodiffusion, ils
ont revendiqué avec force davantage de place, dix canaux au lieu des cinq
qui leur sont réservés aujourd'hui. «On a compris, juste avant
que ne débute la conférence, qu'ils allaient tout faire capoter s'ils
n'étaient pas servis.»
Traduisez: pourrir la conférence en s'opposant systématiquement
aux propositions, analyse Jean-Claude Guiguet, président de l'Agence
nationale des fréquences, l'institution qui fédère les intérêts civils,
militaires, scientifiques et de service public français. Branle-bas de
combat 48 heures avant l'ouverture de la conférence, programmée pour le
lundi 8 mai au matin. La France joue les entremetteurs avec le Maroc, tête
de file de la revendication. Le deal est conclu sur le fil, le dimanche
soir: soutien sans faille de la Cept pour l'obtention des dix canaux, en
échange de l'appui des Africains et des Arabes sur toutes les positions
des Européens. Avant même d'avoir commencé, la conférence était pliée....
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