L'extase du sénateur dans le saint des saints En 1982, une mission dirigée par Henri Caillavet revenait éblouie de l'Utah. Par KARL LASKE Le mardi 22 août 2000 |
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alt Lake City (Utah), 1 982. Un responsable
mormon se tourne vers le sénateur Henri Caillavet, en mission pour la
Commission nationale informatique et liberté (Cnil). «Je crois pouvoir
vous dire que votre grand-père est baptisé mormon.» Surprise de
Caillavet: «Je l'ignorais.» «Eh bien lui, il est dans l'au-delà,
et il le sait», répond le mormon. Le sénateur, chargé d'une enquête
sur le fichier de la société généalogique de l'Eglise de Jésus-Christ des
saints des derniers jours, n'est pas choqué. Les mormons, il connaît
depuis longtemps: l'Eglise lui a fourni des actes royaux concernant sa
famille. Il a vu les mormons photographier des registres d'état-civil dans
les années 60 (1), et connaît l'existence des baptêmes collectifs.
La caverne d'Ali Baba. A Salt Lake City, Caillavet est accueilli à bras ouverts. «J'ai déjeuné avec huit apôtres», se souvient-il. Il visite notamment la bibliothèque de l'Eglise où sont gardées les bobines de microfiches, un bunker creusé à 200 mètres de fond, sous la montagne. «C'est une caverne d'Ali Baba, s'extasie Caillavet. Il doit y avoir 2 à 3 kilomètres d'archives. Les fichiers reposent sous une mer intérieure, une nappe d'eau qui empêche toute rupture en cas de problème sismique. Comme dans un film.» Deux zones d'archivages sont délimitées, l'une pour le classement géographique, l'autre pour l'alphabétique. «Il y avait des fichiers auxquels je n'ai pas eu accès», admet le sénateur. Caillavet revient des Etats-Unis ébloui. «Les mormons veulent sauver tous les hommes depuis le début de l'humanité, c'est la seule religion qui fonctionne aussi en marche arrière», écrit-il dans son rapport. Il explique que les mormons ont entrepris «la généalogie de toute l'humanité». Le projet est «apparemment dément»: «Cette réserve de 18 milliards de noms qui s'accroît chaque jour (2) sert maintenant à alimenter un ordinateur qui distribue aux temples mormons répartis à travers le monde la liste des morts à baptiser. Comme ces baptêmes ont lieu par procuration et immersion, les mormons ont aujourd'hui un problème d'embouteillage.» Registres d'hôpitaux. La mission Caillavet se déroule à l'heure des premières objections, notamment sur le fait que les mormons ont microfilmé les fichiers des déserteurs ou les registres d'hôpitaux. La Cnil donne néanmoins son feu vert à un nouvel accord. Jean Favier, qui dirigeait les Archives de France, a participé aux négociations. Elles portaient sur deux points: l'amélioration de la qualité des microfilms que leur remettait l'église, et le réexamen de leur programme informatique. «Nous avons demandé sa modification pour empêcher tout recoupement tendancieux des fichiers, explique l'ancien directeur des Archives. Le croisement des fichiers leur était ainsi interdit. Le problème religieux est lié à l'histoire récente et à la Shoah. Il n'était pas question qu'ils fassent des fichiers religieux.» Le contrat entre l'église et les archives le stipule expressément. Il prévoit aussi que la diffusion des archives se fera sous contrôle, alors qu'elle est désormais en ligne. Pour défendre son pacte avec les mormons, l'ancien directeur des Archives de France fait valoir que «rien n'interdisait légalement aux mormons de prendre en note ces fichiers à la main». Mais sans l'autorisation de microfilmer, ils n'auraient jamais pu centraliser toutes les données. Aujourd'hui, tous les négociateurs de l'accord de 1987 l'admettent, le Net a bouleversé la donne. «Quand j'y suis allé, la cage était fermée, aujourd'hui elle est ouverte» conclut Henri Caillavet.
(1) Un premier accord avec le ministère de la Culture avait été conclu en octobre 1960. (2) Aujourd'hui, l'estimation des mormons sur leur archivage a été revue à la baisse. Ils revendiquent l'indexation de 3 milliards d'individus environ |
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