( 25 septembre 2001 ) – Perspective - Quand un État est sur le
pied de guerre, comme c’est le cas aux États-Unis, une des
premières victimes est l’information. La machine propagandiste est
ainsi en action un peu partout dans les médias américains.
Pourtant, ici et là, de nombreux médias indépendants mettent à
jour, en continu, des informations sur les attentats du 11
septembre. Sur le Web, la faune est aussi bigarrée qu’engagée.
Le discours officiel en temps réel
Les intellectuels et les libres-penseurs n’ont pas toujours un
accès facile aux médias, ceux-ci se prêtant mal au jeu des
explications ou de la compréhension des phénomènes et étant, dans
une large mesure, difficilement aptes à ranimer la mémoire
collective pour remettre les événements dans leur contexte,
surtout lorsqu’il dans les médias électroniques. C’est pourquoi
Internet devient relativement important, voire une source
d’information substantielle, dans une situation telle que vécue
aux États-Unis.
De part et d’autres du Web, les grands médias américains nous
invitent à suivre d’heure en heure chaque nouvel épisode de la
terrible tragédie, calquant en cela ce qui se fait sur leur
support traditionnel. Cependant, on peut prétendre que
l’information n’y est pas complète dans la mesure où les
impératifs de coûts-bénéfices empêchent de fouiller les analyses.
Certains ajouteraient même que, pour les Américains, les grands
médias ont un devoir patriotique de réserve quant aux agissements
de leur gouvernement.
Heureusement, il y a quelques recoins
Heureusement pour l’observateur étranger, dans les recoins plus
ou moins connus de la Toile, des opinions fourmillent ici et là
sur le pourquoi des attentats. Dans ces recoins, on ne retrouve
pas que des illuminés. Nombre d’intellectuels, ne trouvant pas
d’exutoire dans les canaux traditionnels, peuvent donc s’en donner
à cœur joie pour clouer au pilori la politique américaine qu’ils
prétendent responsable du 11 septembre 2001.
Tout a commencé par une petite incursion du côté de Zmag,
bulletin d’information américain militant. Ce sont les gens de Z
Mag qui avaient, au début des années 80, fait la lumière sur les
conséquences de l’annexion du Timor-Oriental par l’Indonésie. Z
Mag recense à peu près toutes les réflexions de la gauche
américaine ne percolant pas dans les grands groupes médias.
La dissidence
Sur Z Mag, donc, on présentait une série
de question-réponses sur les attentats, les conséquences sur
la politique étrangère des États-Unis, la réaction des
Palestiniens, et toute cette sorte de chose. L’argument voulant
que de blâmer la politique américaine pour ce qui arrive n’empêche
en rien la compassion pour les nombreuses victimes y est
superbement expliqué.
On y prend aussi soin de détailler toutes les alternatives au
discours alarmiste sur la sécurité, arguant par exemple que si les
compagnies aériennes faisaient leur travail de sécurité, cela nous
éviterait la militarisation des transports.
C’est donc à partir de cette liste de questions et de réponses
que l’on accède à tout ce que la presse de gauche publie en ligne aux
États-Unis. Les The Nation, The Progressive, The
Boston Review, Mother
Jones et In
These Times, pour ne nommer que ceux-là, font partie de
l’impressionnant inventaire de réflexions, d’analyse factuelles et
de déconstructions d’idées reçues qui circulent aux États-Unis.
Onde de choc et oxymore
Par exemple, Naomi Klein, dans un billet publié par In
These Times, détaille ce qui a profondément choqué la psyché
américaine et qui pousse Washington à poursuivre une logique de
guerre sans équivoque. «Nous sommes en présence d’un pays qui a
basé toute sa politique interventionniste sur un seul principe: on
peut faire la guerre sans pertes. Nous voici donc face à l’ultime
oxymore: la guerre sécuritaire existe. Cette logique permet donc
aux Américains de se croire invincibles. Jusqu’à mardi dernier
(ndlr 11septembre)».
Il n’est donc pas étonnant, de dire Campbell, que les
Américains soient aussi dévastés par la tragédie. Mais c’est aussi
cette conception d’invincibilité qui a rendu les Américains
désintéressés du sort du monde qui les entoure. Du coup, la
multitude de conflits dans lesquels ils sont partie prenante ne
les émeut guère, les ennuient, même. Les représailles brutales
deviennent alors inévitables.
Mobilisation
Ces propos résonnent aux oreilles de Matthew Rothschild,
directeur du magazine The Progressive et émule de Ralph Nader.
Dans son analyse du
discours de George W. Bush du 20 septembre dernier, Rothschild
critique sévèrement le Congrès d’avoir ainsi donné un chèque en
blanc à Dubbyah. Pour The Progressive, ce discours était le plus
belliqueux jamais prononcé par un président américain. Et tous
d’applaudir.
En poursuivant notre périple, on rencontre Norman Solomon, un
«syndicated columnist» -dont les écrits sont publiés à travers les
grandes chaînes de journaux- américain spécialisé dans l’analyse
des médias. Pour l’organisme Fairness And Accuracy in Reporting
(FAIR), chien de garde des médias aux États-Unis, il brosse un sombre
portrait de l’engouement dont les médias font preuve quant à
la logique guerrière de l’administration Bush. Son verdict? De CBS
à Fox en passant par le New York Times, Washington dispose
d'éloquents propagandistes pour trouver de la chair à canons ou
pour justifier le bombardement de plusieurs pays, sans égards aux
populations civiles. Quand le patriotisme musèle l’indépendance
journalistique…
Précédent à l'horreur
Mother
Jones, dont le fiel ne se tarit jamais quand il est question
de politique américaine, nous offre un photo-reportage exclusif au
Web montrant qu’une guerre contre l’Afghanistan ne servirait à
rien, puisqu’il n’y a plus rien là-bas.
On peut aussi découvrir l’entretien
que Radio B92, de Belgrade, a eu avec Noam Chomsky, l’intellectuel
iconoclaste du MIT, concernant les causes et les conséquences des
attentats du 11 septembre.
Sans surprises, le penseur anarchiste ne voit pas dans les
événements terroristes un précédent dans l’horreur, puisque les
Américains et tous les régimes coloniaux ont commis des atrocités
encore plus innommables que ce que les terroristes ont pu faire
–dans une première réaction aux attentats, Chomsky confie au
bulletin politique américain CounterPunch
que, les
bombardements au Soudan, en 1999, sous Bill Clinton, étaient
probablement plus coûteux en terme de vie civile que les attentats
de New York et de Washington.
La rhétorique d’une courte mémoire
Dans la même veine, Edward Saïd, professeur de littérature
comparée et auteur honni d’Orientalisme, grand critique du
processus de paix au Proche-Orient, se
désespère de ce que les passions soient canalisées dans une
poursuite guerrière rappelant celle du capitaine Achab poursuivant
Moby Dick.
Selon Saïd, on obscurcit ainsi ce nouveau «conflit sans
frontières précises ou acteurs visibles. Les symboles manichéens
et les scénarios apocalyptique sont de rigueur. Les conséquences
futures de telles actions, de même que la retenue rhétorique, sont
mises au rancart.».
Dans ces conditions, le patriotisme consiste à suivre le
mouvement, sans dissidence aucune. D’ailleurs, à ce chapitre, The
Nation n’est pas en reste. Eric Foner, professeur d’histoire à
l’Université Columbia, y va d’une tirade concernant l’abrogation
des droits civiques que l’on nous demande d’accepter au nom de la
sécurité nationale. «Le tambour résonne. Nous devons accepter des
limites à nos libertés. Le FBI et la CIA sont “relâchés” pour
notre sécurité. Le patriotisme implique de soutenir n’importe
quelle action proposée par le président, quelle qu’elle soit.»
Relevant tout ce qui risque d’arriver dans cette situation, le
professeur Foner ne manque pas d’observer ce qui s’est produit,
historiquement, quand on a donné plein pouvoirs aux agences
fédérales. Dans le passé, on a harassé Martin Luther King Jr. On
se prépare à faire la même chose avec les critiques de la guerre.
Mais, nous rappelle Foner, toutes les guerres de l’histoire
américaine ont inspiré de vigoureuses dissensions.
«De s’imposer le silence et aussi débilitant pour la démocratie
que la censure», conclut Foner.
Autres références
- Courrier
international
Pour un regard européen sur la crise, une
excellente source de reportages, d’analyses et de réflexions
critiques. De plus, de nombreux articles repris des magazines et
quotidiens du monde entier replacent la réaction américaine et
le terrorisme dans leur contexte.
- Le Monde
diplomatique
En plus d’y apprendre du neuf sur les rêves
impériaux de l’Amérique, on peut y constater l’étendue des
preuves trafiquées contre le terrorisme lybien, les injustices
faites aux Afghans et, en toute objectivité, les paradoxes de la
finance islamique.
- Institut
du monde arabe
Institut universitaire parisien qui
démythifie l’Islam et l’arabisme. Ne parle pas des événements du
11 septembre, mais propose une série de fiches complètes sur
l’histoire et le contexte de l’Islam et du monde arabe, de
Mahomet aux intégristes en passant par les nationalismes et la
culture.
- Arabia.com
Pour
éviter de tomber dans le piège de la diabolisation de l’Islam.
- Terrorism.com
Site du
Centre de recherche sur le terrorisme. Indépendant, le Centre
prend toutefois le point de vue de l’Occident attaqué par des
pays tiers. Offre d’excellentes analyses et beaucoup de
ressources factuelles aidant à comprendre les stratégies et les
réactions américaines et occidentales face au
terrorisme.