On connaissait les "pédo-nazis",
voici venir les "porno-terroristes" : les
fous d´Allah de ben Laden cacheraient des
messages secrets dans des photos... pornos. Libération,
Le
Monde, France
Info, sans parler des télévisions ni de
la presse anglo-saxonne, tous ont relayé cette
information depuis la série d´attentats aux
États-Unis. Un
journaliste américain en a même rajouté
une louche en comparant le modus operandi des
terroristes à celui des désormais célèbres
pédophiles du Web. Mais personne ne s´étonne de
voir accolés des mots clés tels que "sexe" et
"internet", "terrorisme islamiste" et
"cryptographie". Seuls les Échos, ont signalé que
"d´aucuns voient dans ces informations une
manipulation des autorités américaines visant à
accroître le contrôle de l´information circulant
sur le Net aux dépens de la liberté
d´expression". Au vu de l´offensive actuelle
du gouvernement américain contre la
cryptographie, on pourrait effectivement se
poser quelques questions...
Encre
invisible Tout est parti en fait d´un seul et même
article de USA
Today. En février 2001, le
journaliste américain Jack Kelley publie un
papier choc sur l´utilisation de la crypto par
les réseaux de ben Laden. Le procès des
terroristes qui, en 1993, avaient fait
sauter une première fois le World Trade Center,
bat alors son plein, et les médias se déchaînent
contre ben Laden, déjà considéré comme l´ennemi
public n°1. Kelley avance que
"cachés dans des photos classées X
publiées sur plusieurs sites pornos, ainsi que
dans des commentaires postés sur des
chatrooms sportifs se cachent peut-être
les plans cryptés de la prochaine attaque
terroriste contre les États-Unis et leurs
alliés". Et d´expliquer que ben Laden est
passé maître dans l´art d´utiliser la
cryptographie, ainsi que l´un de ses augustes
prédécesseurs, la stéganographie. Cet art
antique (il date, au bas mot, de plusieurs
siècles avant Jésus-Christ) consiste à cacher un
message dans un autre, à la manière de l´encre
invisible. Nouvelles technologies aidant, il
existe aujourd´hui nombre de programmes
de stégano que l´on peut librement
télécharger sur l´Internet.
Les as du
codage Ses allégations, Kelley affirme les
baser sur les propos d´"officiels américains
et étrangers". Le journaliste cite également
les services de renseignements américains. Selon
eux, ben Laden utiliserait la crypto depuis cinq
ans, date à laquelle il aurait découvert que ses
communications téléphoniques étaient
interceptées. Des cours de crypto seraient même
organisés dans ses camps d´entraînement en
Afghanistan et au Soudan. Dans son article,
Kelley évoque trois exemples de terroristes
islamistes convaincus d´utilisation de la
cryptographie. De véritables as du codage :
le cryptage employé serait si puissant que le
FBI aurait mis plus d´un an à déchiffrer des
fichiers trouvés sur l´ordinateur d´un certain
Ramzi Yousef. Il faudrait savoir : en 1999,
soit plus d´un an auparavant, Louis Freeh,
directeur du FBI, avait expliqué
au Sénat américain que le mot de passe
de Yousef n´était guère protégé. Dans son
article, Kelley glisse que les défenseurs de la
vie privée sont à l´origine des logiciels
utilisés par les terroristes. De là à faire des
premiers des complices des deuxièmes... Or, la
cryptographie a été inventée par les militaires,
qui en avaient le monopole jusqu´au début des
années 90.
Désinformation Plus étonnant encore, Tim
May, auteur du Manifeste
crypto-anarchiste, retrouve, mot pour
mot, dans l´argumentation du journaliste de
USA Today, un
schéma qu´il avait lui-même avancé à la
fin des années 80. Au cours d´une
interview, reprise dans un livre de Kevin Kelly
intitulé Out of Control et publié en
1992, il expliquait comment il serait aisé, et
sécurisé, de poster des messages cachés dans des
forums de discussion anodins, à la manière de
"boîtes aux lettres digitales" et
furtives. C´est d´ailleurs suite à des
discussions portant sur cette idée qu´aurait été
créé, selon lui, le premier programme de
stéganographie informatique. Alors, les services
de renseignement américains, qui sont censés
être la source de Kelley, ont-ils mené leur
propre enquête ou bien s´inspirent-ils de ses
propos pour monter une opération de
diabolisation ? Pour Wayne Madsen, un
ancien de la NSA (National Security Agency)
passé dans le camp des défenseurs de la
"privacy", la
réponse est claire : "Je pense
que tout a été pipeauté, c´est de la
désinformation [perception management,
NDT]". De fait, deux jours seulement après la
publication de l´article de USA Today se
tenait, heureux hasard, une audition de la Commission
sénatoriale américaine chargée des services de
renseignement. Lors de cette réunion, Georges
Tenet, directeur de la CIA, réitéra sa demande
d´une rallonge budgétaire destinée aux
"briseurs de codes" et plaida pour une
modification de la législation afin de
restreindre drastiquement les conditions
d´utilisation de la cryptographie. Comme pour
étayer ces propos, un autre participant expliqua
que Fidel Castro pourrait lancer une
cyber-guerre contre les infrastructures
américaines. Pour
Declan McCullagh, journaliste du
magazine Wired, il n´y a aucun
doute : le papier de USA Today
ressemble fort à une manœuvre classique des
services de renseignement.
En phase avec
Dieu Au
delà de la simple manipulation, la personnalité
même de l´auteur de l´article soulève de
nombreuses questions. Comme l´a découvert le
site Bug Brother, qui a mené sa contre-enquête,
ironiquement appelé "James
Bondieu au pays de la crypto", Jack
Kelley est un journaliste quelque peu
"illuminé". Ancien correspondant de guerre
devenu chef du service des affaires étrangères à
USA Today, membre d´une congrégation
évangélique et charismatique, il croit aux
vertus "spasmodiques" de l´Esprit Saint
et mêle intimement protestantisme et
journalisme. Au point de déclarer à un
universitaire enquêtant sur l´objectivité des
journalistes religieux : "Je ne peux
séparer ma foi de ma profession. Je pense que
c´est un don, les histoires tombent comme ça sur
mes genoux quand je suis en phase avec Dieu.
C´est probablement parce que Dieu sait que je
suis trop bête pour sortir et les trouver par
moi-même. C´est tout bonnement incroyable."
Résumons donc. Un journaliste, dont les papiers
lui sont donc dictés par Dieu, rapporte
fidèlement les propos de personnalités non
identifiées des services de renseignements
américains. Ainsi naquit la légende des
islamistes terroristes se servant du Net pour
échanger des messages chiffrés via des images
pornos.
Deux millions
d´images Les dernières déclarations des services
de renseignements américains sont bien plus
modérées : les terroristes présumés du
World Trade Center ont certes utilisé l´e-mail,
mais pas la crypto, selon
le FBI. De leur côté, suite à l´article
de USA Today, deux
universitaires ont scanné deux millions
d´images sur eBay : aucune ne contenait de
message secret. Ben Laden grand utilisateur de
crypto ? Robert Vamosi, auteur de science
fiction et chroniqueur à ZDNet, avance quant à
lui qu´un ancien expert informatique des forces
de l´ordre américaines lui
aurait déclaré que l´aveu de
l´utilisation de la stégano par les terroristes
de ben Laden viendrait d´un repenti qui aurait
"craqué" lors d´un interrogatoire.
Interrogé par Transfert.net, il n´a pas daigné
répondre à nos questions.
Plus fort que
la NSA Seule certitude dans cette
histoire : les attentats aux États-Unis
sont l´occasion rêvée pour les opposants à la
libre utilisation de la cryptographie de jouer
sur les fantasmes et peurs d´une opinion
publique traumatisée. Deux jours après les
attaques, un
article sur le site de la chaîne de
télévision anglaise ITN rappelait ainsi
opportunément des déclarations de Mike Hayden,
directeur de la NSA, maître d´œuvre d´Echelon,
vieilles d´un an : ben Laden utiliserait
des technologies dépassant de beaucoup les
capacités de son service de renseignement, alors
même que la NSA se targue d´être à la tête de la
plus formidable équipe de cryptographes,
mathématiciens et autres scientifiques qui soit
au monde. Plus fort encore : selon le
journal conservateur américain Worldnet
Daily, le terroriste d´origine saoudienne aurait
engagé un informaticien syrien vivant à
Barcelone, Nabil Khan Kani. Et ce dernier serait
plus fort, à lui tout seul, que les
40 000 employés de la NSA, et leurs
ordinateurs (les meilleurs du marché). Ben Laden
serait même entré en possession des codes
secrets permettant de déchiffrer les
communications de la quasi-totalité des services
de renseignements américains.
Bigre !
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