INTERACTIF

On assiste à l'émergence d'un "hacking" national, qui s'associe aux différentes formes de guerre que se livrent les Etats.

Tim Jordan est professeur à l'Open University. Il étudie les mouvements sociaux à la faculté de sciences sociales. Avec Paul Taylor, il a étudié le phénomène des hackers à travers une série d'interviews (A Sociology of Hackers, publiée dans la Sociological Review en 1998).

Mis à jour le mercredi 3 octobre 2001


Au cours des derniers mois, on a vu des hackers s'attaquant aux sites d'institutions nationales. Aujourd'hui, les hackers américains sont appelés à lutter contre le terrorisme à travers la campagne "Hackers Against Terrorism". Est-ce l'émergence d'un nouveau mode d'expression dans la communauté des hackers ?

On assiste à l'émergence d'un "hacking" national, qui s'associe aux différentes formes de guerre que se livrent les Etats. Lors des opérations de l'OTAN au Kosovo, des "hackers" serbes ont réagi en attaquant les sites Web de l'OTAN. On observe le même phénomène avec la deuxième Intifada : les groupes palestiniens attaquent les site officiels israéliens tandis que les hackers israéliens s'attaquent à ceux du Hezbollah, par exemple. Cette évolution était prévisible. Reste à savoir si ces attaques sont téléguidées par les services secrets des différents Etats. La seule chose qui est certaine, c'est que l'Internet permet l'émergence de ce type d'action, que certains hackers peuvent avoir une action qu'ils veulent patriotique. Il est sûr que certains mouvements off-line sont transposés dans le monde on-line et rejoignent les mouvements nationaux.

L'organisation de ces mouvements donne l'impression d'une fragmentation de la communauté autour de groupes de hackers, de crackers et d'hacktivistes. Peut-on d'ailleurs parler d'une communauté ?

Le terme de "hackers" fait référence initialement à une utilisation innovante des technologies. Cela va donc plus loin que l'intrusion dans un ordinateur, dans le réseau d'une entreprise. Le courrier électronique est du hacking : à l'origine, il n'était pas prévu dans le projet Arpanet. Quelqu'un a écrit un petit programme et le courrier électronique est devenu l'occupation majeure des utilisateurs d'Internet. La notion de cracker est venue après. Elle fait référence à ceux qui s'introduisent dans un ordinateur. Depuis, les deux tendent à être confondus, à tort. Aujourd'hui, la communauté du logiciel libre, de l'open source, tend à se réapproprier la notion de hacking, au sens initial.

L'"hacktivisme" lui, fait référence à l'émergence du politique dans ces différentes communautés. Non qu'il n'y ait pas eu d'actes politiques individuels de la part des hackers. L'hacktivisme a commencé à partir du milieu des années 1990, avec des groupes comme Cult of the Dead Cow (cDc), qui sont passés de la culture hacker à celle de l'hacktivisme et de l'"hacktivismo", projet anti-censure lancé par le cDc, qui considère que l'accès à l'information fait partie des droits fondamentaux.

Enfin, les barrières commencent à voler en éclats. Certains hackers accèdent à une forme de notoriété, comme un des fondateurs du Chaos Computer Club qui est maintenant membre de l'Icann. D'autres rejoignent les entreprises et deviennent des experts de la sécurité informatique.

Les différents groupes n'ont pas la même conscience, la même motivation politique ou sociale ?

Les hackers n'ont, traditionnellement, pas de motivation politique. Ils travaillent en groupe dans le cyberespace, dans des salles de discussion. Le hacking est pour eux une activité sociale. En plus de leurs activités on-line, ils ont des activités off-line, avec leurs journaux, leurs conventions, comme Defcon ou Hal 2001. Ils ne pratiquent pas leur activité de façon solitaire, même s'ils sont physiquement isolés, derrière leur machine.

En revanche, les hacktivistes revendiquent un impact social, politique. Peut-on distinguer une évolution, la création de courants en leur sein ?

La principale différence se situe entre les groupes américains et les européens. Les Américains sont plus libertaires, partisans du libre accès à l'information, à l'Internet. En Europe, ils sont plus communautaires, ouverts aux idées "socialistes".

Néanmoins, on distingue deux sortes d'hacktivistes. Un premier groupe fournit des outils aux script keedies, qui ne sont pas des experts mais téléchargent des outils permettant à d'autres hacktivistes préoccupés par la mondialisation, par exemple, d'attaquer un site comme celui de l'OMC. Parmi ces fournisseurs d'outils, on compte des groupes tels que Netstrike, en Italie.

Les autres groupes sont plutôt actifs dans le domaine de la sécurité informatique, de l'accès à l'information. Ils se sentent davantage impliqués politiquement. L'objectif d'un Cult of the Dead Cow, par exemple, est de se battre pour un accès large à l'Internet, à l'information.

Propos recueillis par Pierre Bouvier



Pierre Bouvier

 

Droits de reproduction et de diffusion réservés; © Le Monde 2001
Usage strictement personnel. L'utilisateur du site reconnaît avoir pris connaissance
de la licence de droits d'usage, en accepter et en respecter les dispositions.