Au cours des derniers mois, on a vu des hackers s'attaquant
aux sites d'institutions nationales. Aujourd'hui, les hackers
américains sont appelés à lutter contre le terrorisme à travers la
campagne "Hackers Against Terrorism". Est-ce l'émergence d'un
nouveau mode d'expression dans la communauté des
hackers ?
On assiste à l'émergence d'un "hacking" national, qui s'associe
aux différentes formes de guerre que se livrent les Etats. Lors des
opérations de l'OTAN au Kosovo, des "hackers" serbes ont réagi en
attaquant les sites Web de l'OTAN. On observe le même phénomène avec
la deuxième Intifada : les groupes palestiniens attaquent les
site officiels israéliens tandis que les hackers israéliens
s'attaquent à ceux du Hezbollah, par exemple. Cette évolution était
prévisible. Reste à savoir si ces attaques sont téléguidées par les
services secrets des différents Etats. La seule chose qui est
certaine, c'est que l'Internet permet l'émergence de ce type
d'action, que certains hackers peuvent avoir une action qu'ils
veulent patriotique. Il est sûr que certains mouvements
off-line sont transposés dans le monde on-line et rejoignent les
mouvements nationaux.
L'organisation de ces mouvements donne l'impression d'une
fragmentation de la communauté autour de groupes de hackers, de
crackers et d'hacktivistes. Peut-on d'ailleurs parler d'une
communauté ?
Le terme de "hackers" fait référence initialement à une
utilisation innovante des technologies. Cela va donc plus loin que
l'intrusion dans un ordinateur, dans le réseau d'une entreprise. Le
courrier électronique est du hacking : à l'origine, il n'était
pas prévu dans le projet Arpanet. Quelqu'un a écrit un petit
programme et le courrier électronique est devenu l'occupation
majeure des utilisateurs d'Internet. La notion de cracker est venue
après. Elle fait référence à ceux qui s'introduisent dans un
ordinateur. Depuis, les deux tendent à être confondus, à tort.
Aujourd'hui, la communauté du logiciel libre, de l'open
source, tend à se réapproprier la notion de hacking, au
sens initial.
L'"hacktivisme" lui, fait référence à l'émergence du politique
dans ces différentes communautés. Non qu'il n'y ait pas eu d'actes
politiques individuels de la part des hackers. L'hacktivisme a
commencé à partir du milieu des années 1990, avec des groupes comme
Cult of the Dead Cow (cDc), qui sont passés de la culture hacker à
celle de l'hacktivisme et de l'"hacktivismo", projet anti-censure
lancé par le cDc, qui considère que l'accès à l'information fait
partie des droits fondamentaux.
Enfin, les barrières commencent à voler en éclats. Certains
hackers accèdent à une forme de notoriété, comme un des fondateurs
du Chaos Computer Club qui est maintenant membre de l'Icann.
D'autres rejoignent les entreprises et deviennent des experts de la
sécurité informatique.
Les différents groupes n'ont pas la même conscience, la même
motivation politique ou sociale ?
Les hackers n'ont, traditionnellement, pas de motivation
politique. Ils travaillent en groupe dans le cyberespace, dans des
salles de discussion. Le hacking est pour eux une activité
sociale. En plus de leurs activités on-line, ils ont des activités
off-line, avec leurs journaux, leurs conventions, comme Defcon ou
Hal 2001. Ils ne pratiquent pas leur activité de façon solitaire,
même s'ils sont physiquement isolés, derrière leur machine.
En revanche, les hacktivistes revendiquent un impact social,
politique. Peut-on distinguer une évolution, la création de courants
en leur sein ?
La principale différence se situe entre les groupes américains et
les européens. Les Américains sont plus libertaires, partisans du
libre accès à l'information, à l'Internet. En Europe, ils sont plus
communautaires, ouverts aux idées "socialistes".
Néanmoins, on distingue deux sortes d'hacktivistes. Un premier
groupe fournit des outils aux script keedies, qui ne sont pas
des experts mais téléchargent des outils permettant à d'autres
hacktivistes préoccupés par la mondialisation, par exemple,
d'attaquer un site comme celui de l'OMC. Parmi ces fournisseurs
d'outils, on compte des groupes tels que Netstrike, en Italie.
Les autres groupes sont plutôt actifs dans le domaine de la
sécurité informatique, de l'accès à l'information. Ils se sentent
davantage impliqués politiquement. L'objectif d'un Cult of the Dead
Cow, par exemple, est de se battre pour un accès large à l'Internet,
à l'information.
Propos recueillis par Pierre
Bouvier