Le vendredi 21 septembre, le Wahsington Post
a sorti un article d'Ariana Cha [1]
qui selon moi travestit mon point de vue sur le rôle du logiciel
cryptage PGP dans les attaques terroristes du 11 septembre. Lors
d'une interview le lundi 17 septembre je lui ai donné mon sentiment
sur le fait que les terroristes aient éventuellement utilisé PGP
pour planifier leurs attaques. L'article dit qu'en tant qu'inventeur
de PGP, j'étais « submergé par un sentiment de
culpabilité. » Je n'ai jamais mentionné ceci dans l'interview
et j'ai même, contrairement à mon habitude, mis l'accent sur le fait
que je ne l'étais pas, et lui ai fait répété pour être certain
qu'elle ne dirait pas le contraire dans l'article. Ce
travestissement est grave, car il implique que sous la pression du
terrorisme j'aurais modifié mes positions quant à l'importance de la
cryptographie pour protéger la vie privée et les libertés
individuelles à l'ére de l'information.
Parce que la transcription de mes paroles avait une
implication politique, Mrs Cha m'a lu l'essentiel de l'article au
téléphone avant de le soumettre à son rédacteur en chef, et
l'article ne comportait alors pas de tels propos et de telles
implications. Le papier publié dans le Post était sensiblement plus
court que l'original et incluait la version trafiquée sus-citée de
mes dires. Je ne peux que supposer que sa rédaction a pris, de façon
déplacée, la liberté d'abréger mes propos pour les réduire à ce
fragment de phrase inexact.
Lors de l'interview, six jours après les attentats,
nous avons parlé du fait que j'avais pleuré, comme tout le monde a
pleuré, sur cette affreuse tragégie. Mais les larmes n'avaient aucun
lien avec une culpabilité que j'aurais eu à avoir développé PGP,
j'ai pleuré sur ce drame humain dans son ensemble. Je lui ai
également dit avoir reçu un message de haine, me reprochant d'avoir
mis au point une technologie que des terroristes pouvaient utiliser.
Je lui ai dit que je me sentais mal à l'idée que des terroristes
utilisent éventuellement PGP, mais que je considérais que c'était
contrebalancé par le fait que PGP était un outil au service des
droits de l'homme sur toute la planète, et que telle était mon
intention première il y a dix ans quand je l'ai développé. Il semble
que quelqu'un au Washington Post soit passé à côté de ces nuances
dans le raisonnement. Et je me dit que c'est sans doute du au fait
que l'équipe du journal a été mise à rude épreuve la semaine
précédente.
En ces temps d'émotion intense, nous, la communauté
crypto, nous sommes amenés à défendre notre technologie contre les
tentatives, bien intentionnées sans doute, mais malavisées, des
politiques d'imposer de nouvelles régulations sur l'usage d'une
cryptographie forte. Je ne souhaite pas dopnner des armes à ces
tentatives en donnant l'impression de renier mes principes. Je pense
que l'article montre clairement que, confronté à un drame de cette
ampleur, je ne suis pas un idéologue. Ai-je ré-examiné mes positions
suite à la tragédie ? Bien sur que je l'ai fait. Mais à l'issue
de cet examen, je défend ce que j'ai toujours défendu depuis dix ans
dans les débats publics : la cryptographie forte fait plus de
bien que de mal à la démocratie, même si elle peut servir aux
terroristes. Faites moi confiance : J'ai développé PGP et je ne
le regrette pas.
La question de savoir si le gouvernement devait
restreindre la cryptographie forte a été débattue depuis les années
90. La Maison Blanche, la NSA, le FBI, les tribunaux, le Congrès,
l'industrie informatique, l'académie et la presse ont participé au
débat. L'usage terroriste de la crypto a totalement été prise en
compte, et c'était même l'un de thême centraux de la discussion. Et
cependant, la décision collective de la société (outrepassant les
objections du FBI) a été que nous serions plus tranquille avec la
crypto forte, sans les porte dérobées du gouvernement. Le contrôle à
l'exportation a été levé et aucun controle domestique n'a été
imposé. Je pense que c'était une bonne décision, parce ce que nous
avons pris le temps et que la participation était très large.
Décider à la hâte aujourd'hui, sous le coup de l' émotion, de
revenir sur cette sage décision, serait une terrible erreur, et ne
ferait qu'affaiblir notre démocratie et accroitre la vulnérabilité
de notre infrastructure nationale d'information.
Les utilisateurs de PGP peuvent être rassurés, je
n'accepterai toujours pas de porte dérobée.
Il est intéressant de noter que je n'ai reçu qu'un
seul mail de haine à ce sujet. Etant très sollicité par la presse
pour des interviews, je n'ai pas eu le temps d'écrire une réponse
bien sentie à ce message et je n'ai donc pas répondu. Après la
publication de l'article du Post, j'ai reçu des centaines de mails
de soutien, au rythme de 2 ou 3 par minute le jour de la sortie du
papier.
J'ai toujours eu de bonnes relations avec la presse
au cours de ces dix ans, en particulier avec le Washington Post. Je
suis sure que la prochaine fois ils auront compris.
24 September 2001