Société
Juriste, Olivier Cayla dénonce les positions des anti-Perruche:
«ILS SONT HOSTILES AU CHOIX DE LA MÈRE»

Par Blandine GROSJEAN

Le samedi 19 janvier 2002

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«Les anti-Perruche estiment qu'avec l'arrêt, on irait jusqu'à la promotion d'un eugénisme étatique.»

  a jurisprudence Perruche, certains l'ont défendue, d'autres, vilipendée. Eux se posent en observateurs critiques. Olivier Cayla et Yan Thomas, directeurs d'études à l'Ecole des hautes études en sciences sociales, professeurs de droit, critiquent les positions du parti «anti-Perruche» dans un livre publié le 30 janvier (1). Entretien avec Olivier Cayla.

En quoi le «scandale Perruche» serait-il le résultat d'une intoxication?

Les premières attaques contre l'arrêt, d'une vigueur extrême, ont accusé la Cour de cassation d'avoir violé le «Droit» avec un grand D. Or depuis les années 80, un courant de pensée est en pleine expansion dans le monde intellectuel français, notamment les juristes. C'est un courant politique, hostile à la conception moderne des droits de l'homme, supposée conduire à l'octroi incessant et funeste de nouveaux droits pour la seule satisfaction des «caprices» ou «fantasmes» de «l'individu-roi». On l'a vu avec le Pacs, où il s'agissait de donner des droits nouveaux aux homosexuels. Cette fois, la Cour donnait un droit nouveau à certains handicapés. Ces commentateurs prétendaient se situer sur le terrain du droit alors qu'ils étaient animés par des convictions politiques.

Vous n'êtes pas les seuls à démontrer que la Cour de cassation n'a jamais indemnisé le «droit de ne pas naître». Par quel mystère cette analyse s'est-elle imposée dans l'opinion?

Les anti-Perruche refusent de prendre en compte un fait essentiel du cas Perruche: la mère avait dit à son médecin que si elle avait la rubéole elle avorterait pour éviter d'avoir un enfant handicapé. Le lien de causalité entre la faute médicale (la non-détection de la rubéole de la mère) et le handicap de l'enfant est aisé à établir pour la Cour: la faute du médecin ayant empêché la volonté maternelle de se réaliser, elle a donc, par voie de transitivité, causé le handicap. Mais les anti-Perruche sont indifférents pour ne pas dire hostiles à l'égard du choix de la mère d'éviter une naissance handicapée. Ils peuvent donc avancer cet axiome: la faute n'a pas causé le handicap ­ dû à la nature ­, elle a causé la seule naissance. La Cour reconnaît un préjudice dans le fait d'être né. Or la naissance ne saurait être un préjudice pour l'intéressé, font valoir les adversaires de l'arrêt. Donc Nicolas Perruche n'a subi aucun préjudice. Il n'a plus qu'à se taire.

Ceux qui redoutent que cela ne conduise des enfants à reprocher à leur mère de n'avoir pas avorté ne sont pas tous de mauvaise foi...

Non bien sûr, mais il me semble qu'ils se laissent séduire par des raisonnements en apparence logiques, en réalité absurdes. En redoutant ce que vous dites, ils mettent en scène une «anti-madame Perruche» qui refuserait d'avorter alors qu'elle saurait, grâce à un diagnostic fiable, son enfant atteint d'un handicap. L'arrêt Perruche, selon eux, permettrait à cet enfant de demander réparation à cette mère qui aurait voulu à tout prix un enfant. Les médecins ont emboîté le pas aux juristes, en s'appuyant sur l'avis du Comité d'éthique, où siègent des médecins, ce qui ne le prédispose guère à l'impartialité dans cette affaire de responsabilité médicale. Dénigré par ces arguments controuvés, le message de la Cour de cassation est devenu inaudible.

Comment en est-on venu à accuser la Cour de cassation de promouvoir un «eugénisme de sinistre mémoire», la comparant ainsi aux nazis?

Si les anti-Perruche disent pouvoir, à la rigueur, tolérer l'eugénisme privé et facultatif que permet la loi sur l'IVG, ils estiment qu'avec l'arrêt Perruche on irait jusqu'à la promotion d'un eugénisme étatique et obligatoire, puisqu'on imposerait aux mères une sorte d'«interruption obligatoire de grossesse», en reconnaissant un «droit à être avorté». L'arrêt mettrait donc en place, à l'instar des pires entreprises du passé, une logique d'élimination organisée des «anormaux».

En quoi les anti-Perruche rejetteraient-ils, selon vous, les principes démocratiques?

On doit s'interroger sur la signification politique de ce fameux principe de «dignité de la personne humaine», brandi par les anti-Perruche et qui fait actuellement florès dans le droit. Dans leur esprit, ce principe ne commande pas seulement de ne pas porter atteinte à la dignité d'autrui, mais aussi et surtout à sa propre dignité. Leur «dignité de la personne humaine» ne protège plus l'individu, mais l'humanité. Cela ne permet donc plus du tout de penser la liberté individuelle et ne permet pas davantage de penser l'égalité entre les hommes, puisque cela donne la possibilité aux plus «avisés», aux plus «éclairés», aux plus «sages» de définir de l'extérieur ce qui est ou non conforme à la dignité de l'intéressé, sans aucune autorisation de ce dernier.

Sur quoi vous appuyez-vous pour dire que les anti-Perruche appartiennent au camp des «prolife», en français, des anti avortement?

Ils interprètent l'arrêt comme permettant à Nicolas Perruche de dire, au moins implicitement, «j'aurais préféré ne pas vivre», ce qu'ils jugent inadmissible. La Cour ne dit absolument pas ça, mais bon, peu importe. En tout cas, ils n'affirment pas seulement son droit à la vie, mais ils l'astreignent carrément à une obligation de vivre: il faut «accueillir» le «don de la vie», quelle que soit sa qualité. C'est en cela qu'ils rejoignent un point de vue religieux ou métaphysique qui dit qu'on n'a pas le droit de disposer de sa propre vie.

Du droit de ne pas naître, d'Olivier Cayla et Yan Thomas, le Débat-Gallimard, 176 pages.


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