Aux Etats-Unis, cette
«mutualisation» des accès au Net est devenu un sport rituel.
Seattle, terreau du militantisme sans fil, est quadrillée de points
d'accès communau-taires. |
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'est un curieux cocktail,
un drôle d'accouplement entre la bricole informatique et la cibi.
Martin brandit un ordinateur de poche grâce auquel il «surfe sur
le Web au lit», sans aucun fil le reliant à quoi que ce soit. Et
Thomas pose un récepteur GPS sur la fenêtre de la chambre mansardée:
«On est à 3,7 kilomètres de chez moi», dit-il en jetant un
oeil à l'écran, prévoyant déjà de raccorder l'appartement de Martin,
situé dans le centre de Paris, à son studio à lui, par les airs.
Martin, étudiant en informatique de 23 ans, et Thomas, consultant de
35 ans, sont membres d'une tribu qui essaime dans le monde entier et
en France depuis quelques mois: les adeptes des réseaux «sans fil»,
curieux accouplement entre la radio et l'Internet. Tous deux sont
membres du groupe informel Wireless-fr, qui compte des recrues
partout en France. Leur but, ici à Paris: «Créer un réseau
parallèle, libre, gratuit et basé sur le volontariat.» Avec des
relais de maison en maison, des antennes posées sur les toits, pour
«relier des centres sociaux, mettre des immeubles en réseau,
partager l'information».
Ondes hertziennes. A la source de tous ces bricolages, une
technologie très en vogue: la norme 802.11b, dont le nom barbare a
été adouci en «wifi» («ouifi») pour partir à la conquête du public.
Grâce à elle, les ordinateurs peuvent communiquer à distance
de quelques mètres à quelques kilomètres, sans fil à la patte, juste
en utilisant les ondes hertziennes et plus spécifiquement la bande
des 2,4 Ghz. Et à une vitesse ultrarapide: jusqu'à 11 mégabits par
seconde, soit 200 fois plus vite qu'avec un modem classique, ou même
5 fois plus qu'avec une connexion via l'ADSL. Une technologie dont
les internautes peuvent s'équiper pour des sommes relativement
réduites: à partir de 150 euros la carte à brancher dans son
ordinateur. Et entre 225 et 450 euros la «borne d'accès», un
ordinateur spécifique qui assure le relais avec l'Internet.
Ces sommes modiques assurent la multiplication des expériences. A
Paris, c'est le café Orbital, près du jardin du Luxembourg, qui
vient de s'équiper, grâce aux efforts d'un groupe appelé Speka:
désormais, les possesseurs d'ordinateurs portables peuvent se
connecter depuis la terrasse. On pose sa machine sur la table et on
surfe. A Grenoble, un étudiant de l'école de commerce veut relier
ainsi une résidence d'étudiants. A Mane, dans les
Alpes-de-Haute-Provence, une antenne a été posée sur une tour du
château, parée à arroser les habitants de ce petit village en
connexions rapides directement dans les foyers. «En zone rurale,
les liaisons sans fil sont la seule alternative aux tranchées pour
poser de la fibre optique dans les champs», dit Guy
Karaghiosian, le gérant du fournisseur d'accès SudWay, qui voudrait
ainsi relier trois villages pour «contribuer au développement
rural».
Partage. Le «sans-fil» permet aussi de partager les
connexions. Chez Martin, par exemple, ce sont ses voisins qui en
profitent: lui paie tous les mois sa connexion, à haut débit, à
France Télécom. Et à l'étage du dessous, grâce à sa carte siglée
Wifi, un foyer profite de la même ligne. Sans débourser un centime.
«De la même façon, quelqu'un passant dans la rue pourrait
profiter de ma connexion», remarque Martin.
Aux Etats-Unis, cette «mutualisation» des accès au Net est devenu
un sport rituel. La ville de Seattle, terreau du militantisme sans
fil, est quadrillée de points d'accès communautaires. Comme à San
Francisco. «Je ne payais pas ma connexion là-bas», signale
Martin, qui a habité en Californie quelques mois. En France, la loi
s'y oppose: la bande de fréquence utilisée appartient encore à
l'armée. Ce qui signifie que le sans-fil est autorisé à l'intérieur
des bâtiments, c'est tout. C'est d'ailleurs là qu'est le «marché»
aujourd'hui: dans les réseaux d'entreprises. Mais pas question de se
hasarder sur la voie publique. Officiellement, du moins. Car il
serait naïf de croire qu'un mur arrête les ondes, surtout lorsque
les mordus du sans-fil se mettent à customiser (adapter) le
matériel pour augmenter la portée. Les plus mordus bricolent
eux-mêmes des antennes, «du fil de fer et des tuyaux en cuivre de
plomberie», rapporte Thomas. Ou passent commande de matériel à
l'étranger, pour gratter quelques francs ou obtenir des antennes
plus puissantes. «Celle-ci peut porter jusqu'à 16
kilomètres», assure Laurent, un autre «wifiste» mordu, en
exhibant une sorte de parabole beigeasse ornée d'un tube.
Nostalgies. De la bricole du dimanche aux utopies
libertaires, les wifistes redonnent vie aux expérimentations tous
azimuts des débuts du Net, avec leur mélange entre la radio libre,
la cibi et les réseaux informatiques. Ils bousculent un gros paquet
de certitudes aussi: l'UMTS, les futurs téléphones 3G, a déjà
englouti des milliards et son modèle économique fondé sur
l'espoir que le sans-fil du futur passera par le téléphone
pourrait être encore écorné. De même, on voit mal France Télécom
encourager la mutualisation de ses connexions à haut débit. En tout
cas, ça craque de partout. Devant la pression des usages, l'ART,
l'Autorité de régulation des télécoms, vient d'ouvrir une
consultation publique. Avec comme objectif de trouver une voie
concertée pour laisser libre cours aux expérimentations. Manière,
sans doute, de légaliser demain le bricolage techno des cibistes
d'aujourd'hui.
www.wireless-fr.org
www.speka.net
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