PORTRAITS

Lawrence Lessig, pourfendeur des nouveaux monopoles du Net

Ce professeur de droit de Stanford s'est spécialisé sur les enjeux politiques et juridiques de l'Internet. Pour lui, la privatisation du Réseau menace la liberté d'expression, les libertés individuelles et entrave l'innovation.

Mis à jour le jeudi 14 mars 2002


http://lessig.org
Il y a quelques mois, Lawrence Lessig, 39 ans, a été présenté comme l'une des vingt-cinq personnalités de l'Internet par Business Week. Pourtant, ce professeur qui enseigne le droit constitutionnel et le droit appliqué à Internet à l'université de Stanford ne réussit pas tout ce qu'il entreprend. Loin s'en faut. Il a, notamment, pris la défense de Napster contre l'industrie du disque : en vain. Sous l'administration Clinton, il a développé ses arguments aux côtés du département de la justice américain contre Microsoft. Malgré cela, l'entreprise dirigée par Bill Gates vient de trouver un arrangement à l'amiable avec l'administration Bush.

Alors ? Ce qui fait de lui un des gourous du Net, c'est qu'il a prédit ses défaites dans ses différents écrits sur l'évolution du Net, et qu'il dénonce avec force l'appropriation du Réseau par des intérêts privés et la menace que font peser les droits applicables à la propriété intellectuelle sur le progrès et l'innovation.

Contre la privatisation d'Internet

Pour lui, le vent de liberté, de créativité et d'initiative qui soufflait sur Internet a disparu. "Le Réseau est mis sous tutelle par des grands intérêts privés et publics qui tendent à en faire payer — cher — l'accès, à limiter la liberté d'expression, et à menacer la vie privée des internautes", affirme, calme et déterminé, Lawrence Lessig. Il explique notamment comment une entreprise comme Cisco, le premier fabricant mondial de routeurs, a mis au point des logiciels qui permettent aux fournisseurs d'accès à Internet d'accélérer ou de ralentir les flux de données transitant sur leurs réseaux, au gré de leurs intérêts commerciaux, encadrant ainsi le développement du Réseau.

Mais les principaux responsables de la privatisation et de l'encadrement d'Internet sont, selon lui, les groupes qui produisent et diffusent des contenus : AOL Time Warner, Vivendi-Universal, Disney ou Bertelsmann. "Nous vivons dans un monde où la production de biens culturels est concentrée entre les mains de quelques groupes, essentiellement basés à Hollywood", poursuit-il. Cette concentration des moyens de production et de diffusion limite la possibilité de voir émerger des contenus originaux. "Cela aboutit à une uniformisation et à une américanisation des mentalités", regrette-t-il.

La privatisation du Réseau ne constitue que l'un des aspects de la pensée de Lawrence Lessig. Dans le livre qu'il vient de publier en 2001, The Future of Ideas, il rappelle qu'il n'y aura pas pour nos sociétés de prospérité sans innovation. Or, selon lui, l'utilisation abusive de ce que les Américains appellent les copyright laws, le droit de la propriété intellectuelle, tend à limiter l'innovation.

D'un outil destiné à défendre la publication de leurs oeuvres par les auteurs, ce droit est devenu un moyen de protéger des pratiques liées à une activité ou bien des technologies."Les entreprises utilisent ces droits et cherchent à en allonger la durée pour freiner les innovations qui ne rentrent pas dans le cadre de leur développement". Le Digital Millenium Copyright Act, loi américaine de protection du copyright à l'ère d'Internet, vaut ainsi à Dmitri Sklyarov, un informaticien russe d'être emprisonné pour avoir conçu un programme pour les personnes non-voyantes qui déjouait les protections antipiratage du logiciel de livre électronique eBook d'Adobe.

Reste à savoir comment les citoyens, les internautes peuvent se battre contre cette privatisation du Net et contre l'utilisation abusive des droits d'auteur. "Après la pétition lancée par l'association EuroLinux, en 1999, rappelle-t-il, la France a entrepris de lutter contre l'extension du droit des brevets au logiciel. Ce dont le monde a besoin, c'est que les gouvernements et les citoyens des autres pays interpellent l'Amérique sur ses pratiques légales... Mais il est peu probable que le droit américain soit sensible à ces démonstrations." Un constat qui explique le regard pessimiste que jette Lawrence Lessig sur l'avenir du Net.

Lawrence Lessig est professeur de droit à Stanford et créateur du centre de droit pour Internet et la société. Il a commencé à enseigner à l'université de Chicago, puis à Harvard et à Stanford depuis deux ans. Il a publié deux livres : Future of Ideas : The Fate of the Commons in a Connected World, chez Random House en 2001 et Code, and Other Laws of Cyberspace, chez Basic Books, en 1999.

http://lessig.org/
http://code-is-law.org/
http://cyberlaw.stanford.edu/future/

 

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