La polémique sur le rôle des télévisions et leur traitement de
l'insécurité pendant la campagne présidentielle a été relancée jeudi
9 mai par Julien Dray, l'un des animateurs de la Gauche socialiste.
Dans un entretien à Radio Shalom, dans l'émission "Carnets de
campagne" diffusée jeudi à 18 h 30, il s'en est vivement pris à TF1,
en estimant que la chaîne privée "pourrait s'appeler TFN"
(Télévision Front national). "Il y a une chaîne de télévision
qui porte une part particulière de responsabilité, elle s'appelle
TF1, elle pourrait s'appeler TFN pour être clair", a-t-il lancé.
Laissant entendre que TF1 avait accordé une trop large place aux
phénomènes d'insécurité et fait ainsi le lit du Front national, M.
Dray, député PS de l'Essonne, a dit "assumer la responsabilité
des accusations" qu'il porte.
"Je mets en cause cette chaîne de télévision pour la manière
dont elle a mis en scène l'insécurité, dont elle en a fait un
leitmotiv quotidien délibérément en sachant qu'elle ne présentait
pas la réalité de l'état de la société française", a-t-il
déclaré. Evoquant "un certain nombre de présentateurs de chaînes
de télévision", Julien Dray a affirmé qu'il ne "leur laissera
rien passer" et qu'ils "auront des comptes à rendre",
ajoutant "c'est fini la rigolade, on ne va pas me balader". "J'en
ai assez de ces spectacles, de ces reconstitutions qui n'ont rien à
voir, de ces castings à l'américaine", a-t-il enchaîné, se
disant prêt à débattre avec Patrick Poivre d'Arvor, présentateur du
journal de 20 heures de la Une, ou Charles Villeneuve, producteur de
deux émissions de la chaîne, "Appels d'urgence" et "Le Droit de
savoir". "Moi, je suis élu de quartier difficile, je sais ce que
c'est et je n'utilise pas le malheur des gens, la souffrance que ça
représente pour faire élire mes copains", a-t-il conclu.
Pour le directeur de la rédaction de TF1, Robert Namias,
interrogé par l'AFP, ces propos sont "insultants et absurdes".
"Il suffirait de regarder les journaux de ces dernières semaines
pour voir qu'il n'y a pas eu la moindre connivence de TF1 avec le
Front national, et c'est un euphémisme", a-t-il fait valoir,
estimant que la chaîne privée avait "restitué une préoccupation
majeure d'un certain nombre de Français et traduit un certain nombre
de faits qu'elle n'a en rien provoqués". "A côté des faits de
délinquance et d'insécurité, nous avons également montré un certain
nombre d'actions menées par des associations pour s'y opposer",
a-t-il encore souligné.
Etienne Mougeotte, vice-président de TF1, affirmait quant à lui
dans le Monde du 4 mai : "Ce n'est pas la télévision qui
génère l'insécurité, c'est la montée de l'insécurité qui justifie
que la télévision en parle". De son côté, Patrick Poivre d'Arvor
avait déclaré à l'hebdomadaire Le Nouvel Observateur cette
semaine : "J'ai vérifié les conducteurs de tous les '20 heures'
depuis janvier. Les sujets sur l'insécurité représentent en moyenne
10 % du JT, dont 83 reportages positifs sur les associations qui
luttent contre la délinquance, sur les grands frères".
Dans Le Parisien de vendredi 10 mai, M. Dray revient sur
"cette provoc" très volontaire, qu'il assume. Il précise
toutefois que dans son esprit "TFN" cela veut dire
"TF-haine", et non pas "Télé-Front National". La
formule de Julien Dray reprend ce que l'on pouvait lire sur
certaines pancartes lors de la grande manifestation qui avait réuni
près d'un demi-million de personnes (selon les chiffres de la
police), le 1er Mai à Paris. Le sigle bleu-blanc-rouge de TF1 y
était travesti en "TFN" avec, au-dessous, quelques mots pour
justifier l'attaque : "l'insécurité 24 heures sur 24, 7 jours sur
7". Le 21 avril au soir, déjà, lors du rassemblement spontané
qui s'était formé dans les rues de la capitale après les résultats
du premier tour, des slogans hostiles aux médias avaient été lancés
dans la foule.
Le thème de l'insécurité a été omniprésent sur les écrans pendant
toutes les semaines qui ont précédé le premier tour de l'élection
présidentielle. Pas uniquement lors des journaux télévisés mais
aussi dans les magazines d'information. Ainsi, sur TF1, les derniers
sommaires de l'émission "Le Droit de savoir", produite et dirigée
par Charles Villeneuve, ont présenté des enquêtes sur les "voyous
génération 2000, une enquête sur la nouvelle délinquance" (26
mars) ou encore sur "banlieues, enquête sur des violences sans
remède" (9 avril). M. Villeneuve affirme que "4 des 16
émissions Le Droit de savoir ont porté sur l'insécurité".
C'est, selon lui, le même pourcentage depuis la création du magazine
en 1993. "J'invite M. Dray à venir s'intégrer à des équipes de
journalistes et il verra bien. (...) Je réfute
fondamentalement le mot de 'mise en scène', je crois que la réalité
de la violence effraie M. Dray." Le producteur affirme avoir
refusé de diffuser deux scènes de meurtre et six agressions au
couteau.
Un fait divers sordide, l'incendie le 19 avril à Orléans, du
modeste pavillon d'un septuagénaire, Paul Voise, précédemment roué
de coups par deux jeunes hommes qui avaient tenté en vain de le
racketter, a précipité la critique contre les télévisions. Nombreux
observateurs se demandent si toutes les chaînes — TF1 n'étant pas la
seule accusée — ont joué les apprentis sorciers en suivant une ligne
éditoriale incertaine dans le but de faire de l'Audimat. Prise entre
les objectifs d'audience et les missions de service public de la
chaîne, la société des journalistes de France 2 s'est livrée le 30
avril à une large séance d'autocritique, en fustigeant au passage
"l'orientation trop populiste" donnée par le directeur de
l'information de la chaîne, Olivier Mazerolle (Le Monde du 4
mai). Si "Envoyé spécial" de France 2 est aussi critiqué, M6 est
également accusée d'en faire beaucoup avec "Zone interdite" tandis
que Jacques Julliard, directeur délégué du Nouvel
Observateur, considère que la "guignolisation" de la
politique sur Canal+ a également fortement contribué à faire le lit
du lepénisme.
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