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  M. Dray met les pieds dans le PAF | AFP
M. Dray met les pieds dans le PAF | AFP

Julien Dray relance le débat sur la responsabilité des télévisions dans la percée de M. Le Pen

TF1 "pourrait s'appeler TFN", a affirmé le député socialiste de l'Essonne, critiquant la façon dont la chaîne a traité les sujets sur l'insécurité pendant la campagne présidentielle.
Le Monde | 10.05.02

La polémique sur le rôle des télévisions et leur traitement de l'insécurité pendant la campagne présidentielle a été relancée jeudi 9 mai par Julien Dray, l'un des animateurs de la Gauche socialiste. Dans un entretien à Radio Shalom, dans l'émission "Carnets de campagne" diffusée jeudi à 18 h 30, il s'en est vivement pris à TF1, en estimant que la chaîne privée "pourrait s'appeler TFN" (Télévision Front national). "Il y a une chaîne de télévision qui porte une part particulière de responsabilité, elle s'appelle TF1, elle pourrait s'appeler TFN pour être clair", a-t-il lancé. Laissant entendre que TF1 avait accordé une trop large place aux phénomènes d'insécurité et fait ainsi le lit du Front national, M. Dray, député PS de l'Essonne, a dit "assumer la responsabilité des accusations" qu'il porte.

"Je mets en cause cette chaîne de télévision pour la manière dont elle a mis en scène l'insécurité, dont elle en a fait un leitmotiv quotidien délibérément en sachant qu'elle ne présentait pas la réalité de l'état de la société française", a-t-il déclaré. Evoquant "un certain nombre de présentateurs de chaînes de télévision", Julien Dray a affirmé qu'il ne "leur laissera rien passer" et qu'ils "auront des comptes à rendre", ajoutant "c'est fini la rigolade, on ne va pas me balader". "J'en ai assez de ces spectacles, de ces reconstitutions qui n'ont rien à voir, de ces castings à l'américaine", a-t-il enchaîné, se disant prêt à débattre avec Patrick Poivre d'Arvor, présentateur du journal de 20 heures de la Une, ou Charles Villeneuve, producteur de deux émissions de la chaîne, "Appels d'urgence" et "Le Droit de savoir". "Moi, je suis élu de quartier difficile, je sais ce que c'est et je n'utilise pas le malheur des gens, la souffrance que ça représente pour faire élire mes copains", a-t-il conclu.

Pour le directeur de la rédaction de TF1, Robert Namias, interrogé par l'AFP, ces propos sont "insultants et absurdes". "Il suffirait de regarder les journaux de ces dernières semaines pour voir qu'il n'y a pas eu la moindre connivence de TF1 avec le Front national, et c'est un euphémisme", a-t-il fait valoir, estimant que la chaîne privée avait "restitué une préoccupation majeure d'un certain nombre de Français et traduit un certain nombre de faits qu'elle n'a en rien provoqués". "A côté des faits de délinquance et d'insécurité, nous avons également montré un certain nombre d'actions menées par des associations pour s'y opposer", a-t-il encore souligné.

Etienne Mougeotte, vice-président de TF1, affirmait quant à lui dans le Monde du 4 mai : "Ce n'est pas la télévision qui génère l'insécurité, c'est la montée de l'insécurité qui justifie que la télévision en parle". De son côté, Patrick Poivre d'Arvor avait déclaré à l'hebdomadaire Le Nouvel Observateur cette semaine : "J'ai vérifié les conducteurs de tous les '20 heures' depuis janvier. Les sujets sur l'insécurité représentent en moyenne 10 % du JT, dont 83 reportages positifs sur les associations qui luttent contre la délinquance, sur les grands frères".

Dans Le Parisien de vendredi 10 mai, M. Dray revient sur "cette provoc" très volontaire, qu'il assume. Il précise toutefois que dans son esprit "TFN" cela veut dire "TF-haine", et non pas "Télé-Front National". La formule de Julien Dray reprend ce que l'on pouvait lire sur certaines pancartes lors de la grande manifestation qui avait réuni près d'un demi-million de personnes (selon les chiffres de la police), le 1er Mai à Paris. Le sigle bleu-blanc-rouge de TF1 y était travesti en "TFN" avec, au-dessous, quelques mots pour justifier l'attaque : "l'insécurité 24 heures sur 24, 7 jours sur 7". Le 21 avril au soir, déjà, lors du rassemblement spontané qui s'était formé dans les rues de la capitale après les résultats du premier tour, des slogans hostiles aux médias avaient été lancés dans la foule.

Le thème de l'insécurité a été omniprésent sur les écrans pendant toutes les semaines qui ont précédé le premier tour de l'élection présidentielle. Pas uniquement lors des journaux télévisés mais aussi dans les magazines d'information. Ainsi, sur TF1, les derniers sommaires de l'émission "Le Droit de savoir", produite et dirigée par Charles Villeneuve, ont présenté des enquêtes sur les "voyous génération 2000, une enquête sur la nouvelle délinquance" (26 mars) ou encore sur "banlieues, enquête sur des violences sans remède" (9 avril). M. Villeneuve affirme que "4 des 16 émissions Le Droit de savoir ont porté sur l'insécurité". C'est, selon lui, le même pourcentage depuis la création du magazine en 1993. "J'invite M. Dray à venir s'intégrer à des équipes de journalistes et il verra bien. (...) Je réfute fondamentalement le mot de 'mise en scène', je crois que la réalité de la violence effraie M. Dray." Le producteur affirme avoir refusé de diffuser deux scènes de meurtre et six agressions au couteau.

Un fait divers sordide, l'incendie le 19 avril à Orléans, du modeste pavillon d'un septuagénaire, Paul Voise, précédemment roué de coups par deux jeunes hommes qui avaient tenté en vain de le racketter, a précipité la critique contre les télévisions. Nombreux observateurs se demandent si toutes les chaînes — TF1 n'étant pas la seule accusée — ont joué les apprentis sorciers en suivant une ligne éditoriale incertaine dans le but de faire de l'Audimat. Prise entre les objectifs d'audience et les missions de service public de la chaîne, la société des journalistes de France 2 s'est livrée le 30 avril à une large séance d'autocritique, en fustigeant au passage "l'orientation trop populiste" donnée par le directeur de l'information de la chaîne, Olivier Mazerolle (Le Monde du 4 mai). Si "Envoyé spécial" de France 2 est aussi critiqué, M6 est également accusée d'en faire beaucoup avec "Zone interdite" tandis que Jacques Julliard, directeur délégué du Nouvel Observateur, considère que la "guignolisation" de la politique sur Canal+ a également fortement contribué à faire le lit du lepénisme.

Service Communication

Article paru dans Le Monde du 11.05.02

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