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Quand la nature inspire la technologie des mini-robots

• LE MONDE | 04.06.02 | 10h38

De tout temps, l'homme s'est inspiré de la nature pour concevoir et développer des objets manufacturés. Ce biomimétisme est une tradition millénaire où se sont illustrés nombre d'inventeurs, à commencer par le plus fameux d'entre eux, Léonard de Vinci. "Très tôt, on a fait le lien entre la beauté des formes des matériaux et organismes naturels et leur fonction", rappelle Jérôme Casas, directeur de l'Institut de recherche sur la biologie de l'insecte de la faculté des sciences et techniques de Tours. Machines volantes, habitats, matériaux composites, robots, prothèses artificielles... La liste des applications réalisées, ou seulement imaginées, grâce à cette approche, est longue. Et qu'on l'appelle biomimétisme, biomimesis ou bionic, elle est loin d'être abandonnée aujourd'hui ! On essaye toujours de copier la perfection et la beauté de la nature, en particulier celles du monde animal.

Ce qui est nouveau, c'est la multiplication récente de projets consistant à se pencher sur les systèmes de perception des animaux, à étudier comment l'organisme animal évolue dans son environnement physique et à s'en inspirer. Comment les arthropodes, les céphalopodes, les poissons, les amphibiens, les oiseaux et les mammifères, captent-ils et fusionnent-ils les informations sensorielles ? Comment les utilisent-ils pour ensuite agir ? Ne peut-on, une fois ces informations recueillies, copier dans un monde miniature hautement technique ces ingénieux systèmes issus de milliards d'années d'évolution.

C'est le cas du sonar des chauves-souris qui, dans leur vol nocturne, évitent les multiples obstacles de leur environnement grâce à un étonnant système d'écholocation. Dans l'obscurité, rappelle Herbert Peremans, ingénieur à la faculté Saint-Ignace d'Anvers (Belgique), "les oreilles d'une chauve-souris n'arrêtent pas de modifier leur forme, leur mouvement et leur orientation". Mais le fonctionnement en finesse de ce biosonar est, estime-t-il, dû à la petite taille, à la plasticité et à la mobilité des organes d'émission et de réception des ondes ultrasoniques.

Créer, comme il l'envisage, une tête de chauve-souris "bionique" dont les performances dépasseraient celles des systèmes déjà mis au point, demande donc de "construire" petit. Pas plus de 4 à 8 centimètres de diamètre, comme l'animal. Et c'est dans ce volume réduit que devra trouver place l'équipement nécessaire à l'écholocation : des transducteurs minuscules pour l'émission et la réception d'ultrasons à l'échelle requise, des circuits électroniques complexes et un système micromécanique à multiples degrés de liberté permettant de contrôler la forme et les mouvements de minuscules radars. Ces derniers seront constitués d'une "bouche", d'un "nez" et d'"oreilles", conçus pour répondre le mieux possible à la fonction envisagée, toujours en se fondant sur les modèles observés chez la chauve-souris.

Cet ambitieux projet, Circe (Chiroptera-Inspired Robotic Cephaloid), a démarré au mois de mai. Il est coordonné par Herbert Peremans et mené par un consortium européen pluridisciplinaire comprenant des spécialistes de biologie et de neuroscience de l'écholocation, des experts en micromécanique, en robotique, en électromécanique, en conception de systèmes digitaux, etc.

Car, en amont de la réalisation d'un robot doté des capacités biosoniques d'une chauve-souris, toute une série d'études doit être entreprise. Par exemple, déterminer comment les données sensorielles sont recueillies et traitées chez l'animal, ce qui devrait conduire à l'implantation dans la "tête" bionique d'éléments neuromorphiques - comme une cochlée artificielle, partie de l'oreille interne contenant les terminaisons du nerf auditif - destinés à réaliser les opérations de traitement de signal. Un des objectifs du projet est de mieux connaître le comportement sensorimoteur de la chauve-souris en le testant grandeur nature.

Des applications plus pratiques sont évidemment aussi envisagées, notamment dans le domaine de la robotique, pour étendre les capacités des robots à évoluer dans un environnement complexe à trois dimensions. Selon Herbert Peremans, à terme, ce système pourrait aussi être développé pour aider les non-voyants ou pour augmenter le niveau de contrôle de chaises roulantes hypersophistiquées. Certains projets sont plus "fondamentaux", comme Sense-Maker, qui vise à concevoir et réaliser un système artificiel de "fusion sensorielle". Conduit par Martin McGinnity, de l'université d'Ulster, ce programme associe des équipes de neurophysiologie et de neurosciences computationnelles, notamment celle d'Alain Destexhe, au CNRS de Gif-sur-Yvette, et des équipes d'ingénieurs et d'électroniciens pour la réalisation d'ordinateurs.

L'Europe n'est pas la seule à s'intéresser fortement à ce domaine. Les USA et le Japon ont une longue tradition de robotique, et les échanges entre les sciences du vivant et l'ingénierie y sont assez répandus. Les projets de bionique focalisée sur les systèmes sensoriels s'y sont aussi beaucoup multipliés ces derniers mois. La National Science Foundation américaine qui voulait l'année dernière lancer une initiative similaire à celle de la Commission européenne a dû, cependant, renoncer à ce programme, les événements du 11 septembre ayant quelque peu bouleversé les priorités du pays en matière de recherche.

Mais pourquoi cet engouement accru pour les systèmes de perception intégrés ? La raison principale en est que, grâce à l'évolution de l'instrumentation et des techniques, on peut désormais revisiter certaines problématiques, mesurer des phénomènes infiniment petits et fabriquer des micro et des nanostructures. Beaucoup de chercheurs travaillant dans ce domaine pensent aussi qu'une meilleure compréhension des systèmes de perception du vivant peut jouer un rôle important dans les technologies informatiques. De plus, les capteurs et systèmes sensoriels sont des éléments clés pour obtenir un comportement adaptatif et "intelligent", aussi bien pour les robots complexes, humanoïdes, que pour toutes sortes de machines et de produits de notre civilisation : machines à laver, four, etc.

Catherine Tastemain


15 millions d'euros pour dix projets

Circe émane, en fait, d'un appel d'offres lancé par le programme Future and Emerging Technologies de la Commission européenne, dans le cadre d'une toute nouvelle initiative Life-Like Perception Systems. Suivant l'avis d'un groupe d'experts européens et de responsables de centres de recherche, la Commission a, en effet, décidé de soutenir des projets interdisciplinaires visant à "créer des systèmes perception-réponse intégrés, inspirés des solutions trouvées par les organismes vivants".

Au total, 15 millions d'euros ont été ainsi alloués, en février dernier, à dix projets parmi une quarantaine présentés. Ces projets, qui débutent tous en mai et juin, portent aussi bien sur l'étude de modèles animaux, comme la chauve-souris ou le criquet, que sur l'homme, telle la mise au point, par les équipes réunies autour du professeur Paolo Dario, d'une main artificielle dotée du sens du toucher et de la capacité de préhension, ce qui implique une représentation des stimuli dans le système nerveux central.

• ARTICLE PARU DANS L'EDITION DU 05.06.02

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