De l'œil de la mouche aux poils de criquet • LE MONDE | 04.06.02 | 10h56 "Ce qui se développe de manière remarquable en ce moment, c'est la "bionic du traitement de signal". Un domaine d'activité qui vise à extraire les principes du traitement de signal chez un animal puis à les incorporer, grâce aux possibilités extraordinaires de l'électronique et à la miniaturisation, dans un robot", explique Nicolas Franceschini, du département de biorobotique du CNRS à Marseille. L'équipe qu'il dirige travaille depuis dix-sept ans à la fois sur le système nerveux - en particulier le système visuel des insectes - et sur des applications robotiques. Elle a été l'une des premières au monde à construire des robots qui se guident automatiquement par la vision. L'un d'eux, un robot-œil de mouche, fait d'ailleurs les beaux jours de la Cité des sciences de La Villette, où il est exposé depuis huit ans. Pourquoi l'œil de la mouche ? "Parce qu'on se perd moins dans un fouillis de neurones", répond Nicolas Franceschini. L'œil mosaïque de la mouche ne se compose que de 3 000 unités élémentaires (facettes) dont chacune, braquée dans une direction donnée de l'espace, porte huit cellules photoréceptrices qui se prolongent vers un cerveau minuscule. De plus, "ces insectes naviguent dans les trois dimensions avec un cerveau d'un million de neurones, soit un million de fois moins que celui de l'homme." Des yeux de la mouche sont donc l'illustration vivante que, pour assurer une vision tridimensionnelle, il n'est pas nécessaire de recourir à deux ou trois caméras équipées de capteur de plusieurs centaines de milliers de pixels. Trois mille pixels suffisent. La mouche en est la vivante démonstration. OSCAR, LE DERNIER ROBOT Du robot-mouche ambulatoire, le groupe de Nicolas Franceschini est passé à la construction d'objets volants miniatures équipés d'une part d'un système visuel sensible au mouvement pour suivre le terrain et éviter les obstacles et de l'autre de microcaméras retransmettant des images. Une gageure. Pourtant, Oscar, le dernier robot de démonstration, pèse moins de 100 grammes. Deux hélices lui permettent de tourner autour d'un axe vertical. Son "œil" est composé de photorécepteurs dont les "prolongements" électroniques sont calqués sur les neurones détecteurs de mouvements et traitent en parallèle le signal visuel. Ainsi, il est capable de piloter ses deux hélices de manière différentielle, pour tourner, garder son œil sur une cible visuelle ou la suivre du "regard". La vision n'est pas le seul sens qui intéresse les chercheurs. Certains se passionnent aujourd'hui pour les poils de longueur différente, les "cerci", que les criquets possèdent sur l'arrière-train. Des senseurs qui leur permettent de recueillir des informations sur le flux d'air, les sons, la température, l'humidité, les vibrations, etc. Pour Jérôme Casas, directeur de l'Institut de recherche sur la biologie de l'insecte de la faculté des sciences et techniques de Tours, "il s'agit là des capteurs sensoriels les plus sensibles que l'on connaisse". Il y a quatre ans, Tim Chapman, du département de psychologie de l'université de Stirling (Grande-Bretagne), a d'ailleurs doté un robot mobile miniature d'une dizaine de "poils" et d'un réseau neuronal algorithmique. Son objectif : modéliser et donc mieux comprendre le comportement de fuite du criquet devant un prédateur. Plus ambitieux : le projet Cicada (Cricket Inspired perCeption and Autonomous Decision Automata), coordonné par Jérôme Casas dans le cadre de l'initiative européenne Life-Like Perception System. "Notre approche, explique le chercheur, est d'essayer de faire tenir de nombreux capteurs minuscules - des anémomètres - figurant les poils sur une surface de 2 millimètres carrés."Son idée : comprendre pourquoi tant de poils sont nécessaires. Est-ce que certains répondent seulement à un type de stimulus donné ? Est-ce que d'autres restent constamment en alerte ? C'est l'équipe du professeur Miko Elwenspoek, du laboratoire de technologies des transducteurs à l'université de Twente (Pays-Bas) qui est chargée du développement des MEMS (MicroElectroMechanicalSystems) qui serviront d'anémomètres. Autre point important : le micro-robot qui sera mis au point - d'ici trois ans si tout va bien - devrait se passer de circuits électriques pour l'interface entre les micro-capteurs (MEMS) et la partie silicium (ordinateur) du système. A la place, ce seront des... cultures de cellules qui transmettront les messages. Catherine Tastemain |
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