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Un journaliste du Monde aurait (peut-être pas) retrouvé Ben Laden sur l'Internet

25 juillet 2002

par ARNO*

Sous toute réserve et selon des sources officieuses, il se pourrait que le journal Le Monde nous ait pondu un article affreusement fainéant mais joyeusement alarmiste au sujet de la présence éventuelle d'Al-Qaida sur le Réseau. Edouard Pflimlin a lu USA Today, car nous sommes tous des Américains, et nous en livre donc un résumé quinze jours plus tard, en y mettant tout plein de verbes au conditionnel, au lieu d'aller à Paris-plage.

« les groupes islamistes radicaux utilisent de plus en plus Internet pour mener leur djihad contre l'Occident  ». Pour l'instant, l'affirmatif est de rigueur, histoire d'inquiéter le lecteur. Le reste de l'article passera rapidement au conditionnel et à l'approximatif.

« ...avec peu de chances d'être appréhendés par le FBI ou la CIA. En effet, la majeure partie des informations sont écrites en arabe, et cryptées ou brouillées. » Mieux que PGP : pour ne pas pouvoir être écouté par le FBI et la CIA réunis et échapper aux grandes oreilles d'Echelon et Carnivore, il suffit d'écrire en arabe ! Le lecteur pourra d'abord s'étonner que des arabophones utilisent l'arabe comme langue de communication. Mais à y réfléchir de plus près, l'arabe est bien la langue du Coran, donc il s'agit très probablement d'islamistes, CQFD. Le même lecteur curieux pourra se demander quelle est la différence entre un message « crypté » et une information « brouillée » ; on pourra aussi se demander s'il faut d'abord écrire en arabe puis crypter puis brouiller, où s'il faut d'abord brouiller, puis crypter et enfin traduire le résultat en arabe. On verra plus loin que tout cela est superflu : il suffit qu'un article en anglais évoque un site en arabe pour qu'un journaliste du Monde ne puisse plus vérifier ses informations (ce qu'en jargon cryptologique on nomme un algorithme à « double clé linguistique »).

« Les données cryptées sont cachées dans des photographies digitalisées, ce qui les rend impossibles à trouver ou à lire. » Impossibles à trouver ou à lire, mais on croira sur parole l'éminent journaliste qui, lui, sait intercepter les messages en stéganographie cryptés en arabe... Mais l'exploit se s'arrête pas là : « les groupes islamiques changent régulièrement les adresses de leurs sites pour brouiller les pistes. » Donc y'a des messages que personne n'est capable de repérer, et des sites que personne ne peut retrouver, avec des adresses que personne ne connaît ; c'est bien la preuve qu'il se trame des choses secrètes qu'on nous cache.

Le paragraphe suivant est un grand moment de journalisme d'investigation : « Selon des sources officielles américaines » (lesquelles ?), « peu de doutes subsistent » (mais un peu tout de même, la réalité est complexe) sur le fait qu'Al-Qaida utilise le Web. La preuve : Abou Zoubaydah, « suspecté » d'être le chef des opérations de Ben Laden, « aurait employé » un site... Donc, un certain Zoubidoubah, qui est peut-être ou peut-être pas lié à Ben Laden, a peut-être ou peut-être pas utilisé un site Web, d'ailleurs des doutes subsistent mais pas tellement, selon des sources officielles dont nous tairons le nom (parce que peut-être que si je me risquais à vous donner au moins une véritable information précise, je pourrais me tromper, voire suivre les communiqués du secrétariat d'Etat américain).

« des membres d'Al-Qaida ont envoyé à partir de web-cafés au Pakistan des centaines de messages cryptés via les forums de discussion (chatrooms) ». Comment reconnaît-on des membres d'Al-Qaida dans un cyber-café au Pakistan ? Ils présentent leur carte d'adhérent ? Cela dit, c'est une activité « suggérant » la préparation d'une nouvelle attaque (mais peut-être pas). D'ailleurs, « "Alneda" pourrait réapparaître prochainement sur d'autres serveurs.  » (ou peut-être pas).

Le paragraphe approximatif et bourré de conditionnels contient une unique certitude : « Il est cependant très difficile de réguler les sites sur Internet. ». Ben voyons...

« D'autres sites servent plus au financement du terrorisme. » On n'en doute pas... on peut payer par carte bleue ? La connexion est sécurisée ? Le terrorisme islamiste radical serait donc la seule startup capable de gagner de l'argent avec un site Web ?

Nouveau grand moment du journalisme d'investigation : « Dans cet ensemble émergeraient des sites moins violents comme "alsaha.com", dont certains forums de discussion critiquent Ben Laden, selon USA Today. » Donc, le journaliste qui n'est pas foutu d'aller se connecter à un site dont l'adresse est connue (ah oui, mais c'est crypté en arabe, alors je vais croire USA Today) nous affirme que des forums « critiquent Ben Laden » (affirmation) sur des sites qui « émergeraient » (conditionnel) - alors, il existe ce site ou non, et il critique le Ben ou non ?

Ce qui n'empêche pas une nouvelle affirmation (une connerie répétée 100 fois devenant une vérité) : « Il reste que les sites radicaux prolifèrent. » On apprenait plus haut que ces sites étaient difficiles à trouver, parce que leur adresse changeait régulièrement ; mais ça n'empêche pas de décréter, au pifomètre, qu'ils prolifèrent.

Finalement, c'est mignon de les voir s'amuser comme des petits fous : « créer [des sites Web] est en effet un jeu d'enfant pour les islamistes radicaux. » Et pour les webmestres qui n'ont pas reçu une formation d'islamiste radical en Afghanistan, c'est plus compliqué ?

Non, c'est pas plus compliqué, vu que, tremblez braves gens : « "alneda.com" n'a coûté que 87 dollars par an pour être hébergé en Malaisie. ». Vous vous rendez compte, c'est pas plus cher de se faire héberger un site de terroriste qu'une homepage perso au sujet de la vie de mon chat ! C'est vraiment n'importe quoi cet internet...


Information de dernière minute : selon des sources officielles du Turkmenistan oriental, il se pourrait que des messages téléphoniques entre des membres non encore identifiés d'Al-Qaida, dans une langue que la CIA et le FBI n'ont pas réussi à comprendre (sans doute de l'arabe, mais cela reste à confirmer), aient échappé à la surveillance des Awacs américains. Cette prolifération de communications non-encore détectées, mais sur l'existence desquelles peu de doutes substistent, laisserait supposer une nouvelle attaque contre l'Occident. Cette attaque, dont la nature nous est inconnue, pourrait être menée grâce à des armes nucléaires qui tiendraient dans une valise ; certes on ne sait pas si de telles armes existent, ni si les terroristes du réseau Al-Qaida ont pu s'en procurer, mais des sources autorisées confirment que si de telles armes existaient, on trouve déjà sur le marché des valises qui pourraient les abriter. Cependant, il est aujourd'hui très difficile de contrôler la vente des valises, dont certaines coûtent, indique USA Today, moins de 50 dollars (c'est-à-dire environ 50 euros) ; selon un spécialiste cité par un journal, « aujourd'hui, se procurer une valise est devenu un jeu d'enfant pour les islamistes radicaux ».

ARNO*

P.S. On nous signale (de source anonyme) que USA Today est un canard populaire comparable, au mieux, au Parisien et, au pire, à France Soir. Une source de qualité pour le quotidien du soir de référence d'ici chez nous.