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Les administrateurs d'Enron, eux aussi, savaient...

• LE MONDE | 08.07.02 | 12h21

• MIS A JOUR LE 08.07.02 | 12h35

New york de notre correspondant

" Pendant des années, le conseil a été alerté sur les pratiques douteuses et les a ignorées, au détriment des actionnaires et des salariés..." Un rapport parlementaire, rendu public dimanche 7 juillet, met pour la première fois directement en cause les administrateurs d'Enron. La faillite, le 2 décembre 2001, du groupe énergétique texan a été la plus importante de l'histoire des Etats-Unis. Elle est le point de départ de la vague de scandales sur les manipulations comptables de grandes entreprises américaines. Le document de 60 pages fait la synthèse de six mois d'investigations menées par la sous-commission d'enquête permanente du Sénat. " La plupart des fraudes étaient connues du conseil [d'administration] : les pratiques comptables à haut risques, les conflits d'intérêts, les opérations hors bilan et les rémunérations excessives des dirigeants... Le conseil a contribué à l'effondrement de la société et en porte une part de responsabilité", dit encore le document.

Pour le sénateur démocrate Carl Levin, président de la sous-commission, " les administrateurs étaient supposés contrôler le management de façon indépendante, ils ne l'ont pas fait". Ils étaient en revanche particulièrement soignés. Les jetons de présence se montaient à 350 000 dollars par an, pour l'essentiel sous forme de stock-options, le double de la rémunération versée en moyenne aux Etats-Unis par les 200 premières entreprises aux membres de leurs conseils.

Au mépris de toutes les règles, des administrateurs ont même été payés par la société pour des activités de consultants.

"AU-DELÀ DES LIMITES"

" Dans certains cas, les membres du conseil ont été mal informés ou trompés... mais globalement, ils ont reçu des informations substantielles... et ont ignoré les mises en garde", indique le rapport. Dès février 1999, David Duncan, partenaire du cabinet Arthur Andersen, le commissaire aux comptes du groupe texan, a averti le comité d'audit que les méthodes comptables utilisées étaient " à la limite" et même " au-delà des limites". M. Duncan était le principal témoin dans le procès criminel intenté au début de l'année à Andersen pour " obstruction à la justice" après la découverte de la destruction de documents liés à Enron.

Le cabinet a été jugé coupable le 15 juin. En mai 2000, la commission financière du conseil d'Enron a été informée qu'un partenariat mis en place par le directeur financier Andrew Fastow avait rapporté 2 milliards de dollars de revenus en six mois. Personne ne s'est demandé comment cela était possible.

Afin de dissimuler pertes et dettes, les dirigeants d'Enron ont créé au fil des années des centaines de filiales et de partenariats. En apparence, les engagements étaient couverts par une tierce partie. En fait, seul Enron avait des intérêts dans ces entités. Le rapport évalue ces opérations " entre 15 et 20 milliards de dollars". Les administrateurs ont toujours affirmé ne pas en connaître la nature exacte. " Ils ont pourtant permis à la société de sortir peu à peu de son bilan au moins 27 milliards de dollars, plus de la moitié de ses actifs", souligne l'étude. La même commission financière a su en avril 2001 qu'Enron serait contraint d'émettre des dizaines de millions d'actions nouvelles si les cours baissaient, afin de garantir un certain nombre de ses partenariats.

Le conseil a aussi fermé les yeux sur la façon dont les dirigeants se sont enrichis. Au cours de la seule année 2000, ils ont touché 750 millions de dollars de bonus divers, tandis que les bénéfices de la société atteignaient 975 millions. Les administrateurs étaient informés de la participation à titre personnel de cadres aux partenariats qui leur a rapporté des dizaines de millions de dollars. Kenneth Lay, fondateur et ancien président d'Enron, " a utilisé en un an une ligne de crédit de 77 millions de dollars mise à sa disposition par la société pour acheter et vendre des actions Enron".

"UNE CULTURE DU MENSONGE"

Ce document est contesté par les avocats des administrateurs d'Enron. " Le conseil a été trompé par les dirigeants et les auditeurs sur des transactions aujourd'hui suspectes", explique W. Neil Eggleston au New York Times. " Ce texte est injuste et ses conclusions ne sont pas fondées", ajoute Robert Bennett, avocat à Washington. "Il fait porter au conseil une responsabilité qui va bien au-delà de ce qui est généralement compris dans cette affaire."

La tonalité du rapport parlementaire n'a en tout cas rien à voir avec celle d'une autre enquête réalisée à la demande du conseil et rendue publique le 2 février. Elle dénonçait "une véritable culture du mensonge à la tête d'Enron, les dirigeants cherchant en permanence à contourner les règles juridiques et comptables pour afficher des bénéfices inexistants et continuer à s'enrichir", mais se gardait bien de mettre en cause les administrateurs.

Ils auront aujourd'hui du mal à se disculper. Le climat a changé en six mois et le gouvernement semble décidé à faire des exemples pour rétablir la confiance dans le système. Quitte à sacrifier au passage Wendy Gramm, la femme de Bob Gramm, sénateur républicain du Texas. Elle était membre du conseil d'administration d'Enron.

Les administrateurs sont poursuivis au civil par les créanciers, les actionnaires et les salariés d'Enron, et pourraient faire l'objet d'enquêtes criminelles. Après avoir fait condamner Andersen, le département de la justice prépare la mise en accusation des dirigeants d'Enron et de certains administrateurs. Il a déjà élargi ses investigations aux grandes banques de Wall Street qui ont prêté les milliards de dollars nécessaires à la mise en place des fameux partenariats. Les procureurs fédéraux cherchent à savoir si certains banquiers n'ont pas retiré des profits personnels de ces opérations.

Eric Leser


Le discours très attendu de George Bush à Wall Street

George Bush doit prononcer mardi 9 juillet à New York, à quelques centaines de mètres de Wall Street et devant un millier de chefs d'entreprise, un discours sur les mesures que va prendre son gouvernement afin de rétablir la confiance après la vague de fraudes comptables dans les entreprises. Souvent accusé de complaisance envers le big business, le président avait présenté en mars une série de dispositions législatives renforçant la responsabilité des dirigeants d'entreprise. Mais, depuis, les scandales ont pris encore de l'ampleur.

"Le président réaffirmera sa confiance dans la solidité de l'économie et dans le comportement des entreprises. Mais tout le monde doit rendre des comptes", a déclaré dimanche 7 juillet Ari Fleischer, le porte-parole de la Maison Blanche. George Bush devrait annoncer un renforcement des sanctions, et notamment des procédures criminelles, contre les dirigeants et les administrateurs jugés coupables de fraude comptable. "Toute l'attention est portée sur la volonté de faire payer les mauvais garçons, nous devons aussi améliorer le système pour empêcher ce genre de choses de se reproduire", a déclaré le sénateur démocrate Paul Sarbanes, président de la commission bancaire.

• ARTICLE PARU DANS L'EDITION DU 09.07.02

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