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La Maison Blanche engluée dans les scandales comptables

• LE MONDE | 19.07.02 | 12h09

• MIS A JOUR LE 19.07.02 | 12h22

New York de notre correspondant

La scène est plutôt inhabituelle. Mercredi 17 juillet, à l'occasion de la réception du président polonais Alexandre Kwasniewski, George W. Bush a été contraint de défendre avec véhémence le passé de Dick Cheney. La société Halliburton, dont le vice-président des Etats-Unis était le PDG de 1995 à 2000, est soupçonnée d'avoir falsifié ses comptes. La SEC (Securities Exchange Commission), l'autorité des marchés, a ouvert une enquête à la fin du mois de mai. Une plainte a été déposée le 10 juillet contre M. Cheney par Judicial Watch, une organisation anticorruption.

En dépit des efforts de la Maison Blanche, la criminalité d'entreprises est devenue au fil des jours le sujet politique principal, éclipsant la guerre contre le terrorisme et la sécurité intérieure. "Il n'y a pas d'affaire... J'ai une grande confiance dans le vice-président. Quand je l'ai choisi, je savais qu'il était un excellent chef d'entreprise et un homme avec beaucoup d'expérience", a affirmé le président, provoquant la colère des démocrates. "Quel genre de message envoie le président à la SEC quand il déclare en substance qu'il n'y a aucune raison d'enquêter ?", s'emporte Jennifer Palmieri, une des porte-parole du parti.

Depuis la faillite d'Enron à la fin de l'année 2001, la plus importante de l'histoire des Etats-Unis, l'administration est sur la défensive. Elle a été obligée de minimiser en permanence ses liens étroits et privilégiés avec le groupe texan. Le président et fondateur d'Enron, Kenneth Lay, était le principal financier des campagnes de George Bush. Les alertes terroristes et une habileté indéniable en matière de communication ont permis jusqu'à l'été de contenir la polémique. La recette se révèle aujourd'hui insuffisante avec la multiplication des scandales, la dégringolade de Wall Street, les soupçons de complaisance et les mises en cause personnelles. Les Américains ont perdu confiance dans leurs entreprises, leurs patrons et la Bourse.

La reprise économique en est menacée. Le passé d'homme d'affaires et de dirigeant d'entreprise de George W. Bush et de Dick Cheney remonte à la surface. Il montre des pratiques pas très éloignées de celles unanimement condamnées aujourd'hui.

AVALANCHE DE QUESTIONS

Après la révélation, il y a un mois, des 4 milliards de dollars de fraudes de WorldCom, George Bush a dû, contraint et forcé, s'impliquer. Il a soudain changé de ton, s'est déclaré "scandalisé". Mais, dans ce rôle, le président a du mal à être crédible. Le 8 juillet, pour la première fois lors d'une conférence de presse, il a été acculé, poussé dans ses retranchements par une avalanche de questions sur son passé d'administrateur d'une entreprise pétrolière, la Harken Energy Corporation, et la vente dans des conditions suspectes d'actions peu avant l'annonce de mauvais résultats.

Le discours prononcé le lendemain à Wall Street devant un parterre de patrons était très attendu. Il se voulait fondateur, comme celui de Theodore Roosevelt, au début du XXe siècle, dénonçant le pouvoir exorbitant de "riches malfaiteurs". George Bush a prêché "une nouvelle éthique de responsabilité dans le monde des affaires"mais n'a pas vraiment convaincu. Dans la salle, les applaudissements étaient particulièrement timides, et la baisse s'est amplifiée à Wall Street.

George Bush s'était même fait devancer ce jour-là par les démocrates. Moins d'une heure avant son discours, les deux principaux leaders de l'opposition, le sénateur Tom Daschle et le représentant Richard Gephardt, tenaient une conférence de presse en compagnie d'anciens employés de WorldCom et d'Enron réclamant de "vraies" réformes. "Le problème n'est pas de savoir si le président partage la colère ressentie par les travailleurs et les actionnaires de ces sociétés. La question est de savoir dans quelle mesure il va réellement agir et promouvoir une législation qui va aider à résoudre le problème", déclarait Tom Daschle.

OFFENSIVE DÉMOCRATE

Incapables, depuis le 11 septembre, de trouver un terrain qui leur soit favorable, craignant d'être accusés de faire le jeu de l'ennemi dans un pays en guerre, les démocrates sont passés cette fois à l'offensive avec allégresse. Ils espèrent convaincre les électeurs avant les élections législatives de mi-mandat, en novembre, que George Bush et Dick Cheney se sont comportés comme les patrons qu'ils dénoncent aujourd'hui.

"Il y a une chose qu'ils ne peuvent pas cacher, c'est leur passé d'hommes d'affaires", affirme une porte-parole démocrate. Son parti se prépare à diffuser, à la rentrée, des campagnes télévisées où ses candidats prendront l'engagement de "protéger les emplois et les retraites" et de se tenir au côté "du peuple qui travaille dur et respecte les règles". Environ 80 millions d'Américains détiennent un portefeuille boursier, la plupart du temps afin de se constituer une retraite, et ont perdu beaucoup d'argent lors des derniers mois.

Le malaise est même perceptible dans le camp républicain, considéré dans l'opinion publique comme le parti du "big business" et qui craint d'en faire les frais. Au Congrès, les démocrates, majoritaires au Sénat, et les républicains, majoritaires à la Chambre des représentants, se sont lancés dans une compétition dont l'enjeu est de voter la loi réprimant le plus sévèrement la criminalité d'entreprise.

Les dégâts pour le gouvernement commencent maintenant à être perceptibles dans les sondages. Certes, la popularité de George Bush reste très élevée. Soixante-douze pour cent des Américains approuvent sa politique, selon une enquête d'opinion réalisée pour le Washington Post et ABC, entre le 11 et le 15 juillet, auprès de 1 500 personnes. Un nombre équivalent de personnes le jugent "honnête et méritant la confiance". Un autre sondage, réalisé pour le New York Times auprès de 1 000 personnes, entre le 13 et le 16 juillet, donne des résultats similaires. Environ 70 % des personnes interrogées soutiennent le président.

Les doutes grandissent en revanche sur sa capacité à mettre un terme aux scandales comptables. Les deux tiers des personnes questionnées par le New York Times estiment que l'administration est plus préoccupée par les intérêts des grands groupes que par ceux des simples citoyens. Les explications de M. Bush concernant son passé d'administrateur de Harken sont loin d'avoir convaincu. Quarante-huit pour cent des sondés estiment qu'il cache quelque chose et 9 % qu'il ment. Seulement 17 % pensent qu'il a dit la vérité.

Eric Leser


Tom White interrogé par le Sénat

Le membre du gouvernement le plus directement menacé aujourd'hui par les scandales comptables est Tom White, le secrétaire aux armées. Il a travaillé onze ans pour Enron et a été vice-président de la filiale de services qui fournissait de l'énergie aux petites et moyennes entreprises.

Selon Sherron Watkins, ancienne vice-présidente d'Enron, qui la première a dénoncé les irrégularités comptables, cette filiale a affiché en 2000 un profit de 105 millions de dollars en dissimulant 1 demi-milliard de pertes. Avec les bonus attachés à sa performance, M. White avait gagné cette année-là 30 millions de dollars. Interrogé, jeudi 18 juillet, par la Commission du commerce du Sénat, il a qualifié la faillite d'Enron de "tragédie absolue" et assuré soutenir "les actions engagées pour faire payer les responsables... Des milliers d'entre nous qui ont travaillé pour cette société ont été fiers de ce qu'ils ont fait", a-t-il ajouté.

Après l'audition, M. White a déclaré qu'il n'avait pas l'intention de démissionner. Sa prestation a été qualifiée d'"évasive, non argumentée et sans le moindre remords" par la sénatrice démocrate Barbara Boxer. - (Corresp.)


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