Une diatribe virulente et argumentée contre
l'interdiction du téléchargement gratuit de musique sur Internet, par une
artiste américaine, Janis Ian (http://www.janisian.com/).
Traduction : Alain Le Roux-Marini
* Peu après la parution de cet
article, Michael Greene a démissionné de son poste de président de la
NARAS.
Quand je fais des recherches pour un article,
j'envoie habituellement environ 30 emails à des amis et des connaissances
en leur demandant leurs opinions et des anecdotes. Je reçois alors 10 à 20
réponses. Mais pas sur ce sujet !
J'ai envoyé 36 emails
demandant des opinions et des faits sur le téléchargement libre de musique
sur le net. J'ai expliqué que je voulais me faire l'avocat du
diable : les téléchargments gratuits sur Internet sont bons pour
l''industrie de la musique et ses artistes.
J'ai reçu à ce hour plus de 300 réponses,
chacune de quelqu'un occupant une place reconnue dans le "music
business".
Mais ce qui est plus intéressant que les emails, ce sont
les appels téléphoniques. Je ne connais personne à la NARAS (qui a fondé
les Grammy Awards) et je connais seulement vaguement Hilary Rosen
(présidente de la Recording Industry Association of America, ou RIAA).
Malgré tout, dans les 24 heures qui ont suivi l'envoi de mon email
original, j'ai reçu deux messages de Rosen et quatre de la la NARAS me
demandant d'appeler pour "discuter de l'article".
Je ne savais pas que j'étais autant
lue.
Pour être tout à fait honnête, je dois dire que Mme Rosen
a insisté sur le fait que son seul intérêt était de présenter le point de
vue de la RIAA et a été assez aimable de m'envoyer nombre de statistiques
et de documentation, y compris un certain nombre d'études de groupes de
consommateurs que la RIAA avait menées sur le sujet.
Cependant, le
problème avec les groupes de consommateurs est le même que celui que les
anthropologistes ont en étudiant des populations – dès que leur présence
est connue, tout change. Des centaines d'études scientifiques ont montré
que n'importe quel groupe expérimental veut faire plaisir à
l'examinateur. Cela est particulièrement vrai pour les groupes de
consommateurs. Les gens de la NARAS ont été un peu plus insistants. Ils
m'ont dit que les téléchargements "détruisaient les ventes" et "vous
coûtaient de l'argent".
Me coûtaient de
l'argent ? Je ne prétends pas être une experte en droit de la
propriété intellectuelle, mais je sais une chose : si un cadre de
l'industrie musicale affirme que je dois être d'accord avec lui parce que
cela va me rapporter de l'argent, je mets la main sur mon portefeuille...
et je le vérifie après son départ, pour être sure que rien ne
manque.
Tout cette hystérie m'a t'elle rendue soupçonneuse ?
Bien évidemment. Pensez-vous que ce sujet ait été mal traité ?
Absolument. Dois-je me soucier de perdre des amis, des occasions, ma 10°
nomination aux Grammies en publiant cet article ? Certainement. Mais
parfois les choses tournent mal et quand c'est à ce
point, il faut faire quelque chose.
L'hypothèse de départ de tout ce bourrage de
crâne, c'est que l'industrie (et ses artistes) souffrent du téléchargement
gratuit.
N'importe quoi. Prenons mon expérience personnelle. Mon
site (www.janisian.com ) fait en moyenne 75 000 hits par an. Pas mal pour
quelqu'un dont le dernier tube remonte à 1975. Quand Napster marchait à
fond, on recevait environ 100 hits par mois de personnes qui avaient
téléchargé Society's Child ou At
Seventeen gratuitement et qui avaient décidé qu'ils voulaient en
savoir plus. Sur ces 100 là, (et il ne s'agit là que des 100 qui nous
disaient comment ils avaient connu le site) 15 achetaient des CDs. Pas
terribles comme ventes, hein ? Aucune maison de disques n'est
intéressée par 180 ventes supplémentaires annuelles. Mais… cela fait
$2700, ce qui représente pas mal dans ma comptabilité. Sans compter ceux
qui ont acheté les CDs dans les magasins, ou qui sont venus voir mes
spectacles.
Prenez aussi l'écrivain Mercedes Lackey, qui occupe des
étagères entières dans les librairies et les bibliothèques. Il y a 15 ans,
elle a publié un série de livres comprenant le mot "Flèches" dans le
titre ; elle gagne des royalties depuis. Cependant, après avoir mis
le premier livre de la série "Flèches" sur le site d'Eric Flint "Baen Free
Library" (la bibliothèque Baen gratuite), elle reçut trois fois plus de
royalties que d'habitude. En fait, les paiements sur tous ses anciens
livres avaient augmenté, de façon soudaine et significative, le seul
changement étant la disponibilité de ce livre gratuit. Je ne sais pas
vous, mais en tant qu'artiste disposant d'un catalogue remontant à 1965,
j'aurais été excitée de voir les ventes de mon vieux catalogue
augmenter.
Lackey dit "C'est ce à quoi je m'attendrais si une file
de personnes qui n'avaient jamais lu mes livres en découvraient un
gratuitement... ils ont commencé à remonter toute la série." J'ai
découvert à plusieurs reprises que cela était vrai. Chaque fois que nous
mettons quelques chansons à disposition sur mon site, les ventes de tous
les CDs augmentent. Beaucoup.
La RIAA et la NARAS, tout comme la
plupart de l'industrie musicale repliée sur ses positions, déclarent que
les téléchargements gratuits font souffrir les ventes – mieux, elles
disent que cela détruit l'industrie. Hélas, l'industrie musicale n'a pas
besoin d'aide extérieure pour se détruire elle-même. On sait très bien
faire ça tout seuls, merci.
Voici quelques déclarations issues du
site web de la RIAA :
1 - "Les analyses montrent qu'un des
nombreux systèmes peer-to-peer en usage est reponsable à lui seul de plus
de 1,8 milliard de téléchargements non autorisés par mois". (Lettre
d'Hilary B. Rosen à Rick Boucher, membre du Congrès, 28 février 2002)
2 - "Les ventes de CD-R vierges…ont augmenté de près de 2,5 fois au
cours des deux dernières années…si seulement la moitié des disques vierges
vendus en 2001ont été utilisés pour copier de la musique, le nombre de CDs
gravés dans le monde entier est environ le même que le nombre de CDs
vendus dans le commerce." (Lettre d'Hilary B. Rosen à Rick Boucher, membre
du Congrès, 28 février 2002)
3 - "Les ventes de musique souffrent déjà
de cet impact...aux Etats Unis, les ventes ont baissé de plus de 10% en
2001." (Lettre d'Hilary B. Rosen à Rick Boucher, membre du Congrès, 28
février 2002)
4 - "Dans une étude récente portant sur des
consommateurs de musique, 23%…ont dit qu'ils n'achetaient plus de musique
parce qu'ils la téléchargent et la copient gratuitement." (Lettre d'Hilary
B. Rosen à Rick Boucher, membre du Congrès, 28 février 2002)
Prenons
ces points un par un, mais avant, laissez-moi vous rappeler quelque
chose : l'industrie musicale a eu exactement la
même réponse lors de l'arrivée des magnétophones à bande, des cassettes,
des DATs, des minidiscs, VHS, BETA, vidéos musicales ("Pourquoi acheter le
disque quand vous pouvez le copier sur bande ?"), MTV et une
multitude d'autres avancées technologiques faites pour faciliter la vie du
consommateur. Je le sais, j'étais là.
La seule raison pour laquelle ils n'ont pas
réagi publiquement à l'arrivée des CDs, c'était parce qu'ils
croyaient que les CDs étaient incopiables. Ceci m'a personnellement
été raconté par un ancien directeur du marketing de Sony, quand ils m'ont
demandé de sortir Between the Lines au format CD à un
taux de royalties réduit ("Parce que c'est une toute nouvelle
technologie.")
1 - Qui a dit qu'une de ces personnes aurait
acheté les CDs si les chansons n'avaient pas été disponibles
gratuitement ? Je n'ai pas pu trouver une seule étude là-dessus, une
où un sondeur réputé comme Gallup poserait vraiment cette question aux
gens. Je pense que personne ne la pose parce que chacun a peur de la
vérité – la plupart des téléchargements viennent de gens qui veulent
essayer un artiste. Et si un pourcentage des ces 1,8 milliard vient du
fait que des gens téléchargent un tube en vogue de Britney ou de In Sync,
qui va vraiment dire que ça fait souffrir leurs ventes ? Les
statistiques peuvent facilement être manipulées. Combien de ces gens sont
sortis acheter un album qui avait été matraqué à la radio pendant des
mois, juste parce qu'ils en avaient téléchargé une partie ?
2 -
Les ventes de CDs vierges ont augmenté ? Bien sûr ! J'ai acheté
un nouveau Vaio en décembre et je sauvegarde maintenant tous mes fichiers
sur CD. J'utilise ainsi 7 à 15 CDs par semaine, soit environ 50 par an. La
plupart des PCs sont vendus avec [Windows] XP, qui permet une sauvegarde
facile sur CD ; Combien font ce que je fais ? De plus, quand
j'achète un nouveau CD, je fais une copie pour ma voiture, une copie pour
l'étage et une copie pour mon partenaire. Ca fait trois disques vierges
par CD. Ainsi, à moi seule, je consomme 750 CDs vierges chaque année.
3 - Je suis sûre que la baisse des ventes n'a rien à voir avec la
crise économique, ni une spirale infernale dans laquelle serait enfermée
l'industrie musicale, ou la daube que nous servent les maisons de disques.
Pas vous ? Il y a eu 32 000 nouveaux morceaux
publiés aux USA en 2001, et je ne compte pas les rééditions, les disques
vendus à compte d'auteur, ou les petits labels qui ne sont pas inclus dans
les statistiques de SoundScan. Une estimation prudente des CDs
"nouveautés" serait de 100 000 par an. Ca fait un sacré nombre de sorties
pour une industrie qui a été détruite. Pour compliquer les choses, on
entend de la musique partout, qu'on le veuille ou non : magasins,
parcs d'attractions, arrêts d'autoroutes. Le concept original de Muzak
(jouée dans les ascenceurs de façon si douce que son effet apaisant serait
subliminal) est totalement incontrôlé. Pourquoi acheter des disques quand
on peut entendre l'intégralité du Top 50 en allant faire ses courses au
supermarché ?
4 - Quels consommateurs de musique ? Des
étudiants qui ne peuvent pas se permettre d'acheter 10 CDs par mois, mais
veulent entendre leurs groupes favoris ? Quand j'ai acheté à mes
neveux le dernier CD des Backstreet Boys, je leur ai demandé pourquoi ils
ne l'avaient pas plutôt téléchargé. Ils ont patiemment expliqué à leur
tante sénile que le téléchargement ne leur donnait pas la super pochette,
et mieux, la vidéo qu'ils ne pouvaient voir que sur le CD.
Soyons
réalistes, pourquoi la plupart des gens téléchargent-ils de la
musique ? Pour entendre une nouvelle musique. Pas
pour éviter de payer 5 dollars (5euros) au magasin de CDs d'occasion du
coin, ou de l'enregistrer à la radio, mais pour entendre de la musique
qu'ils ne peuvent pas trouver ailleurs. Regardez les choses en face – la
plupart des gens ne peuvent pas se permettre de dépenser 15,99 dollars
pour expérimenter. C'est pour ça que les cabines d'écoute (contre
lesquelles les labels ont aussi lutté) ont tant de succès.
On ne
peut pas entendre de nouvelle musique à la radio de nos jours ; je
vis à Nashville, "Music City USA" et on a une seule station qui veut bien
passer autre chose que du Top 50. Par beau temps, je peux même l'écouter.
La situation n'est guère meilleure à Los Angeles ou à New York. Les radios
d'universités prennent parfois plus de risques, mais leur puissance est si
faible qu'on a souvent beaucoup de mal à les capter.
Autre chose
d'importance : dans l'hystérie du moment, tout le monde oublie la
façon principale par laquelle un artiste a du succès – sa
mise en évidence. Sans cela, personne ne vient aux concerts, personne
n'achète les CDs, personne ne vous permet de gagner votre vie en faisant
ce que vous aimez. A nouveau, mon expérience : durant mes 37 années
en tant qu'artiste, j'ai créé plus de 25 albums pour des majors et je n'ai
jamais reçu une seule fois un chèque
de royalties qui ne montrait pas que je leur devais de
l'argent. Ainsi, la majorité de mes gains provient de mes tournées de
concerts, où je joue pour 80 à 1500 personnes par soir, en faisant mon
spectacle. Je passe des heures chaque semaine avec la presse, j'écris des
articles, je vérifie que l'information sur mes tournées est à jour sur mon
site web. Pourquoi ? Parce que tout cela me met en évidence, me fait
connaître auprès d'un public qui ne serait peut-être pas venu autrement.
Alors, quand quelqu'un m'écrit pour me dire qu'il est venu voir mon
spectacle parce qu'il avait téléchargé une de mes chansons et que cela
avait aiguisé sa curiosité, je suis aux anges !
Qui souffre
des téléchargements gratuits ? A part une poignée de super-succès,
comme Céline Dion, nul d'entre nous. Ca ne fait que nous
aider.
Mais le Congrès ne l'entend pas de cette oreille. Le
sénateur Hollings, président de la commission du commerce du Sénat qui a
étudié ce phénomène, a déclaré "Quand le Congrès reste assis les bras
croisés face à ces activités [de partage de fichiers], nous ne faisons que
laisser l'Internet devenir un repaire de voleurs", puis a accusé "plus de
10 millions de personnes" de vol. [Steven Levy, Newsweek 11/03/02]. C'est
ce qu'on pense des consommateurs – ce sont des voleurs qui sortent prendre
quelque chose sans payer.
Quelle idiotie ! La plupart des
consommateurs n'ont aucun problème pour payer leurs distractions. Il
suffit de regarder le succès de Fictionwise.com et des autres sites web
qui offrent des livres à des prix raisonnables pour le comprendre. Si
l'industrie musicale avait eu un soupçon de bon sens, elle aurait traité
ce problème voici 15 ans [Ndt : difficile, le web n'a
vraiment commencé qu'en 1993], quand ceux qui avaient des sites web
essayaient d'obtenir des licences autorisées pour la musique en ligne. Au
contraire, l'attitude dans toute l'industire était ça va
passer. CBS avait eu la même attitude avec le rock quand Mitch Miller
en était directeur artistique. (Et vous vous êtes demandés comment ils
avaient pu laisser passer les Beatles et les Rolling Stones !)
Je ne blâme pas la RIAA pour l'attitude de
Holling. Après tout, c'est l'association américaine de l'industrie du disque, créée pour que les labels aient un
groupe de pression à Washington. (En d'autres termes, ils ont le droit
d'apporter des contributions aux politiciens et à leurs partis.) Mais
étant donné que le succès de notre industrie est basé sur la
communication, la réponse de l'industrie à l'Internet a été abyssale. Des
déclarations comme celle ci-dessus ne font rien pour aider la
cause.
Bien sûr, la communication a toujours été le boulot des
artistes, pas des cadres. C'est pour ça que ça fait tellement peur quand
des gens comme le président actuel de la NARAS, Michael Greene commencent
à utiliser des shows comme la remise des Grammies pour défendre leurs
idées.
[...]
Notons simplement que dans son discours, il a
dit au public que la NARAS et la RIAA prenaient, pour une large part,
position pour protéger les artistes. Il avait engagé trois adolescents
durant deux jours à ne rien faire d'autre que télécharger et ils
réussirent à télécharger "6000 chansons". Voyons ! Pour deux places
au premier rang aux Grammies et une apparition sur la télévision
nationale, je téléchargerais deux fois ça ! Mais... qui a le temps de
télécharger toutes ces chansons ? Est-ce que Greene pense vraiment
que des personnes envisagent de passer douze heures par jour à télécharger
notre musique ? Si c'est le cas, ils doivent mourir de faim, parce
qu'ils ne gagnent pas leur vie ni ne vont à l'école.
Cela est
significatif de la façon dont les statistiques et les informations sont
balancées. Il est effrayant de penser qu'on demande à des consommateurs de
prendre la responsabilité de problèmes de l'industrie, qui sont là depuis
bien plus longtemps que l'Internet. Il est encore pire de penser que l'on
dit au consommateur qu'il est là pour nous protéger, nous les artistes,
quand notre industrie dilapide les dollars que nous gagnons dans des
vendettas personnelles.
Greene continua en disant que "Nombreux des
nominés ce soir, particulièrement les nouveaux artistes sont en danger
immédiat d'être marginalisés dans notre milieu." D'accord. Tout "nouvel"
artiste qui réussit à atteindre les Grammies a les millions de dollars que
les maisons de disques mettent derrière lui. Les "vrais" nouveaux artistes
ne sont pas ceux que vous allez voir à la télé ou écouter à la radio. Ce
sont des gens que vous entendez parce que quelqu'un vous a donné un
disque, ou parce qu'ils ont fait la première partie d'un spectacle auquel
vous assistiez, ou ont eu la chance d'être sélectionnés sur un programme
de la radio nationale ou tout autre programme encore ouvert pour passer
des disques qui ne sont pas déjà des tubes.
En ce qui concerne la
"marginalisation de nos artistes", le seuls qui risquent d'être
marginalisés sont les employés des maisons de disques version Enron, qui
sont virés par charrettes entières parce que leur encadrement est
incompétent.
Et il est difficile de convaincre un public éduqué que
les artistes et les maisons de disques sont au bord de la faillite parce
qu'eux, les consommateurs, téléchargent de la musique. Surtout quand ils
paient entre 50 et 125 dollars pour un concert et 15,99 dollars pour un
nouveau CD dont il savent qu'il coûte moins d'un dollar à fabriquer et à
distribuer.
Je soupçonne Greene de penser que ceux qui téléchargent
sont l'équivalent des dealers de drogue de la télé d'avant, rôdant autour
des cours de récré, portant de gros manteaux et les ouvrant à la volée
devant des gosses aux yeux ébahis qui achètent alors des CDs au marché
noir à bon prix.
Quel est le nouveau mot à la mode dans l'industrie
musicale ? Encryptage. Ils vont faire en sorte que
nul ne puisse copier les CDs ou les télécharger gratuitement. Superbe,
sauf que ça contrevient au Bill of Rights. Et que ça emmerde tout le
monde.
Combien d'entre vous savent que les constructeurs
d'automobile fabriquent leurs lecteurs de CDs pour qu'ils puissent aussi
lire les DVDs ? ou qu'une partie de l'encryptage que les maisons de
disques utilisent ne permet pas à vos CDs achetés en magasin d'être joués
sur un lecteur de DVD, parce qu'il contient la même technologie que votre
ordinateur ? Et que si vous avez des problèmes à passer votre copie
enregistrée par vos soins de O Brother dans la voiture,
c'est à cause de cette bêtise.
La réponse de l'industrie est d'afficher
l'étiquette : "Ce CD audio est protégé contre la copie illicite. Il
est conçu pour être joué dans des lecteurs CD audio standards et des
orinateurs équipés du système Windows ; cependant, quelques problèmes
peuvent survenir. Si cela vous arrive, merci de nous retourner le disque
pour remboursement."
Eh bien,je vous demande. Après trois ou quatre
expériences de la sorte, se traîner jusqu'au magasin pour l'acheter, puis
se traîner à nouveau pour le rendre (et vous n'avez toujours pas votre
musique), qui va se soucier d'acheter des CDS ?
Le milieu se plaint depuis des années du fait
que l'individu moyen a du mal à lâcher ses dollars, tout en souhaitant ne
rien faire pour l'offenser. (BMG a une politique stricte pour les artistes
qui achètent leurs propres CDs pour les vendre lors des concerts - 11
dollars le CD. Ils savent très bien que la plupart d'entre nous perdent de
l'argent s'ils doivent payer autant ; il s'agit de garder les grands
magasins contents en leur assurant que les grosses ventes leur reviennent.
En fait, ce qui se passe, c'est que ni nous, ni les magasins ne vendent.)
La NARAS et la RIAA gémissent quand les petites boutiques ferment ;
personne n'a travaillé plus dur qu'elles pour les virer du milieu, qui
accueillit chaque ouverture de Tower ou de tout autre méga-magasin de
disques avec allégresse, et offrit d'importantes remises à Target et
WalMart pour stocker des CDs. L'Internet n'a rien à voir avec les
fermetures de magasins et la baisse des ventes.
Et pour ceux ou
celles d'entre nous qui ont des contrats avec les majors et qui veulent qu'une partie de notre musique soit disponible
gratuitement au téléchargement,… eh bien, les maisons de disques ont nos
matrices, même nos maquettes et elles ne le permettront pas. De plus,
elles possèdent nos voix pour la durée du contrat, de
telle sorte que l'on ne peut même pas mettre une chanson live en
téléchargement !
Si l'on y réfléchit, l'industrie musicale
devrait se réjouir de cette nouvelle avancée technologique ! Voici
une façon simple de fournir de la musique à des millions de personnes qui
n'auraient autrement jamais acheté de CD en magasin. Les occasions de
marketing croisé sont incroyables. C'est instantané, les coûts sont
minimes, le port inexistant…un véhicule incroyable pour des profits plus
grands et des coûts plus faibles. Au lieu de cela, ils courent comme des
poulets auxquels on aurait coupé la tête, saignant sur tout le monde sans
aucun sens. Au lieu de tout encrypter et de bloquer de l'argent pour des
années en lançant des procès contre les consommateurs [...] pourquoi ne
pas s'inspirer des éditeurs de livres et des écrivains ?
Baen Free Library est une
histoire à succès. SFWA
en est une autre. Le site de la SFWA est un des meilleurs pour les
conseils aux écrivains, mais plus important, durant 10 ans ils ont négocié
des paiements pour l'utilisation d'oeuvres d'écrivains. Au fur et à mesure
que le Net s'étendait et que l'industrie musicale continuait à fourrer sa
tête collective dans le sable, SFWA s'assurait que ses membres aient une
protection financière, sans perdre les occasions que le téléchargement par
Internet procurait.
Je n'ai aucune objection à ce que Greene et
consorts essaient de protéger les maisons de disques, qui sont celles qui
fomentent cette hystérie. Ce sont elles qui financent la RIAA, la NARAS
est soutenue par elles. Cependant, je m'élève violemment
quand elles prétendent que de toute façon elles font ça pour notre
bien. Si elles voulaient vraiment faire quelque chose pour la grande
majorité des artistes, qui font tout pour gagner péniblement leur vie,
elles pourraient s'occuper de quelques-uns des vrais problèmes auxquels
nous devons faire face :
Le
contrat normal dans l'industrie musicale est de sept albums, sans date
finale, ce qui serait considéré au mieux comme une servitude par contrat
(et au pire comme de l'esclavage) dans tout autre milieu. En fait, ce
serait illégal.
Un
label peut mettre votre projet au placard, puis étendre votre contrat d'un
autre album parce que ce que vous avez réalisé était "commercialement ou
artistiquement inacceptable". Ils sont les seuls à déterminer ce critère.
Les auteurs-compositeurs-interprètes doivent
accepter la "Clause de Composition Contrôlée" (qui stipule qu'ils ne
seront payés que 75% des taux établis par le Congrès en royalties) pour
tout contrat d'enregistrement majeur ou accessoire, sous peine de perdre
le contrat. En d'autres termes, la clause exigée par les labels stipule
que a) si vous écrivez vos propres chansons, vous ne serez payés que 3/4
de ce que le Congrès a dit aux maisons de disques de vous payer, et b) si
vous êtes co-auteur, vous ferez "de votre mieux" pour vous assurer que les
autres compositeurs acceptent les taux de 75% également. S'ils refusent,
vous devez accepter de régler la différence sur votre part.
Les royalties éditeur/auteur déterminées par le
Congrès ont augmenté depuis leur niveau élévé de 1960 (2% pour chaque
partie) à un généreux 8%.
Beaucoup d'entre nous ont commencé dans les années 50 et 60 ; nos
disques sont toujours sur le marché et nous sommes toujours payés des taux
de royalties de 2%, quand on l'est.
Si
nous ne sommes pas auteurs-compositeurs et que nous n'avons pas un énorme
succès commercial (supérieur au disque de platine), on ne fait pas un sou
avec nos disques. Les méthodes comptables de l'industrie du disque valent
bien celles d'Hollywood.
Pire
encore, quand nos disques ne sont plus au catalogue, on ne les récupère
pas ! On ne peut même pas les confier à une autre compagnie. Des
carrières ont été délibérément détruites de cette manière, la maison de
disques refusant de sortir le produit ou de permettre à l'artiste de le
confier ailleurs.
Et
parce que le label possède votre voix pour la durée du contrat, vous ne
pouvez pas aller ailleurs réenregistrer les mêmes chansons.
Et à cause de la provision de réenregistrement, même
une fois votre contrat terminé, vous ne pouvez pas enregistrer ces
chansons pour quelqu'un d'autre pendant des années, parfois des dizaines
d'années.
Et
pour finir cette série en beauté, l'Amérique est le seul pays que je
connaisse qui ne paye pas de royalties aux auteurs-compositeurs sur les
performances publiques. En Europe, au Japon, en Australie, quand vous avez
fini un concert, vous donnez votre liste de thèmes au poducteur qui
l'adresse à l'organisation concernée et celle-ci paye une petite royalty
par chanson à son auteur. Ca ne coûte rien au chanteur, les taux sont
basés sur la taille de la salle et cela assure que les auteurs dont les
chansons ne passent plus à la radio, mais qui sont toujours largement
jouées, puissent continuer à recevoir des revenus de ces chansons.
De plus, on devrait s'exprimer et le Congrès
devrait nous écouter. Jusqu'à présent ils n'ont écouté que les musiciens
aux disques plusieurs fois de platine. Que dire d'Ani Difranco, une des
voix les plus recherchées dans les concerts d'universités
aujourd"hui ? Que dire de ceux d'entre nous qui vivent la plupart de
leur vie en dehors du système des grandes compagnies et qui pourraient
avoir des points de vue bien différents sur le sujet ?
Il n'y a aucune preuve que du matériel
disponible gratuitement au téléchargement cause des dommages financiers à
quiconque. En fait, la plupart de l'ensemble des faits prouve le
contraire.
Greene et la RIAA ont raison sur un point –
les temps sont venus d'un grand changement dans notre industrie. Mais au
moment où il ne reste plus que quatre labels en Amérique (Sony,
AOL/Time/Warner, Universal, BMG)… quand des genres entiers glorifient les
mentalités de gangsters et perdent leurs plus grandes voix de façon
violente… quand des cadres changent de poste aussi souvent que Zsa Zsa
Gabor changeait de vêtements et que "A&R" [Ndt : Artist &
Repertoire en anglais = poste de directeur artistique] est devenu un
euphémisme pour "Absent & Redondant"… eh bien, on d'autres chats à
fouetter.
Pour nous les artistes, il est absurde d'encourager – ou
d'approuver – l'arrêt d'un tel système. Il est totalement stupide de se
réjouir de la décision d'arrêt de Napster. C'en est myope et
ignorant.
La mise en valeur gratuite est pratiquement quelque chose
qui appartient au passé pour les gens du spectacle. Réussir à faire passer
un de ses disques à la radio coûte plus d'argent que la plupart d'entre
nous rêve de jamais gagner. Le téléchargement gratuit donne une chance à
tout autoproduit. Tout spectacle qui n'est pas signé par une major, quelle
qu'en soit la raison, peut toucher littéralement des millions de nouveaux
auditeurs, les incitant à acheter le CD et à venir aux concerts. Où
d'autre un nouveau spectacle aura une telle mise en
valeur ?
Si l'on n'y prend garde, on va devenir comme
Microsoft, insistant pour que tout foyer voulant une copie pour la
voiture, ou les gosses, ou le lecteur de CD portable, acquière une licence
pour de multiples copies.
En tant qu'artistes, nous avons les
oreilles des masses, nous avons la confiance des masses. En en parlant
lors des concerts et dans la presse, nous pouvons faire beaucoup pour
atténuer cette hystérie et jeter le blâme pour le triste état de notre
industrie là où il le faut – au sein des maisons de disques, des
programmateurs de radio et de notre propre incapacité apparente à nous
organiser afin d'améliorer nos vies et celles de nos fans. Si nous ne
prenons pas les rênes, personne ne le fera.
Sources : Baenbooks.com, BMG Records,
Chicago Tribune, CNN.com, Congressional Record, Eonline.com, Grammy.com,
LATimes.com, Newsweek, Radiocrow.com, RIAA.org, communications
personnelles * pour de plus amples informations sur la Free Library,
visitez http://www.baen.com/library. * pour
lire l'article d'Eric Flint's dans son intégralité, allez sur http://www.janisian.com./article-eric_flint-free_library.html.
Janis Ian