Une diatribe virulente et argumentée contre 
      l'interdiction du téléchargement gratuit de musique sur Internet, par une 
      artiste américaine, Janis Ian (http://www.janisian.com/). 
      Traduction : Alain Le Roux-Marini
      
      
* Peu après la parution de cet 
      article, Michael Greene a démissionné de son poste de président de la 
      NARAS. 
      
Quand je fais des recherches pour un article, 
      j'envoie habituellement environ 30 emails à des amis et des connaissances 
      en leur demandant leurs opinions et des anecdotes. Je reçois alors 10 à 20 
      réponses. Mais pas sur ce sujet !
J'ai envoyé 36 emails 
      demandant des opinions et des faits sur le téléchargement libre de musique 
      sur le net. J'ai expliqué que je voulais me faire l'avocat du 
      diable : les téléchargments gratuits sur Internet sont bons pour 
      l''industrie de la musique et ses artistes. 
      
J'ai reçu à ce hour plus de 300 réponses, 
      chacune de quelqu'un occupant une place reconnue dans le "music 
      business".
Mais ce qui est plus intéressant que les emails, ce sont 
      les appels téléphoniques. Je ne connais personne à la NARAS (qui a fondé 
      les Grammy Awards) et je connais seulement vaguement Hilary Rosen 
      (présidente de la Recording Industry Association of America, ou RIAA). 
      Malgré tout, dans les 24 heures qui ont suivi l'envoi de mon email 
      original, j'ai reçu deux messages de Rosen et quatre de la la NARAS me 
      demandant d'appeler pour "discuter de l'article". 
      
Je ne savais pas que j'étais autant 
      lue.
Pour être tout à fait honnête, je dois dire que Mme Rosen 
      a insisté sur le fait que son seul intérêt était de présenter le point de 
      vue de la RIAA et a été assez aimable de m'envoyer nombre de statistiques 
      et de documentation, y compris un certain nombre d'études de groupes de 
      consommateurs que la RIAA avait menées sur le sujet.
Cependant, le 
      problème avec les groupes de consommateurs est le même que celui que les 
      anthropologistes ont en étudiant des populations – dès que leur présence 
      est connue, tout change. Des centaines d'études scientifiques ont montré 
      que n'importe quel groupe expérimental veut faire plaisir à 
      l'examinateur. Cela est particulièrement vrai pour les groupes de 
      consommateurs. Les gens de la NARAS ont été un peu plus insistants. Ils 
      m'ont dit que les téléchargements "détruisaient les ventes" et "vous 
      coûtaient de l'argent". 
      
Me coûtaient de 
      l'argent ? Je ne prétends pas être une experte en droit de la 
      propriété intellectuelle, mais je sais une chose : si un cadre de 
      l'industrie musicale affirme que je dois être d'accord avec lui parce que 
      cela va me rapporter de l'argent, je mets la main sur mon portefeuille... 
      et je le vérifie après son départ, pour être sure que rien ne 
      manque.
Tout cette hystérie m'a t'elle rendue soupçonneuse ? 
      Bien évidemment. Pensez-vous que ce sujet ait été mal traité ? 
      Absolument. Dois-je me soucier de perdre des amis, des occasions, ma 10° 
      nomination aux Grammies en publiant cet article ? Certainement. Mais 
      parfois les choses tournent mal et quand c'est à ce 
      point, il faut faire quelque chose. 
      
L'hypothèse de départ de tout ce bourrage de 
      crâne, c'est que l'industrie (et ses artistes) souffrent du téléchargement 
      gratuit.
N'importe quoi. Prenons mon expérience personnelle. Mon 
      site (www.janisian.com ) fait en moyenne 75 000 hits par an. Pas mal pour 
      quelqu'un dont le dernier tube remonte à 1975. Quand Napster marchait à 
      fond, on recevait environ 100 hits par mois de personnes qui avaient 
      téléchargé Society's Child ou At 
      Seventeen gratuitement et qui avaient décidé qu'ils voulaient en 
      savoir plus. Sur ces 100 là, (et il ne s'agit là que des 100 qui nous 
      disaient comment ils avaient connu le site) 15 achetaient des CDs. Pas 
      terribles comme ventes, hein ? Aucune maison de disques n'est 
      intéressée par 180 ventes supplémentaires annuelles. Mais… cela fait 
      $2700, ce qui représente pas mal dans ma comptabilité. Sans compter ceux 
      qui ont acheté les CDs dans les magasins, ou qui sont venus voir mes 
      spectacles.
Prenez aussi l'écrivain Mercedes Lackey, qui occupe des 
      étagères entières dans les librairies et les bibliothèques. Il y a 15 ans, 
      elle a publié un série de livres comprenant le mot "Flèches" dans le 
      titre ; elle gagne des royalties depuis. Cependant, après avoir mis 
      le premier livre de la série "Flèches" sur le site d'Eric Flint "Baen Free 
      Library" (la bibliothèque Baen gratuite), elle reçut trois fois plus de 
      royalties que d'habitude. En fait, les paiements sur tous ses anciens 
      livres avaient augmenté, de façon soudaine et significative, le seul 
      changement étant la disponibilité de ce livre gratuit. Je ne sais pas 
      vous, mais en tant qu'artiste disposant d'un catalogue remontant à 1965, 
      j'aurais été excitée de voir les ventes de mon vieux catalogue 
      augmenter.
Lackey dit "C'est ce à quoi je m'attendrais si une file 
      de personnes qui n'avaient jamais lu mes livres en découvraient un 
      gratuitement... ils ont commencé à remonter toute la série." J'ai 
      découvert à plusieurs reprises que cela était vrai. Chaque fois que nous 
      mettons quelques chansons à disposition sur mon site, les ventes de tous 
      les CDs augmentent. Beaucoup.
La RIAA et la NARAS, tout comme la 
      plupart de l'industrie musicale repliée sur ses positions, déclarent que 
      les téléchargements gratuits font souffrir les ventes – mieux, elles 
      disent que cela détruit l'industrie. Hélas, l'industrie musicale n'a pas 
      besoin d'aide extérieure pour se détruire elle-même. On sait très bien 
      faire ça tout seuls, merci.
Voici quelques déclarations issues du 
      site web de la RIAA :
1 - "Les analyses montrent qu'un des 
      nombreux systèmes peer-to-peer en usage est reponsable à lui seul de plus 
      de 1,8 milliard de téléchargements non autorisés par mois". (Lettre 
      d'Hilary B. Rosen à Rick Boucher, membre du Congrès, 28 février 2002) 
      
2 - "Les ventes de CD-R vierges…ont augmenté de près de 2,5 fois au 
      cours des deux dernières années…si seulement la moitié des disques vierges 
      vendus en 2001ont été utilisés pour copier de la musique, le nombre de CDs 
      gravés dans le monde entier est environ le même que le nombre de CDs 
      vendus dans le commerce." (Lettre d'Hilary B. Rosen à Rick Boucher, membre 
      du Congrès, 28 février 2002) 
3 - "Les ventes de musique souffrent déjà 
      de cet impact...aux Etats Unis, les ventes ont baissé de plus de 10% en 
      2001." (Lettre d'Hilary B. Rosen à Rick Boucher, membre du Congrès, 28 
      février 2002) 
4 - "Dans une étude récente portant sur des 
      consommateurs de musique, 23%…ont dit qu'ils n'achetaient plus de musique 
      parce qu'ils la téléchargent et la copient gratuitement." (Lettre d'Hilary 
      B. Rosen à Rick Boucher, membre du Congrès, 28 février 2002) 
Prenons 
      ces points un par un, mais avant, laissez-moi vous rappeler quelque 
      chose : l'industrie musicale a eu exactement la 
      même réponse lors de l'arrivée des magnétophones à bande, des cassettes, 
      des DATs, des minidiscs, VHS, BETA, vidéos musicales ("Pourquoi acheter le 
      disque quand vous pouvez le copier sur bande ?"), MTV et une 
      multitude d'autres avancées technologiques faites pour faciliter la vie du 
      consommateur. Je le sais, j'étais là. 
      
La seule raison pour laquelle ils n'ont pas 
      réagi publiquement à l'arrivée des CDs, c'était parce qu'ils 
      croyaient que les CDs étaient incopiables. Ceci m'a personnellement 
      été raconté par un ancien directeur du marketing de Sony, quand ils m'ont 
      demandé de sortir Between the Lines au format CD à un 
      taux de royalties réduit ("Parce que c'est une toute nouvelle 
      technologie.") 
      
1 - Qui a dit qu'une de ces personnes aurait 
      acheté les CDs si les chansons n'avaient pas été disponibles 
      gratuitement ? Je n'ai pas pu trouver une seule étude là-dessus, une 
      où un sondeur réputé comme Gallup poserait vraiment cette question aux 
      gens. Je pense que personne ne la pose parce que chacun a peur de la 
      vérité – la plupart des téléchargements viennent de gens qui veulent 
      essayer un artiste. Et si un pourcentage des ces 1,8 milliard vient du 
      fait que des gens téléchargent un tube en vogue de Britney ou de In Sync, 
      qui va vraiment dire que ça fait souffrir leurs ventes ? Les 
      statistiques peuvent facilement être manipulées. Combien de ces gens sont 
      sortis acheter un album qui avait été matraqué à la radio pendant des 
      mois, juste parce qu'ils en avaient téléchargé une partie ? 
2 - 
      Les ventes de CDs vierges ont augmenté ? Bien sûr ! J'ai acheté 
      un nouveau Vaio en décembre et je sauvegarde maintenant tous mes fichiers 
      sur CD. J'utilise ainsi 7 à 15 CDs par semaine, soit environ 50 par an. La 
      plupart des PCs sont vendus avec [Windows] XP, qui permet une sauvegarde 
      facile sur CD ; Combien font ce que je fais ? De plus, quand 
      j'achète un nouveau CD, je fais une copie pour ma voiture, une copie pour 
      l'étage et une copie pour mon partenaire. Ca fait trois disques vierges 
      par CD. Ainsi, à moi seule, je consomme 750 CDs vierges chaque année. 
      
3 - Je suis sûre que la baisse des ventes n'a rien à voir avec la 
      crise économique, ni une spirale infernale dans laquelle serait enfermée 
      l'industrie musicale, ou la daube que nous servent les maisons de disques. 
      Pas vous ? Il y a eu 32 000 nouveaux morceaux 
      publiés aux USA en 2001, et je ne compte pas les rééditions, les disques 
      vendus à compte d'auteur, ou les petits labels qui ne sont pas inclus dans 
      les statistiques de SoundScan. Une estimation prudente des CDs 
      "nouveautés" serait de 100 000 par an. Ca fait un sacré nombre de sorties 
      pour une industrie qui a été détruite. Pour compliquer les choses, on 
      entend de la musique partout, qu'on le veuille ou non : magasins, 
      parcs d'attractions, arrêts d'autoroutes. Le concept original de Muzak 
      (jouée dans les ascenceurs de façon si douce que son effet apaisant serait 
      subliminal) est totalement incontrôlé. Pourquoi acheter des disques quand 
      on peut entendre l'intégralité du Top 50 en allant faire ses courses au 
      supermarché ? 
4 - Quels consommateurs de musique ? Des 
      étudiants qui ne peuvent pas se permettre d'acheter 10 CDs par mois, mais 
      veulent entendre leurs groupes favoris ? Quand j'ai acheté à mes 
      neveux le dernier CD des Backstreet Boys, je leur ai demandé pourquoi ils 
      ne l'avaient pas plutôt téléchargé. Ils ont patiemment expliqué à leur 
      tante sénile que le téléchargement ne leur donnait pas la super pochette, 
      et mieux, la vidéo qu'ils ne pouvaient voir que sur le CD. 
Soyons 
      réalistes, pourquoi la plupart des gens téléchargent-ils de la 
      musique ? Pour entendre une nouvelle musique. Pas 
      pour éviter de payer 5 dollars (5euros) au magasin de CDs d'occasion du 
      coin, ou de l'enregistrer à la radio, mais pour entendre de la musique 
      qu'ils ne peuvent pas trouver ailleurs. Regardez les choses en face – la 
      plupart des gens ne peuvent pas se permettre de dépenser 15,99 dollars 
      pour expérimenter. C'est pour ça que les cabines d'écoute (contre 
      lesquelles les labels ont aussi lutté) ont tant de succès.
On ne 
      peut pas entendre de nouvelle musique à la radio de nos jours ; je 
      vis à Nashville, "Music City USA" et on a une seule station qui veut bien 
      passer autre chose que du Top 50. Par beau temps, je peux même l'écouter. 
      La situation n'est guère meilleure à Los Angeles ou à New York. Les radios 
      d'universités prennent parfois plus de risques, mais leur puissance est si 
      faible qu'on a souvent beaucoup de mal à les capter.
Autre chose 
      d'importance : dans l'hystérie du moment, tout le monde oublie la 
      façon principale par laquelle un artiste a du succès – sa 
      mise en évidence. Sans cela, personne ne vient aux concerts, personne 
      n'achète les CDs, personne ne vous permet de gagner votre vie en faisant 
      ce que vous aimez. A nouveau, mon expérience : durant mes 37 années 
      en tant qu'artiste, j'ai créé plus de 25 albums pour des majors et je n'ai 
      jamais reçu une seule fois un chèque 
      de royalties qui ne montrait pas que je leur devais de 
      l'argent. Ainsi, la majorité de mes gains provient de mes tournées de 
      concerts, où je joue pour 80 à 1500 personnes par soir, en faisant mon 
      spectacle. Je passe des heures chaque semaine avec la presse, j'écris des 
      articles, je vérifie que l'information sur mes tournées est à jour sur mon 
      site web. Pourquoi ? Parce que tout cela me met en évidence, me fait 
      connaître auprès d'un public qui ne serait peut-être pas venu autrement. 
      Alors, quand quelqu'un m'écrit pour me dire qu'il est venu voir mon 
      spectacle parce qu'il avait téléchargé une de mes chansons et que cela 
      avait aiguisé sa curiosité, je suis aux anges !
Qui souffre 
      des téléchargements gratuits ? A part une poignée de super-succès, 
      comme Céline Dion, nul d'entre nous. Ca ne fait que nous 
      aider.
Mais le Congrès ne l'entend pas de cette oreille. Le 
      sénateur Hollings, président de la commission du commerce du Sénat qui a 
      étudié ce phénomène, a déclaré "Quand le Congrès reste assis les bras 
      croisés face à ces activités [de partage de fichiers], nous ne faisons que 
      laisser l'Internet devenir un repaire de voleurs", puis a accusé "plus de 
      10 millions de personnes" de vol. [Steven Levy, Newsweek 11/03/02]. C'est 
      ce qu'on pense des consommateurs – ce sont des voleurs qui sortent prendre 
      quelque chose sans payer.
Quelle idiotie ! La plupart des 
      consommateurs n'ont aucun problème pour payer leurs distractions. Il 
      suffit de regarder le succès de Fictionwise.com et des autres sites web 
      qui offrent des livres à des prix raisonnables pour le comprendre. Si 
      l'industrie musicale avait eu un soupçon de bon sens, elle aurait traité 
      ce problème voici 15 ans [Ndt : difficile, le web n'a 
      vraiment commencé qu'en 1993], quand ceux qui avaient des sites web 
      essayaient d'obtenir des licences autorisées pour la musique en ligne. Au 
      contraire, l'attitude dans toute l'industire était ça va 
      passer. CBS avait eu la même attitude avec le rock quand Mitch Miller 
      en était directeur artistique. (Et vous vous êtes demandés comment ils 
      avaient pu laisser passer les Beatles et les Rolling Stones !) 
      
Je ne blâme pas la RIAA pour l'attitude de 
      Holling. Après tout, c'est l'association américaine de l'industrie du disque, créée pour que les labels aient un 
      groupe de pression à Washington. (En d'autres termes, ils ont le droit 
      d'apporter des contributions aux politiciens et à leurs partis.) Mais 
      étant donné que le succès de notre industrie est basé sur la 
      communication, la réponse de l'industrie à l'Internet a été abyssale. Des 
      déclarations comme celle ci-dessus ne font rien pour aider la 
      cause.
Bien sûr, la communication a toujours été le boulot des 
      artistes, pas des cadres. C'est pour ça que ça fait tellement peur quand 
      des gens comme le président actuel de la NARAS, Michael Greene commencent 
      à utiliser des shows comme la remise des Grammies pour défendre leurs 
      idées.
[...] 
      
Notons simplement que dans son discours, il a 
      dit au public que la NARAS et la RIAA prenaient, pour une large part, 
      position pour protéger les artistes. Il avait engagé trois adolescents 
      durant deux jours à ne rien faire d'autre que télécharger et ils 
      réussirent à télécharger "6000 chansons". Voyons ! Pour deux places 
      au premier rang aux Grammies et une apparition sur la télévision 
      nationale, je téléchargerais deux fois ça ! Mais... qui a le temps de 
      télécharger toutes ces chansons ? Est-ce que Greene pense vraiment 
      que des personnes envisagent de passer douze heures par jour à télécharger 
      notre musique ? Si c'est le cas, ils doivent mourir de faim, parce 
      qu'ils ne gagnent pas leur vie ni ne vont à l'école.
Cela est 
      significatif de la façon dont les statistiques et les informations sont 
      balancées. Il est effrayant de penser qu'on demande à des consommateurs de 
      prendre la responsabilité de problèmes de l'industrie, qui sont là depuis 
      bien plus longtemps que l'Internet. Il est encore pire de penser que l'on 
      dit au consommateur qu'il est là pour nous protéger, nous les artistes, 
      quand notre industrie dilapide les dollars que nous gagnons dans des 
      vendettas personnelles. 
      
Greene continua en disant que "Nombreux des 
      nominés ce soir, particulièrement les nouveaux artistes sont en danger 
      immédiat d'être marginalisés dans notre milieu." D'accord. Tout "nouvel" 
      artiste qui réussit à atteindre les Grammies a les millions de dollars que 
      les maisons de disques mettent derrière lui. Les "vrais" nouveaux artistes 
      ne sont pas ceux que vous allez voir à la télé ou écouter à la radio. Ce 
      sont des gens que vous entendez parce que quelqu'un vous a donné un 
      disque, ou parce qu'ils ont fait la première partie d'un spectacle auquel 
      vous assistiez, ou ont eu la chance d'être sélectionnés sur un programme 
      de la radio nationale ou tout autre programme encore ouvert pour passer 
      des disques qui ne sont pas déjà des tubes.
En ce qui concerne la 
      "marginalisation de nos artistes", le seuls qui risquent d'être 
      marginalisés sont les employés des maisons de disques version Enron, qui 
      sont virés par charrettes entières parce que leur encadrement est 
      incompétent.
Et il est difficile de convaincre un public éduqué que 
      les artistes et les maisons de disques sont au bord de la faillite parce 
      qu'eux, les consommateurs, téléchargent de la musique. Surtout quand ils 
      paient entre 50 et 125 dollars pour un concert et 15,99 dollars pour un 
      nouveau CD dont il savent qu'il coûte moins d'un dollar à fabriquer et à 
      distribuer.
Je soupçonne Greene de penser que ceux qui téléchargent 
      sont l'équivalent des dealers de drogue de la télé d'avant, rôdant autour 
      des cours de récré, portant de gros manteaux et les ouvrant à la volée 
      devant des gosses aux yeux ébahis qui achètent alors des CDs au marché 
      noir à bon prix.
Quel est le nouveau mot à la mode dans l'industrie 
      musicale ? Encryptage. Ils vont faire en sorte que 
      nul ne puisse copier les CDs ou les télécharger gratuitement. Superbe, 
      sauf que ça contrevient au Bill of Rights. Et que ça emmerde tout le 
      monde.
Combien d'entre vous savent que les constructeurs 
      d'automobile fabriquent leurs lecteurs de CDs pour qu'ils puissent aussi 
      lire les DVDs ? ou qu'une partie de l'encryptage que les maisons de 
      disques utilisent ne permet pas à vos CDs achetés en magasin d'être joués 
      sur un lecteur de DVD, parce qu'il contient la même technologie que votre 
      ordinateur ? Et que si vous avez des problèmes à passer votre copie 
      enregistrée par vos soins de O Brother dans la voiture, 
      c'est à cause de cette bêtise. 
      
La réponse de l'industrie est d'afficher 
      l'étiquette : "Ce CD audio est protégé contre la copie illicite. Il 
      est conçu pour être joué dans des lecteurs CD audio standards et des 
      orinateurs équipés du système Windows ; cependant, quelques problèmes 
      peuvent survenir. Si cela vous arrive, merci de nous retourner le disque 
      pour remboursement."
Eh bien,je vous demande. Après trois ou quatre 
      expériences de la sorte, se traîner jusqu'au magasin pour l'acheter, puis 
      se traîner à nouveau pour le rendre (et vous n'avez toujours pas votre 
      musique), qui va se soucier d'acheter des CDS ? 
      
Le milieu se plaint depuis des années du fait 
      que l'individu moyen a du mal à lâcher ses dollars, tout en souhaitant ne 
      rien faire pour l'offenser. (BMG a une politique stricte pour les artistes 
      qui achètent leurs propres CDs pour les vendre lors des concerts - 11 
      dollars le CD. Ils savent très bien que la plupart d'entre nous perdent de 
      l'argent s'ils doivent payer autant ; il s'agit de garder les grands 
      magasins contents en leur assurant que les grosses ventes leur reviennent. 
      En fait, ce qui se passe, c'est que ni nous, ni les magasins ne vendent.) 
      La NARAS et la RIAA gémissent quand les petites boutiques ferment ; 
      personne n'a travaillé plus dur qu'elles pour les virer du milieu, qui 
      accueillit chaque ouverture de Tower ou de tout autre méga-magasin de 
      disques avec allégresse, et offrit d'importantes remises à Target et 
      WalMart pour stocker des CDs. L'Internet n'a rien à voir avec les 
      fermetures de magasins et la baisse des ventes.
Et pour ceux ou 
      celles d'entre nous qui ont des contrats avec les majors et qui veulent qu'une partie de notre musique soit disponible 
      gratuitement au téléchargement,… eh bien, les maisons de disques ont nos 
      matrices, même nos maquettes et elles ne le permettront pas. De plus, 
      elles possèdent nos voix pour la durée du contrat, de 
      telle sorte que l'on ne peut même pas mettre une chanson live en 
      téléchargement !
Si l'on y réfléchit, l'industrie musicale 
      devrait se réjouir de cette nouvelle avancée technologique ! Voici 
      une façon simple de fournir de la musique à des millions de personnes qui 
      n'auraient autrement jamais acheté de CD en magasin. Les occasions de 
      marketing croisé sont incroyables. C'est instantané, les coûts sont 
      minimes, le port inexistant…un véhicule incroyable pour des profits plus 
      grands et des coûts plus faibles. Au lieu de cela, ils courent comme des 
      poulets auxquels on aurait coupé la tête, saignant sur tout le monde sans 
      aucun sens. Au lieu de tout encrypter et de bloquer de l'argent pour des 
      années en lançant des procès contre les consommateurs [...] pourquoi ne 
      pas s'inspirer des éditeurs de livres et des écrivains ?
Baen Free Library est une 
      histoire à succès. SFWA 
      en est une autre. Le site de la SFWA est un des meilleurs pour les 
      conseils aux écrivains, mais plus important, durant 10 ans ils ont négocié 
      des paiements pour l'utilisation d'oeuvres d'écrivains. Au fur et à mesure 
      que le Net s'étendait et que l'industrie musicale continuait à fourrer sa 
      tête collective dans le sable, SFWA s'assurait que ses membres aient une 
      protection financière, sans perdre les occasions que le téléchargement par 
      Internet procurait.
Je n'ai aucune objection à ce que Greene et 
      consorts essaient de protéger les maisons de disques, qui sont celles qui 
      fomentent cette hystérie. Ce sont elles qui financent la RIAA, la NARAS 
      est soutenue par elles. Cependant, je m'élève violemment 
      quand elles prétendent que de toute façon elles font ça pour notre 
      bien. Si elles voulaient vraiment faire quelque chose pour la grande 
      majorité des artistes, qui font tout pour gagner péniblement leur vie, 
      elles pourraient s'occuper de quelques-uns des vrais problèmes auxquels 
      nous devons faire face : 
 Le 
      contrat normal dans l'industrie musicale est de sept albums, sans date 
      finale, ce qui serait considéré au mieux comme une servitude par contrat 
      (et au pire comme de l'esclavage) dans tout autre milieu. En fait, ce 
      serait illégal. 
 Un 
      label peut mettre votre projet au placard, puis étendre votre contrat d'un 
      autre album parce que ce que vous avez réalisé était "commercialement ou 
      artistiquement inacceptable". Ils sont les seuls à déterminer ce critère. 
      
 Les auteurs-compositeurs-interprètes doivent 
      accepter la "Clause de Composition Contrôlée" (qui stipule qu'ils ne 
      seront payés que 75% des taux établis par le Congrès en royalties) pour 
      tout contrat d'enregistrement majeur ou accessoire, sous peine de perdre 
      le contrat. En d'autres termes, la clause exigée par les labels stipule 
      que a) si vous écrivez vos propres chansons, vous ne serez payés que 3/4 
      de ce que le Congrès a dit aux maisons de disques de vous payer, et b) si 
      vous êtes co-auteur, vous ferez "de votre mieux" pour vous assurer que les 
      autres compositeurs acceptent les taux de 75% également. S'ils refusent, 
      vous devez accepter de régler la différence sur votre part. 
 Les royalties éditeur/auteur déterminées par le 
      Congrès ont augmenté depuis leur niveau élévé de 1960 (2% pour chaque 
      partie) à un généreux 8%. 
 
      Beaucoup d'entre nous ont commencé dans les années 50 et 60 ; nos 
      disques sont toujours sur le marché et nous sommes toujours payés des taux 
      de royalties de 2%, quand on l'est. 
 Si 
      nous ne sommes pas auteurs-compositeurs et que nous n'avons pas un énorme 
      succès commercial (supérieur au disque de platine), on ne fait pas un sou 
      avec nos disques. Les méthodes comptables de l'industrie du disque valent 
      bien celles d'Hollywood. 
 Pire 
      encore, quand nos disques ne sont plus au catalogue, on ne les récupère 
      pas ! On ne peut même pas les confier à une autre compagnie. Des 
      carrières ont été délibérément détruites de cette manière, la maison de 
      disques refusant de sortir le produit ou de permettre à l'artiste de le 
      confier ailleurs. 
 Et 
      parce que le label possède votre voix pour la durée du contrat, vous ne 
      pouvez pas aller ailleurs réenregistrer les mêmes chansons. 
 Et à cause de la provision de réenregistrement, même 
      une fois votre contrat terminé, vous ne pouvez pas enregistrer ces 
      chansons pour quelqu'un d'autre pendant des années, parfois des dizaines 
      d'années.
 Et 
      pour finir cette série en beauté, l'Amérique est le seul pays que je 
      connaisse qui ne paye pas de royalties aux auteurs-compositeurs sur les 
      performances publiques. En Europe, au Japon, en Australie, quand vous avez 
      fini un concert, vous donnez votre liste de thèmes au poducteur qui 
      l'adresse à l'organisation concernée et celle-ci paye une petite royalty 
      par chanson à son auteur. Ca ne coûte rien au chanteur, les taux sont 
      basés sur la taille de la salle et cela assure que les auteurs dont les 
      chansons ne passent plus à la radio, mais qui sont toujours largement 
      jouées, puissent continuer à recevoir des revenus de ces chansons. 
      
De plus, on devrait s'exprimer et le Congrès 
      devrait nous écouter. Jusqu'à présent ils n'ont écouté que les musiciens 
      aux disques plusieurs fois de platine. Que dire d'Ani Difranco, une des 
      voix les plus recherchées dans les concerts d'universités 
      aujourd"hui ? Que dire de ceux d'entre nous qui vivent la plupart de 
      leur vie en dehors du système des grandes compagnies et qui pourraient 
      avoir des points de vue bien différents sur le sujet ? 
      
Il n'y a aucune preuve que du matériel 
      disponible gratuitement au téléchargement cause des dommages financiers à 
      quiconque. En fait, la plupart de l'ensemble des faits prouve le 
      contraire. 
      
Greene et la RIAA ont raison sur un point – 
      les temps sont venus d'un grand changement dans notre industrie. Mais au 
      moment où il ne reste plus que quatre labels en Amérique (Sony, 
      AOL/Time/Warner, Universal, BMG)… quand des genres entiers glorifient les 
      mentalités de gangsters et perdent leurs plus grandes voix de façon 
      violente… quand des cadres changent de poste aussi souvent que Zsa Zsa 
      Gabor changeait de vêtements et que "A&R" [Ndt : Artist & 
      Repertoire en anglais = poste de directeur artistique] est devenu un 
      euphémisme pour "Absent & Redondant"… eh bien, on d'autres chats à 
      fouetter.
Pour nous les artistes, il est absurde d'encourager – ou 
      d'approuver – l'arrêt d'un tel système. Il est totalement stupide de se 
      réjouir de la décision d'arrêt de Napster. C'en est myope et 
      ignorant.
La mise en valeur gratuite est pratiquement quelque chose 
      qui appartient au passé pour les gens du spectacle. Réussir à faire passer 
      un de ses disques à la radio coûte plus d'argent que la plupart d'entre 
      nous rêve de jamais gagner. Le téléchargement gratuit donne une chance à 
      tout autoproduit. Tout spectacle qui n'est pas signé par une major, quelle 
      qu'en soit la raison, peut toucher littéralement des millions de nouveaux 
      auditeurs, les incitant à acheter le CD et à venir aux concerts. Où 
      d'autre un nouveau spectacle aura une telle mise en 
      valeur ?
Si l'on n'y prend garde, on va devenir comme 
      Microsoft, insistant pour que tout foyer voulant une copie pour la 
      voiture, ou les gosses, ou le lecteur de CD portable, acquière une licence 
      pour de multiples copies.
En tant qu'artistes, nous avons les 
      oreilles des masses, nous avons la confiance des masses. En en parlant 
      lors des concerts et dans la presse, nous pouvons faire beaucoup pour 
      atténuer cette hystérie et jeter le blâme pour le triste état de notre 
      industrie là où il le faut – au sein des maisons de disques, des 
      programmateurs de radio et de notre propre incapacité apparente à nous 
      organiser afin d'améliorer nos vies et celles de nos fans. Si nous ne 
      prenons pas les rênes, personne ne le fera. 
      
Sources : Baenbooks.com, BMG Records, 
      Chicago Tribune, CNN.com, Congressional Record, Eonline.com, Grammy.com, 
      LATimes.com, Newsweek, Radiocrow.com, RIAA.org, communications 
      personnelles * pour de plus amples informations sur la Free Library, 
      visitez http://www.baen.com/library. * pour 
      lire l'article d'Eric Flint's dans son intégralité, allez sur http://www.janisian.com./article-eric_flint-free_library.html. 
      
      
Janis Ian