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« Le tour de force ? On me prêtait des tas de
connexions. Des complicités masquées. Un véritable réseau. La vérité,
c'est que je bidouillais quasi seul en petit artisan. Ça rend bien des
combats possibles : avec trois fois rien, il y a moyen de déstabiliser une
multinationale. » P.C.
Monsieur,
Comme suite à notre entretien de ce jour, nous vous confirmons que
notre société envisage de prendre une sanction à votre encontre en
application de la procédure disciplinaire prévue à l'article L122-41
alinéa 2 du Code du Travail. La gravité des faits nous oblige dès
aujourd'hui à une mise à pied conservatoire. En conséquence, nous vous
fixons rendez-vous le 28 février à 14 h 30, au 21 boulevard Yves
Farge, en mon bureau. Nous vous rappelons qu‚il vous est loisible de
vous faire assister par une personne de votre choix appartenant au
personnel de l'entreprise. Nous vous prions d'agréer, Monsieur,
l'expression de nos sentiments distingués.
Philippe Desmoulins Directeur Général
ous sommes le 24 février 1989. Pierre Carles, diplômé frais
émoulu d'une école de journalisme bordelaise, vient d'entamer sa carrière
professionnelle depuis trois jours. Il n'y aura pas de quatrième jour. Le
fâcheux vient de faillir au code déontologique en vigueur. La veille de
cette lettre recommandée, l'individu s'est rendu responsable d'une faute
grave : invité par son employeur, la naissante télé locale lyonnaise
TLM, à filmer dans un hôpital la convalescence de la skieuse Carole Merle,
Pierre Carles détourne le sujet. Et zoome sur un tract méchamment
anticommuniste d'un certain Roger Caille. Le hic, c'est que le Caille en
question est le grand manitou de TLM. Et que l'invité du jour de la chaîne
n'est autre que le maire communiste de Vaulx-en-Velin, Maurice Charrier.
Ce que ne manque pas de relever, dans un commentaire taquin, le piquant
reporter.
Sur le coup, c'est l'émotion et la consternation. Philippe
Desmoulins, le directeur de la chaîne qui n'en est elle aussi qu'à son
troisième jour d'existence, blêmit. « Je peux faire mes valises,
c'est terminé. » Il n'aura pas à le
faire. C'est rien de moins que son supérieur hiérarchique, Roger Caille,
qui accompagnera dans la charrette le jeune insolent. Rupture de
neutralité, condamne le conseil d'administration de la chaîne : carte
rouge ! Le président est mis à pied.
L'histoire de Pierre Carles aurait dû en rester
là, et personne n'aurait trouvé à s'en plaindre. Mais quelques semaines
plus tard, on localise l'énergumène 450 kilomètres au nord, sur un plateau
d'Antenne 2. Séduit par l'impertinence décalée du blanc-bec, Bernard Rapp
invite celui-ci à mettre en pratique sa différence sur le plateau de
L'Assiette anglaise. Carles décide d'y filmer les coulisses du pouvoir et
de la télé. Des sujets sur papier sans intérêt (la candidature de Michel
Noir, le jeu des allées et venues de voitures dans la cour de l'Élysée,
une conférence de presse de Charles Hernu…), mais que celui que les
magazines de l'époque qualifient bientôt de nouveau Desproges détourne par
des commentaires éthologiques. Digne d'un reportage animalier : la
laborieuse parade amoureuse d'une chroniqueuse du Journal du
Dimanche, Florence Muracciole, afin d'attirer l'attention du mâle
dominant de Solutré, François Mitterrand. Plus tard, Carles ne cessera
d'observer, façon Connaissances du monde, d'autres parades. Anne Sinclair
et Laurent Fabius, Jacques Chirac et Michèle Cotta, autant de
chorégraphies teintées, si l'on veut bien y être attentif, de connivence
trouble. Entre médias et pouvoir, ça roucoule.
La saison suivante, il gère son nouveau capital
sympathie dans deux nouvelles émissions de Rapp. Sur Tranche de Cake, il
parvient à mettre en pétard Paul-Loup Sulitzer en montrant, dos à l'invité
et désespérément fermé à la communication, comment il fallait s'y prendre,
si l'on tenait à rendre une petite visite surprise au gros loukoum, pour
neutraliser son système d'alarme. Quelques mois plus tôt, il
réceptionne dans les bureaux de l'émission une lettre de bons vœux envoyée
à Rapp par Roger Caille, le licencié de TLM, recyclé patron de Jet
Services. Caustique, il s'empare du courrier, feint d'en avoir été
destinataire et répond : « Votre carte de vœux m'a
évidemment pris de court. Je ne m'attendais pas, en effet, à pareille
réaction de votre part, surtout après le triste épilogue — aussi bien
pour vous que pour moi — de « l'aventure TLM ». À mon tour,
à présent, de vous présenter mes meilleurs vœux pour la nouvelle année.
Bien amicalement (et sans rancune). Pierre
Carles. » Perplexe et à nouveau
désorienté, Roger se hasarde à cette réponse : « Je ne
m'attendais pas à ce que, je ne sais par quel mystère, une carte qui, vous
vous en doutez, ne vous était pas destinée, vous parvienne. Quant au
triste épilogue que vous évoquez, je ne vois pas de quoi vous voulez
parler, ni à quoi correspond TLM. Je vois que vous avez toujours la caméra
aussi grinçante. »
Perspicace, la Caille. En tous cas sûrement bien
plus que Christophe Dechavanne, qui fin 1990 accueille à bras ouverts
Pierre Carles sur le plateau de Ciel Mon Mardi en l'incitant à y faire le
gugusse. Notre homme s'exécute… à sa manière. Méthode
« Arrapèdes », du nom de ces teigneux coquillages impossibles à
déloger de leur incrustation. Pierre Carles : l'inquiétant ami qui
vous colle à la peau. Comment s'en débarrasser ? C'est diantre ce que
se demande Jacques Chirac, la mâchoire serrée, et on le comprend :
marqué à la semelle par un crétin de journaliste, d'autant plus
cauchemardesque que cet importun le suit — ou plutôt le
harcèle — pendant sa journée de « promo » en larbin gaffeur
(commentaire au hasard, tandis que le maire de Paris, à 30 centimètres de
la teigne, tente de se concentrer sur une dédicace de livre :
« Oui, bien sûr, on reproche à Jacques Chirac d’avoir fait en
voyage officiel en Roumanie sous Ceaucescu mais qui n'a pas un jour ou
l’autre commis des erreurs de jeunesse ? »), autiste,
tenace, limite psychotique… et puis surtout aimable. Épouvantablement
aimable. Comment s'en débarrasser ? C'est ce que se demandent,
face caméra et la sueur au front, Pierre Bérégovoy, puis Jean-Pierre
Chevènement, dont Carles, en indécrottable tique, anticipe et commente,
affable et sobrement british, la pompeuse nécrologie. « Un homme
courageux, consciencieux, déterminé. S'il venait à mourir, on pourrait
dire de lui qu'il fut un homme incompris. » Ironie du sort :
peu après, Béré passait l'arme à gauche. Chevènement se relèvera quant à
lui d'entre les morts. C'est clair, ce
type-là porte la poisse. Qu'importe, l'audimat suit. Les téléspectateurs
se délectent. Pierre Carles un peu moins, mais ce n'est pas grave :
sa stratégie d'infiltration est plutôt réussie. Les choses sérieuses vont
bientôt pouvoir commencer. D'insolite, il vire bientôt au maladif. Et
exploite de nouveaux malaises au travers de fantaisies toujours plus
glaçantes. Au Salon de l'Auto, il met en place un dispositif d'interview
kamikaze. Avec toujours au fond du visage, ce maintien qui hésite entre
froideur et courtoisie. Les vedettes interrogées n'y voient que du feu.
Carles se présente à eux, annonce que l'interview s'adresse aux
téléspectateurs espagnols, s'inquiète de savoir si l'interlocuteur parle
cette langue (« non ! ») et avertit celui-ci que la
question de l'interview devra leur être posée en espagnol. Dont acte. La
question, en l'occurrence : quelle est votre voiture préférée ?
Le pilote de formule 1 Paul Belmondo et le chanteur pré-Boy's Band
David (de David et Jonathan) sont de corvée. Au premier, Carles lance la
version espagnole de la question… si ce n'est que l'on comprend très vite
qu'il nous dit autre chose : que Paul Belmondo, à l'écoute à ses
côtés et tout sourire, n'est au volant d'un bolide que parce que Papa
était là. Au second, David : que oui, vous l'avez reconnu, c'est le
chanteur français qui se commet dans les canciones estupidas e
idiotas. Sur quoi l'autre enchaîne naturellement sur ses
préférences, Ferrari, tutti quanti. Séquence non diffusée.
Mais ce n'est encore rien. La saison suivante,
Pierre Carles, recyclé par les médias de zèbre desprogien en rat
debordien, sort du bois. Et attaque frontalement, via trois sujets
« de divertissement » commentés avec un moniteur vidéo qu'il
pilote en direct, l'ahurissante indigence des petites reines de la télé.
Le malaise est d'autant plus profond que Carles, toujours sur le plateau
de Ciel Mon Mardi (TF1), a décidé de décocher ses flèches contre les stars
de la chaîne qui l'emploie. Primo : Laurent Cabrol, animateur
d'une Nuit des Héros au profit de handicapés. Une Nuit dont Carles se fait
le pertinent sémiologue, en disséquant les exploits du show caritatif, en
particulier l'un d'entre eux : un athlète pendu à 25 mètres de haut.
Commentaire de Carles : « Ou c'est du bidon, ou le type
risque de rejoindre le camp des handicapés d'ici
peu ». Deuxio : Jean-Pierre Foucault, toujours pour le
compte d'une soirée caritative, autour de la pédophilie. Le futur
présentateur de Qui veut gagner des millions ? semble transformer par
la théâtralité d'une question posée à un parterre de spécialistes un enjeu
grave en jeu de millionnaire : « Qui sont ces hommes capables
de tuer des enfants ? -Des Monstres. -Des malades. -Des gens
ordinaires ? Je répète : qui sont… ? ».
Commentaire de Pierre Carles : « La réponse, c'était des
monstres. » Rires dans la salle. Dechavanne précise, le sourire
virant au jaune, « que Jean-Pierre est un
ami. » Tertio : Jean Bertolino. Le présentateur de 52 sur
la Une, semble se pâmer de plaisir à l'idée de raconter dans le détail des
horreurs ramenées du bout du monde, constate Carles. Qui, une fois encore,
en donne une démonstration clinique avec un reportage mielo-trash.
L'équipe de reporters filme des pirates philippins en train de commettre
leurs exactions sou l'œil de la caméra. Là-dessus, une femme, victime de
ces truands, supplie : « Laissez-moi, ne me faites pas de mal
». Le chef des pirates lui répond : « T'as pas intérêt à
dire qu'on t'a attaquée. » Pas peu fier, Bertolino commente
alors : « c'est grâce à notre présence que les pirates n'ont
ce jour-là ni tué ni violé les femmes de ce village. » Réplique
de Carles, qui smashe et fait le point : « Grâce à Jean
Bertolino, plus personne n'ignore que cette dame a été attaquée par les
pirates et qu'elle risque maintenant des représailles. » La
réaction ne se fait pas attendre. Etienne Mougeotte, directeur général des
programmes de TF1, est dans une fureur incontrôlable. Au Mipcom (Marché
international des films et des programmes pour la télévision) de Cannes,
il s'emporte sur « l'énergumène ». Enchaîne sur « ce
merdeux ». Et conclut, courageux mais point téméraire, que s'il avait
tenu en face de lui Pierre Carles, c'est sûr il lui aurait mis son poing
dans la gueule. (1) Viré !
Les choses tournent au vinaigre. Après TLM, après
TF1, c'est M6 et son président Thomas Valentin (Loft Story) qui vont
prendre le relais et s'atteler à mater le rebelle. Avec La Nomenklatura
française, Pierre Carles s'attaque à un documentaire de fond sur les
coulisses du pouvoir et de la télévision. À ses côtés, un jeune loup de la
presse montante, Daniel Schneidermann. Le duo ambitionne d'observer la vie
des élites en France, mais très vite ça dégénère. À la différence de son
inconscient collègue, Schneidermann spécule secrètement sur une
opportuniste investigation en forme de promotion personnelle. Bien se
mettre avec le beau linge ? En fait, Carles veut s'y employer
autrement. La fin justifiant les moyens, il met au point une petite
stratégie de guérilla… aux effets explosifs. Pour piéger les grosses
légumes, et surtout leurs serviteurs (chauffeur, jardinier, voisin…),
qu'il harcèle de sa caméra, il décide de simuler, en pleine interview, la
panne de micro. Du coup, en « off », les révélations
croustillantes et autres confessions inavouables sont libérées.
« Maintenant qu'on est hors interview, je peux vous le dire… »,
se vantent imprudemment quelques sadiques bavards, convaincus un peu vite
par la servilité déontologique de leur interlocuteur, tenu au silence.
C'est mal connaître Carles, qui dénonce, témoignages à l'appui : les
petites faveurs de Patrick Poivre d'Arvor, à qui la mairie de Paris
(Chirac) prête ici et là le Parc des Princes, pour « un petit
match entre amis » (Alain Finkielkraut, François de Closet, Éric
Orsenna) ; les caprices du ministre socialiste Paul Quilès, à qui ça
ferait si plaisir d'avoir la possibilité d'aller voir les matches du
tournoi en tribune officielle quand bon lui chante à Roland-Garros, en
toute intimité. À charge de revanche, bien sûr : des projets
d'extension du complexe de Roland-Garros sont en négociation, il ne manque
plus que le permis de construire.. Loyal, Quilès saura s'en
souvenir. Autre tactique : confronter par l'image le
« off » et le « on ». Ainsi de la double
relation entre Chirac et Michèle Cotta. En coulisses, des images qui
témoignent d'une familiarité quasi érotique. En plateau télé, une
simulation d'extrême froideur et de distance critique. Le montage des deux
séquences, digne d'un film burlesque, dénonce d'éclatantes pratiques de
connivence. Cela fait longtemps que Schneidermann, paniqué, est parti en
courant. Le film, Les bonnes fréquentations, excellent au demeurant, ne
sera jamais diffusé. Quelques années plus tard, un autre sujet de
Carles subira les mêmes foudres de la direction de M6. Pour l'émission
Culture Pub, le réalisateur confronte la représentation de l'image du
journaliste dans la publicité avec celle de la réalité. Le constat est
sans appel : dans la publicité, les journalistes représentés sont
autrement plus coriaces, rebelles et épris de vérité que leurs modèles de
la vie réelle (et les bandes-annonces des chaînes sont bien plus
mensongères que les publicités qui mettent en scène les journalistes).
Censure et fin de la collaboration avec M6.
Après Caille, Mougeotte et Valentin, voilà
Bourges qui descend en 1992 dans la fosse. Et qui s'oppose in extremis,
sur l'émission Double Jeu présentée par Thierry Ardisson, à la diffusion
d'un sujet de Carles sur la vraie-fausse interview de Fidel Castro par
PPDA. Un sujet où le présentateur-vedette de TF1 est traité, à juste
titre, de menteur : son « interview exclusive » de Castro
n'était ni exclusive ni surtout un travail-maison. Poivre a tout piqué à
une journaliste argentine. L'émission étant préenregistrée, le
téléspectateur a ce soir-là la surprise de voir le sujet annoncé, lancé
puis subitement coupé par un panneau de type soviétique : « Pour
des raisons confraternelles, la direction d'Antenne 2 a décidé de ne pas
diffuser le sujet prévu par l'équipe de Double Jeu. » Aux lendemains
de la non-diffusion, Bourges s'explique à la presse : « le
sujet de Pierre Carles n'est pas drôle. » Hallucinant. Le sujet
passera finalement lors d'une émission ultérieure, non sans un passage
préalable par les ciseaux du montage. Le « menteur ! »
assené par Carles devenant « info ou intox ? »
Info !
Un an plus tard, on est sur Canal +. Face à
Antoine De Caunes et Philippe Vandel, Carles défend un pilote d'émission
pour Nulle Part Ailleurs, basé sur une idée proposée, vendue puis retirée
quelques mois plus tôt aux Éditions Albin Michel : Les 1001 manières
de saboter une émission de télé. Un vrai manuel de terrorisme médiatique.
Programme à coup sûr alléchant, lâchent les rockers de la télé. Qui vont
très vite mettre un bémol à leurs enthousiasmes. C'est que le Pierrot ne
rigole pas. Ou plutôt si, il se marre, en vérité c'est d'ailleurs lui qui
se marre, et les deux autres qui blêmissent. Car au lieu de parodier et
d'esthétiser la cool rébellion chère à la chaîne, Carles livre clef sur
porte un véritable petit manuel de terrorisme médiatique. Et invite manu
militari à passer à l'acte. En prenant, pour le pilote, quatre exemples
« reproductibles », crescendo : 1. un speech en public
de Jacques Toubon contrarié par des éléments perturbateurs (doigt levé,
bras d'honneur, gardes du corps maladroitement violents,
projectiles…) 2. un talk show événementiel à Munich (finale
marseillaise de la Coupe d'Europe de football) avec Dechavanne et Enrico
Macias pris en direct pour cibles par des lanceurs de pommes (Enrico) et
de sandwichs au saucisson (Sophie Favier). 3. Les braiments en direct
du commentateur sportif Thierry Roland, au moment de son agression en
plein drame de Furiani (l'effondrement tragique d'une tribune du stade de
foot, à Bastia) par un spectateur ivre de colère. « Autant
d'exemples de déstabilisations d'animateurs », constate Carles,
toujours aussi autiste et monomaniaque, avant de conclure par une dernière
illustration : l'irruption incontrôlée au domicile de grabataires
gaufrés d'un insupportable marchand de sable, Monsieur Bonsoir, pour leur
souhaiter sous le regard d'une caméra gluante la bonne nuit. Tout cela
sous la bénédiction du docteur ès sucrée soirée, Jean-Pierre Foucault.
« Un détournement simple, suggère Carles : au cas où
une telle mésaventure vous arrive : simulez la mort, ou au moins le
gros malaise. » Gros malaise il y aura. Le pilote restera dans
l'écurie.
Puis commence une longue collaboration avec le
magazine Strip Tease, pour France 3. En 1994, Carles piste le chauffeur de
Chirac (Chirac, ma femme et moi). Jovial, impulsif, physiquement proche de
son patron. D'aucuns font un saisissant raccourci : le portrait de
Jean-Claude Laumont, c'est celui de Chirac. Madame Laumont confirme, un
rien défaite : « c'est vraiment un couple. Moi, je suis
l'intruse ». Diffusé au moment de sa sortie, alors que Chirac est
donné battu face à Balladur, le reportage est reprogrammé en 1996. Mais
Chirac est désormais Président de la République, et Jean-Pierre Elkabach,
président de France Télévision en quête de nouveau mandat, s'interpose
personnellement afin que le sujet ne repasse pas. Pour cause
d'« amalgame dangereux ». Frilosité politique ?
s'interroge la presse. Soit, mais ne repoussons pas « l'hypothèse
de la bêtise » (2), précise Carles.
Qui enfonce le clou. Et revient, avec le
documentaire Connivences, à son dada préféré : la dénonciation de ce
que Bourges appelait les « raisons confraternelles ». Et
que l'ami Carles traduit par corporatisme incestueux. Il n'a pas tort. Son
sujet est même criant de vérité, mais il est des tabous de Polichinelle
qu'il n'est pas sage de briser. La stalinisation de Pierre Carles est en
cours. Sa stratégie d'infiltration de l'histoire ancienne. Avec
Connivences, (Rapp Tout, sur France 2), Carles livre la version
audiovisuelle de ce que le journaliste Serge Halimi (Monde
diplomatique) nomme le « journalisme de révérence » (3). On y apprend certaines pratiques du Landernau
littéraire : les échanges d'amabilités « critiques » de
Françoise (Giroud), Jean-Marie (Colombani), Franz-Olivier (Giesbert),
Bernard-Henri (Lévy)… Alain Duhamel saluant le nouvel ouvrage de Laurent
Joffrin, celui-ci le lui rendant bien lorsque le tour de Duhamel est venu.
En somme, une sacrée bande de canailles.
Une fois n'est pas coutume, Carles va développer
une nouvelle thèse à caractère politique en sollicitant, sur Arte,
sémiologues et sociologues. Bourdieu n'est pas loin. Avec "Juppé
forcément" (diffusé avant les élections municipales et donc rebaptisé par
la chaîne en "Bienvenue monsieur le ministre"), Carles pratique la
dissection d'une propagande médiatique « ordinaire ».
Postulat : la candidature d'Alain Juppé aux élections municipales de
Bordeaux est un non-événement par excellence. Vu l'extraordinaire
attention médiatique dont le ministre va bénéficier, au détriment de ses
adversaires, on peut l'annoncer : Juppé est déjà élu. Et Carles de
démonter les mécanismes de propagande médiatique. Des mécanismes d'autant
plus pernicieux qu'ils sont ordinaires et produits de façon inconsciente
par la majorité de la profession, humaine, trop humaine : le plus
souvent, « de juvéniles journalistes, un peu flattés que le
ministre s'intéresse à leur région, et donc à eux », relève un
sociologue. Ça ne va pas pisser plus loin.
Question : le gotha de la médiacratie est-il
peuplé de surhommes, ou alors d'humains, trop humains ? La réponse,
ce sera Pas vu à la télé. Une enquête qui répond à une carte blanche
offerte par Canal + à l'occasion de la Journée de la Télé. Thème de
la commande : la télé, le pouvoir , la morale. Nous sommes en 1995.
Pierre Carles décide de consacrer les 14 minutes de son enquête à
l'interview d'une petite dizaines de présentateurs-vedettes du paysage
audiovisuel français. Point de départ de l'interview : peut-on tout
dire à la télé ? Réponse unanime des stars : oui, bien sûr.
Démocratie, liberté d'expression… On n'est plus au Moyen Age, n'est-ce
pas ? Certes, enchaînent Carles et son complice Hector Olbak, qui
proposent alors de passer de la théorie à la pratique. Et montre à chacun
des interviewés (Bernard Benyamin, Guillaume Durand, Henri de Virieu, Anne
Sinclair, Alain Duhamel, Patrick de Carolis, Charles Villeneuve, Jacques
Chancel) un gentil petit document vidéo, auquel Le Canard Enchaîné
a fait allusion le 7 septembre 1994. On y découvre, filmés à leur
insu, le Ministre de la Défense Philippe Léotard et le vice-président de
TF1 Etienne Mougeotte conversant en toute intimité autour d'importants
dossiers financiers. Problème : leur tutoiement du 6 juin 1994
aurait dû rester secret, mais la liaison satellite est établie et les
images de cet entretien sont interceptées. Illégal ? « Avec
les gens de mauvaise foi, il faut être de mauvaise foi »,
justifie Carles. Qui interpelle ses grands démocrates :
diffuseriez-vous ce document ? Petite question aux grands effets.
Les masques tombent. Charles Villeneuve (Le Droit de savoir) perd sa
contenance et menace. Bernard Benyamin (Envoyé Spécial) s'offusque de
l'utilisation des images volées par Pierre Carles, lequel lui rappelle à
juste titre qu'il en fait de même avec les caméras cachées de certains
reportages de son émission… mais avec des gens qui n'ont pas les moyens de
se défendre. Les autres ? Unanimes à condamner la méthode Carles. Et
à bizarrement faire l'impasse sur le fond. Par une petite séquence qu'il
considère lui-même comme « relativement inoffensive »,
Pierre Carles vient de mettre le doigt sur un tabou : ainsi, les
notables de l'info cacheraient derrière des looks de forts en
gueule et des réputations de pourfendeurs de vérités des comportements de
larbins, pieds et poings liés aux rouages du pouvoir. Mieux : ils
nous vendraient l'idée d'une info libre, féroce, polémique, indépendante…
quand elle ne charrierait le plus souvent que complaisance et frilosité.
Bref, il y aurait parmi eux des imposteurs, et il faudrait s'employer
derechef à les démasquer. Quel est donc ce jeune blanc-bec donneur de
leçons ? s'interroge alors Mougeotte, alarmé par quelques confrères.
Pierre Carles, encore lui ? Le merdeux de Bertolino ? Comment,
il récidive ? Il n'a toujours pas compris ? Ne t'inquiète pas,
Etienne, intervient alors Alain De Greef, le porte-parole de la télé rock
and roll. Son reportage, à Carles, tu ne le verras jamais. C'est direction
poubelle. « Il est hors de question qu'une dizaine de journalistes
parmi les plus importants de la profession passent pour des imbéciles, des
traqueurs, voire pire. » Et puis, on ne va quand même pas
« souiller l'antenne de Canal + avec un document malhonnête
et illégal. C'est dans la provocation gratuite, la manipulation malhonnête
et l'illégalité assumée que sont nés le fascisme et le nazisme dans
l'Europe des années 20 ». (4) Corporatisme encore : après TF1 et
Canal +, voilà Arte et son président Jérôme Clément qui ferment la
porte à Pierre Carles. Son enquête sur le document Mougeotte-Léotard n'y
aura pas droit de cité (les mêmes refuseront plus tard de produire le
documentaire autour de Pierre Bourdieu). Le sujet semble cette fois-ci bel
et bien voué à l'oubli. Une à une, les portes se ferment sur le passage de
Pierre Carles. Fin de parcours ?
Plutôt crever. Cet homme-là est à l'image du nom de sa
société : un Arrapèdes. Il s'accroche. S'entête. Se bute. Expulsé par
la porte, il resurgit par la fenêtre. Sa diabolisation par l'ensemble de
la profession ? Ce sera le sujet de son prochain film. Et il crachera
dans la soupe pour dénoncer ceux qui (se) la servent. Il
faut parfois pouvoir mordre la main de celui qui nous nourrit. Une
chaîne qui s'emploie via ses journalistes à distribuer bons et mauvais
points sur le cours du monde doit commencer par balayer devant sa porte.
Si elle n'en est pas capable, si son arrogance journalistique refuse toute
forme d'autocritique, c'est que c'est une canaille. Et il faut alors la
dénoncer. Ça s'appelle de l'information. Pas vu pas pris, genèse d'une
censure, est en chantier. Fin avril 1996, une première version est
présentée à Bruxelles. Les responsables de Canal +, censeurs de Pas
vu à la télé, s'y retrouvent aux premières loges. À leur insu :
Carles a tout enregistré. Entre-temps, Pas vu à la télé vient de recevoir
ses premiers lauriers — prix du Scoop et du Journalisme d'Angers. Il
y en aura d'autres. Paradoxalement, la diabolisation de Pierre Carles
va coïncider avec le début du calvaire de Canal +. Car en décembre
1996, voilà que surgit Zorro. Alias Karl Zéro, pourfendeur autoproclamé
des derniers opprimés de la liberté d'expression. « Dans mon
émission, je peux tout dire et tout montrer », fanfaronne le
présentateur du Vrai Journal. Même diffuser du Pierre Carles ?
« Sans le moindre problème », ricane publiquement Zéro.
L'autre Karl, Pierre de son prénom, le prend au mot, l'appelle et découvre
illico presto une autre vérité. « Il faut que vous sachiez qu'on
ne peut pas tout dire… Canal, aujourd'hui, ce sont des groupes
économiques, ils ont besoin des politiques, y a pas à chier… »
Méfiant, Carles enregistre secrètement la conversation téléphonique… comme
celle de ses précédents démêlés avec Canal +. Après tout, le montage
de Pas vu pas pris n'est pas bouclé. Ses enregistrements constituent donc
une potentielle menace de revanche. Contrarié, Karl Zéro accepte néanmoins
le sujet de Carles, consacré au « cabinet médiatique » de
Jacques Chirac. Problème : parmi ces journalistes, il y a
« mon copain Durand », puis aussi Field… « Je ne
veux pas trop que tu les descendes… » Sujet encore une fois
censuré. Mais escroquerie une nouvelle fois levée : « Canal
paie Karl Zéro pour dire qu'il est libre. Mais uniquement pour le
dire. » (5)
Pour financer son film pirate, Pierre Carles se
fait embaucher par Les Enfants de la télé et pille les archives des
émissions d'Arthur, l'animateur pour le coup le plus con de la télé et les
revend au journal Entrevue. Il vole aux riches pour financer ses
films pauvres. C'est le monde à
l'envers. Projeté dès l'été 1997 au sein de festivals français, Pas vu pas
pris entame sa récolte de prix. Alain De Greef se déclare consterné. Pour
la chaîne cryptée, pas encore domestiquée par Vivendi, plus qu'un
symbole : la fin des illusions. Autour de Pierre Carles, par contre,
l'improbable embellie. Refusé par toutes les chaînes de télé, Pas vu pas
pris se destine à une carrière en salles. Les fonds nécessaires ne sont
pas encore réunis mais une association de sympathisants, Pour voir pas vu, se constitue
alors afin de réunir par souscription la somme manquante. 3440 personnes
répondent à l'appel et réunissent les 600.000 francs nécessaires au
montage, au mixage… et au rachat à Canal + des images de Pas vu à la
télé (140.315 francs). L'affaire suscite un important retentissement
médiatique. Désastreux pour l'image rebelle de Canal. Tout profit pour les
intérêts de Pierre Carles, qui va bientôt toucher au but.
Et qui n'en perd pas son humour. Canal veut ses
140.315 francs ? Elle les aura. Mais devra d'une certaine façon les
mériter. L'arrapèdes est de retour. Cinq complices de Pierre Carles,
adhérents de la première heure de Pour voir pas vu, vont pendant quelques
semaines se succéder au téléphone afin de harceler de requêtes plus
aimables les unes que les autres le service de presse de la chaîne câblée.
Un poème de confrontation burlesque ! D'un côté, un désolant quintet
bordelais de pieds nickelés rigolards. De l'autre, une glaciale World
Company, version parisienne. Sur papier, les petits artisans de la teigne
n'ont pas grand chose à opposer à l'industrie du branché. Si ce n'est,
précisément, leur teigne. Que les garnements vont intelligemment enrober
dans une extrême courtoisie. Nous sommes en octobre 1998. Dans quelques
semaines, Pas vu pas pris sera sur les grands écrans. Très précisément le
mercredi 11 novembre. Mais avant cela, Carles doit honorer une
obligation : payer les 140.315 francs de reprise des droits à
Canal +. C'est peu dire qu'il va prendre son temps. Sous le nom de
code « opération armistice », les cinq sangsues commencent alors
leur mission. Celle-ci consiste à informer la chaîne à péage d'une petite
cérémonie confraternelle entre Canal et les adhérents de Pour voir pas vu
afin d'acter la remise du chèque. Et, surtout, de célébrer la « fête
de l'amitié retrouvée ». Affables et tendrement bourrus, les
harceleurs dégainent un à un leur téléphone pour
« prendre contact avec le président Lescure ». —Ah,
il n'est hélas pas là, monsieur, minaude une secrétaire au premier. Rappel
du second, et même secrétaire. —Monsieur Lescure est actuellement en
réunion. Je peux vous aider, monsieur ? —Eh bien, c'est au sujet de
la remise du chèque de Pierre Carles à Canal +. Le président Gébé, de
l'association Pour voir pas vu, tient personnellement à célébrer
l'événement par une petite fête de l'amitié et de la réconciliation. Mais
comme notre président a actuellement de graves problèmes de santé, il ne
pourra pas se libérer le 10 novembre, comme prévu, mais bien le 11, à
14 heures. Voyez, je vous prie, avec le président Lescure comment peuvent
s'organiser les choses… Quelques minutes plus tard, le téléphone sonne, mais
cette fois de Paris à Bordeaux. À Canal, c'est l'alarme, on a prononcé le
nom de Pierre Carles, et il serait question d'une nouvelle fantaisie
abracadabrantesque. Un attaché de presse est envoyé en éclaireur. Puis un
autre. Et bientôt, c'est le directeur financier de la chaîne, Jean-Pierre
Roux, qui s'en mêle en personne. On le comprend : des journalistes
(complices) n'arrêtent pas d'appeler la chaîne au sujet des
« modalités de la fête de l'amitié retrouvée » entre
Pierre Carles et Canal +. Qu'est-ce que c'est que ce bazar ? Et
puis cette remise de chèque, c'est grotesque ! Ils ne peuvent pas se
contenter d'un simple envoi postal, ou d'un bête virement, comme tout le
monde ? —Ouh la la, non, cher monsieur. Vous comprenez, le président
Gébé s'est investi personnellement dans cette affaire, il est très âgé, en
très mauvaise santé, et il lui tient à cœur de célébrer tout cela par une
petite fête de l'amitié. —Mais on ne veut pas de votre amitié, craque le
financier. Et puis, excusez-moi mais des clients comme vous on en a des
tonnes, et vous n'êtes pas à proprement parler un dossier important. Vous
savez, on travaille avec la Fox, et quand elle nous fait un chèque, il n'y
a pas de protocole, alors… —Oui mais comprenez bien, le vieux Gébé n'en a
plus pour longtemps. Dieu sait seulement s'il sera toujours en vie. Il
faut, je ne sais pas moi, quelque chose d'un peu pompeux. —Ça n'est pas
possible, monsieur. Et cela ne le sera jamais. Quelques jours plus
tard. Driiing. « Allô ? Le service de presse de
Canal + ? Oui, je suis journaliste à Sud-Ouest
(bidon !). C'est au sujet de la petite fête du 11 novembre. Le
film de Pierre Carles, c'est bien à 14 heures qu'il sera projeté dans la
salle d'honneur ? » Grrr. À nouveau, le ver est dans le
fruit. Le virus s'est propagé. Il faut d'urgence un vaccin. Canal appelle
les Renseignements Généraux : une manifestation sauvage est prévue
devant le siège de la chaîne. S'il vous plaît, faites quelque
chose !!! Foutu téléphone. Qui n'arrête pas de sonner, pour un oui,
pour un non. « Les cars de nos 3500 adhérents, on les mettra
où ? » « Pour le verre de l'amitié, on apporte le
vin. Vous vous occupez de la limonade ? » De Greef avait
raison : un tas de merdeux. Le 11 novembre 1998, sur le coup de 14
heures, le cauchemar devient réalité. Le président Gébé, Charb, Michel
Fiszbin, Serge Halimi, Olivier Cyran… Ils sont tous là. Sauf Pierre
Carles, qui a transmis à Gébé un mot d'excuse à transmettre aux nouveaux
amis : « excusez-moi ! ». Lapidaire, mais
glorieux : Pas vu pas pris est en salles, son auteur aussi. À Canal,
c'est l'émotion. Les RG et vigiles de la chaîne font le pied. Attendent le
faux pas. Guettent le dérapage, aux côtés d'une caméra de TV +,
l'émission-maison « qui vous dit tout sur la télé ». Las !
Nos arrapèdes font d'épastrouillants enfants de chœur. À Philippe Gildas
—remplaçant Alain De Greef, hospitalisé— qui se fraie un chemin lubrifié
par les vigiles, le vieux Gébé remet une pièce de collection : le
fameux chèque de 140.000 francs, version géante, contreplaqué, loupiottes
clignotantes. Jérôme Bonaldi recueille le solde restant en
assistant-comptable 315 francs en petites pièces, dans un beau sac
en plastique de grande surface. « On va remettre cette somme à la
Fondation de France », cabotine Gildas, face caméra. Les deux
hommes regagnent leur forteresse, tandis que derrière eux les insurgés
décident d'immortaliser la petite sauterie en posant à la perceuse une
plaque commémorative sur la façade de Canal +. « Le 11/11/98 a eu
lieu la fête de l'amitié et de la paix à l'occasion de la remise du chèque
de l'association Pas Vu à la télé ». Marc-Olivier Fogiel de TV+ ne
diffusera jamais les images du sujet. On ne doit pas se moquer de
Canal +.
Rideau. Ou presque. Le chèque n'étant pas
encaissable, le service financier de la chaîne rappelle illico la bande à
Carles. Qui renvoie un plus conventionnel chèque bancaire… de 126.000
francs. Nouveau coup de sang des canalplusiens, nouvelle demande
d'explication. Alors quoi, et les 14.000 francs restants ?
« Ah ben, c'est monsieur Gildas qui les a. Il nous a quittés le 11
novembre en possession du chèque en contreplaqué, qui est une œuvre d'art
évaluée à 14.000 francs. Il faut donc que vous voyez ça avec
lui. » Ils ne verront plus rien du tout ! Au bord de la
crise de nerfs, les patrons de la chaîne n'ont qu'un seul désir :
qu'on ne prononce plus jamais le nom de ce maudit Pierre
Carles. Trois ans après « l'affaire », le vœu des censeurs semble
ne pas avoir été entendu. Entre-temps, Pas vu pas pris est devenu culte,
et Pierre Carles est en voie de réhabilitation. Sorti en salles sans la
moindre promotion ni bien entendu sans coup de projecteur médiatique, le
documentaire a rassemblé 160.000 spectateurs. Seul The Big One, le
documentaire de l'américain Michael Moore, a fait mieux dans le
domaine. Pas bégueule, Pierre Carles aura une délicate attention pour
ses anciens bourreaux. Le 8 mai 1999, peiné de constater que l'opinion
publique commence à mépriser l'image de Canal +, notre homme de cœur
descend en compagnie de quelques amis devant le siège de la chaîne.
Organise, sur la blanche façade du bâtiment, la projection sauvage de Pas
vu pas pris. Et annonce, à son terme, que la chaîne est désormais lavée de
toute suspicion de censure : Pas vu pas pris est bel et bien passé
sur Canal +. Les Arrapèdes : des gens qui vous veulent du bien,
même malgré vous.
À l'entame de la nouvelle décennie, Pierre Carles multiplie les
frappes chirurgicales. Classique : il met en boîte les faux
impertinents avec l'inédit et explosif Con comme Ardisson ou Enfin
Pris ?, une dissection en règle de la trajectoire du
journaliste Daniel Schneidermann (Arrêt sur images). Plus radical :
il incite à la rébellion immédiate et pragmatique avec Vu et Entendu
(6). Ou fait l'éloge de la paresse et du plein-chômage avec la
production de Volem rien
foutre al pais. Taquin : il propose, dans L'Image restaurée
de PPDA, la relecture hagiographique, trucages minables à l'appui, du
présentateur vedette du JT. Puis, surprise, s'attaque à un long
portrait filmé du sociologue Pierre
Bourdieu (7). L'heure est à la réflexion constructive. Pas drôle ?
L'auteur de La Misère du monde répond pour Carles : «
L'époque n'est pas drôle. Il n'y a vraiment pas de quoi
rire. » De quoi subvertir, par contre. Et puis aussi de quoi
fulminer. Alors ça oui. Verbalement agressé par une salle de banlieusards
remontés contre les barons de la pensée, Bourdieu vole dans les cordes.
Puis décoche un uppercut décisif, façon Loïc Wacquant (8). « Que votre légitimité ne vous aveugle pas.
Qu'elle ne vous prive pas de la connaissance. Si vous ne voulez pas
bénéficier des ressources intellectuelles, désolé mais vous êtes des
cons ! » Les cons sont conquis. Bourdieu a gagné. La
rébellion : entre alliés, une affaire de petits compromis… afin de ne
pas en faire avec l'ennemi. Conclusion de Bourdieu : « On
peut brûler des voitures, mais avec un objectif. » Pierre
Carles a trouvé la stratégie de combat. Reste à trouver l'objectif.
Quoique…
[Note de
l'HM : dans ce portrait, manque l'aventure de la création du journal
Pour Lire Pas Lu, « Le journal qui mord et fuit », « Un
bimestriel sardonique contre les organes du spectacle de l'ordre mondial
capitaliste », dont Carles fut, pour les trois premiers numéros,
directeur de la publication.]
(1) cfr. Le Parisien, 14 octobre 1991. (2) Téléscope, janvier 1996. (3) Les Nouveaux Chiens de garde, Éds. Raisons
d'agir. (4) Libération, 2 juillet 1998. (5) Olivier Cyran, Charlie Hebdo, 13 mai 1998. (6) Programmée le 1er avril 2001, sur Zaléa TV, cette Carte
Blanche à Pierre Carles s'inspire partiellement d'une autre carte
blanche, signée par Carles dans la Semaine de la Mauvaise Humeur
(Le Matin, Belgique, 29 septembre 1999). (7) La Sociologie est un sport de combat. (8) L'auteur
des Prisons de la misère devrait faire l'objet d'un
documentaire de Pierre Carles. |
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