Droit
de l'Internet : Reroutage des e-mails : quels
risques ? |
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L’administrateur réseau d’une société
danoise a été licencié au motif qu’il avait envoyé un e-mail
de sa messagerie professionnelle portant indication du nom de
la société et contenant un fichier attaché (formulaire de
demande de permis de séjour) à caractère satirique et
raciste.
La société employeur a été avisée du mail
litigieux par un internaute qui l’avait reçu de manière
indirecte par le système des « forward ».
La société a
pris la mesure de licencier avec effet immédiat son salarié ,
sur le fondement d’une disposition du règlement intérieur qui
interdisait aux employés d’envoyer des courriers électroniques
personnel à partir de leur adresse professionnelle.
L’employé a jugé son licenciement sans cause réelle ni
sérieuse et porté le litige en justice.
Le tribunal
danois de Lyngby a estimé que « la société était fondée à
licencier le salarié en raison du courrier électronique
pouvant être interprété comme ayant un caractère raciste. ».
Dans cette affaire, c’est le caractère raciste qui a
fondé le licenciement. Le tribunal a condamné la diffusion par
courrier électronique de contenu illicite susceptible
d’engager la responsabilité de la société employeur. En effet,
l’apposition du nom de la société à l’e-mail litigieux était
préjudiciable à l’entreprise.
Le licenciement du
salarié a été décidé en conséquence de la violation d’une
disposition du règlement intérieur qui contenait des normes
d’utilisation de la messagerie électronique.
Le
tribunal, quant à lui, sanctionne le salarié sur le caractère
illicite du contenu de l’e-mail. Le tribunal ainsi se place
davantage sur le terrain de la liberté d’expression et de ses
limites.
En France, une décision du Tribunal de Grande
Instance du Mans du 16 février 1998 avait condamné le salarié
d’une entreprise qui s‘était servi de l’ordinateur de son
employeur pour capter sur Internet des photos de nature
pédophile. Dans ce cas précis, il s’agissait de la réception
d’un contenu et non de son envoi comme en l’espèce.
Le
Nouveau Code pénal français condamne la discrimination
notamment raciale aux articles 225-1 et suivants mais il
n’existe pas de précédent jurisprudentiel en la matière.
Quelle aurait été la décision retenue par les
juridictions françaises confrontées aux mêmes faits ?
En droit français, une charte, insérée dans le
règlement intérieur de l’entreprise, peut interdire l’usage à
caractère personnel du courrier électronique, mais son non
respect ne peut être sanctionné sur le fondement d’un courrier
personnel dont l’employeur aurait pris connaissance puisque
cela lui est interdit ( Cass.soc., 2 octobre 2001 ).
Cependant, dans notre affaire, la société n’a pas
procédé à la surveillance de son salarié puisqu’elle a été
avisée par une personne extérieure à l’entreprise de
l’illicéité du contenu du message d’un de ses salariés.
La question se pose ici dans d’autres termes : y
aurait-il violation du secret des correspondances dès lors que
celui qui est à l’origine de la divulgation, en l’occurrence
la personne qui reçoit le mail en forward, le remet
spontanément à l’employeur ?
La cour d’appel de Paris,
dans son arrêt en date du 17 décembre 2001, a considéré que
constituait une violation du secret des correspondances la
divulgation par l’administrateur réseau à l’employeur du
contenu des messages électroniques dont il avait eu
connaissance.
L’administrateur réseau avait alors le
statut de tiers à la correspondance privée entre l’émetteur du
message et son récepteur. En est-il de même de celui qui
reçoit le mail en forward, c’est-à-dire qui n’est pas le
destinataire initial mais à qui le message est transféré ?
Est-il un tiers par rapport à l’émetteur ?
Ce dernier
pouvait-il, sur sa seule initiative, en divulguer le contenu à
une autre personne, en l’occurrence à l’employeur de
l’émetteur du message ? Ou était-il tenu d’obtenir
l’autorisation préalable de l’émetteur du message pour le
divulguer ?
La Cour de cassation a, depuis l’arrêt
Nikon du 2 octobre 2001, affirmé le principe selon lequel il
convient d’assimiler le courrier électronique à une
correspondance privée. Aussi, l’e-mail est-il protégé par le
secret des correspondances.
Le secret des
correspondances, puni et réprimé à l’article 226-15 du Code
pénal, condamne le fait, notamment, de divulguer des
correspondances privées.
La divulgation est censée
être accomplie dès lors que le message est révélé sans
l’autorisation de l’émetteur. En l’espèce, l’infraction
n’était-elle pas déjà réalisée par le simple fait de «
forwarder » le message, pratique certes habituelle des
utilisateurs de messageries, mais néanmoins condamnable au
regard de ce texte ?
Il semble que la réponse soit
positive au regard de la jurisprudence.
Dans ces
conditions, le destinataire du courrier transféré est-il a
fortiori également en infraction d’en opérer à son tour la
divulgation à l’employeur.
Cette analyse peut paraître
sévère aux internautes, habitués à ce genre de pratique mais
il paraît important de rappeler les risques encourus dans le
cadre de gestes quotidiens.
Auteurs :
M.Ricouart-Maillet et C.Requillart Source : BRM
Avocats |
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Posté par La
rédaction (74 lectures) Le 14/5/2002
13:00:00
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