La méfiance et l'amertume se sont installées dans les relations entre Washington et Riyad • LE MONDE | 10.09.02 | 13h20 Les attentats antiaméricains du 11 septembre 2001 auront-ils raison de l'amitié saoudo-américaine ? Douze mois après la tragédie, la question est sérieusement posée tant est grand le trouble de part et d'autre. Ici et là, les partisans de la rupture demeurent minoritaires et, au sommet des deux Etats, tout est fait – ou semble l'être – pour calmer le jeu et traiter les problèmes discrètement entre alliés de soixante-trois ans. Jusqu'à nouvel ordre, le principe fondateur de ce vieux mariage de raison est inchangé : le pétrole saoudien en échange de la sécurité du royaume. L'Arabie saoudite demeure le maître du quart des réserves d'or noir de la planète et un partenaire digne de confiance au sein de l'Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP). Malgré tous les aléas de ces derniers mois, le pétrole n'a pas été brandi par Riyad comme une "arme" possible. L'acuité de la crise n'en est pas moins telle qu'elle devrait laisser des traces. SÉRIEUX GRIEFS D'ores et déjà, et tout en se démarquant des pourfendeurs du royaume, l'administration américaine admet publiquement qu'elle a ses propres griefs. Du plus sérieux – le refus de Riyad d'autoriser une attaque de l'Irak à partir de son propre territoire – au plus banal – le problème des couples mixtes séparés – en passant par un manquement à des promesses d'assistance à l'Afghanistan, ces reproches portés sur la place publique, mais qui ne sont vraisemblablement pas les seuls, ne justifient pas une rupture. Ils n'en traduisent pas moins une volonté américaine de traiter l'Arabie saoudite un peu comme un pays ordinaire, qui ne bénéficierait plus d'un traitement privilégié en cas d'éventuels problèmes. C'est qu'en l'espace de douze mois le ciel des relations bilatérales s'est beaucoup assombri. La nationalité saoudienne de 15 des 19 auteurs des attentats du 11 septembre 2001 et de dizaines d'autres suspects arrêtés en Afghanistan et ailleurs en a été le catalyseur. Dès lors, tout ce qui concerne l'Arabie saoudite a été passé au crible. Rien ou presque ne trouve plus grâce aux yeux de ses contempteurs : son attitude à l'égard d'Israël, l'islam wahhabite qu'elle professe, son prosélytisme dans le monde musulman, son refus d'extrader des membres présumés du réseau Al-Qaida arrêtés sur son propre territoire, ou qui lui ont été livrés par d'autres pays. Des membres de la famille royale sont même directement suspectés par certains rescapés des attentats, et certaines familles de victimes, de liens directs avec Oussama Ben Laden. Côté saoudien aussi, les attentats contre New York et Washington ont provoqué un choc. Celui de découvrir que des Saoudiens en ont été les principaux auteurs et qu'un grand nombre d'autres étaient peut-être des terroristes en puissance. Mais l'onde de choc passée, on s'indigne, du sommet à la base, de voir un pays tout entier et l'islam assimilés à un groupe d'individus. La vivacité, voire parfois la rancœur, qui s'exprime en Amérique lorsqu'il s'agit du royaume suscite une grande amertume. Paradoxalement, la crise aura néanmoins eu deux effets bénéfiques. D'une part, Riyad est passé de la critique aux propositions constructives pour ce qui est du conflit israélo-arabe. Et, d'autre part, l'ampleur des problèmes et des difficultés internes, dont la plupart des dirigeants n'avaient pas pris l'exacte mesure, s'est révélée dans toute sa splendeur. Pour autant, cette prise de conscience n'aura pas pour conséquence automatique l'introduction de changements structurels profonds. Les résistances des tenants – majoritaires – de la tradition sociale et religieuse sont très vives. Les changements, assurent les dirigeants saoudiens, ne pourront se faire qu'en douceur. En fait, avant même les attentats du 11 septembre 2001, les tensions entre Riyad et Washington allaient s'accumulant. Les Etats-Unis n'appréciaient guère d'être tenus à l'écart des enquêtes menées à propos de deux attentats antiaméricains commis en 1995 et 1996 dans le royaume. Ils voyaient d'un mauvais œil l'Arabie saoudite se réconcilier avec l'Iran, considéré comme un foyer du terrorisme. Ils n'appréciaient guère l'opposition de Riyad à une intervention contre l'Irak. Ils reprochaient, enfin, au royaume de ne rien faire pour faciliter une solution du conflit israélo-palestinien. En un mot, ils ne s'accommodaient pas d'une certaine prise de distance de la part d'un pays dont ils estiment non seulement qu'il est un allié, mais, qui plus est, qu'il leur est redevable de l'avoir sauvé du pire, c'est-à-dire de Saddam Hussein. Mouna Naïm |
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