![]() |
Contre l'idée
selon laquelle l'image et la commémoration interdisent la
réflexion
11
septembre, tout reste à découvrir
Par Hervé
BRUSINI
mardi 10 septembre 2002
Hervé Brusini est directeur de la rédaction nationale de France
3. L'émotion et son agent de propagation qui est l'image. La représentation est
censée condamner, interdire, presque en soi toute réflexion. Dès lors ceux qui
la fabriquent sont au mieux les victimes inconscientes de cette limite
intrinsèque, au pire les complices d'une entreprise nauséeuse à la fois
commerciale et politique. Et déjà sonne l'alerte ou le tocsin. Qui sait ? On
nous instrumentalise. Aveuglés, les professionnels de l'information tombent dans
le piège américain d'une préparation des esprits à un futur théâtre de guerre
irakien. Sinistre combat, coupable anniversaire. Avatar monstrueux du vieux
concept de Société du spectacle, le débat lui-même fonctionne comme déjà
clos. Il oblige les journalistes à la justification ; posture de défense, une sorte
d'aveu. Il existerait pourtant un remède. Remettez donc en perspective
l'événement, analysez-le, expliquez-nous. Mais que ferions-nous d'autres ? Il se
trouve que ce conseil, ces injonctions ont une exigence bien particulière. Cette
valeur ajoutée, souhaitée par tous et parfaitement légitime, se vit en circuit
fermé. Débattons, clarifions mais en faisant l'économie des faits. L'échange, la
confrontation doivent se suffire à eux-mêmes. Toutes images de tours en feu, de
Ben Laden lui-même deviennent suspectes, répréhensibles. Tenter de poser les
questions fondamentales du Qui ? Quand ? Comment ? Où ? Quoi ? appartiennent au
journalisme et par-là même sont frappées d'indignité rampante. Paradoxalement, cette volonté de savoir plus cultive l'ignorance. Elle
favorise l'idée reçue, la vision simpliste et à terme le choc des extrêmes.
L'exercice même de l'enquête sur le terrain est le fondement indispensable à
toute remise en perspective ou débat. C'est en ce sens que le reportage est une nécessité politique, c'est en ce
sens qu'il est facteur de paix. L'art même de l'interrogation in situ, de la
maîtrise de l'image réalisée par l'équipe offre aux téléspectateurs de quoi
nourrir sa conviction. La complexité de ce monde impose d'aller d'abord y voir. L'expertise peut
ensuite embrayer tout naturellement sur ce premier temps de l'exercice
médiatique. Tout reste à découvrir sur ce 11 septembre, il n'y a aucune fatalité
à ne rien apprendre. Suspecter les professionnels de faire leur métier car
ça revient à cela devient lourd de menaces. Le journalisme est consubstantiel à la démocratie. Et voilà qu'on l'accuse
d'en être presque l'adversaire. Arrogant peut-être, fragile surtout, il n'ignore
pas ses défaillances. Il se sait exposé à la critique. Il se dote de chartes,
vit des heurts, des chocs au sein des rédactions. Il est tout sauf ce monolithe,
puissance infernale de la manipulation des têtes. La commémoration, du fait de
sa liturgie, est aux antipodes de ce qui fait son moteur banal et passionnant :
être curieux du monde.
n voilà un qui n'annonce rien de
bon. Un an après le 11 septembre, un débat déjà lancinant s'ouvre à nouveau. Il
ne porte pas sur le parcours du principal mis en cause Oussama ben Laden,
ni sur le devenir ou la nature même d'Al-Qaeda ; il n'évoque pas davantage
l'entrelacs géostratégique de l'événement et de ses conséquences ; il pointe
d'un doigt forcément accusateur la télé, les médias, le journalisme. Un mot-clef
résumerait la conduite des coupables : l'émotion.