
      
Revue de presse
      
 La voix de la presse alternative américaine parvient peu de ce 
      côté-ci de l’Atlantique. On connaît surtout les grands journaux “liberaux” 
      — une sensibilité qu’on appellerait en France de centre gauche — comme le 
      “New York Times”, le “Los Angeles Times” voire le “Washington Post”. 
      Mais il existe une large palette de journaux et de sites internet où 
      s’expriment toutes les tendances répertoriées de la gauche : 
      protestataire, branchée, écologiste, communautaire, antimondialiste ou 
      marxiste à l’ancienne. Le doyen de ces titres est “The Nation”, fondé 
      en 1865 et qui devrait connaître en 2002 le premier exercice bénéficiaire 
      de son histoire. Faut-il y voir le signe d’une remobilisation de la gauche 
      américaine ?
      
      
 A l’approche de l’anniversaire des attentats du 
      11 septembre 2001, tous les journaux alternatifs se rejoignent dans 
      une critique sévère de l’action du président George W. Bush et de ses 
      ministres. Leurs rédacteurs partagent le sentiment d’avoir été trahis, 
      dépossédés de ce qui fut un drame commun à tous les Américains. Voici ce 
      qu’on peut lire dans AlterNet.org, sous la signature de Don Hazen, Tai 
      Moses et Lakshmi Chaudhry : “La tragédie du 11 septembre, qui 
      aurait pu nous rendre plus sages et nous aider à imaginer un avenir plus 
      sensé, nous a été enlevée, dévorée par nos médias omniprésents et déformée 
      par des forces politiques bien décidées à nous imposer leurs quatre 
      volontés.”
      
      
 Le second thème est celui de la manipulation : “Malgré tous 
      les efforts de l’administration Bush pour maintenir l’opinion à un degré 
      maximal de paranoïa, la plupart d’entre nous redoutent des menaces 
      autrement plus réelles que les terroristes embusqués, les ‘bombes sales’ou 
      l’anthrax. Nous avons peur des dirigeants d’entreprise corrompus, de ce 
      que vont signifier pour nos emplois et nos retraites une économie qui se 
      déglingue et une Bourse qui s’effondre. Et, de plus en plus, nous avons 
      peur de notre propre gouvernement.”
      
      
 Ce gouvernement, que lui reproche-t-on au juste ? Le manque 
      de transparence, pour commencer. “Une année a passé depuis le 
      11 septembre. Pourtant, nous, le peuple américain, nous ne savons 
      toujours pas ce qui s’est passé exactement. Aucune enquête publique n’est 
      prévue pour savoir comment 3 000 Américains ont perdu la vie et 
      ce qui aurait pu être fait pour éviter les attentats ou réduire leur 
      impact”, constate Ted Rall, également dans AlterNet.org, avant de dresser 
      une liste de 19 questions liées à l’événement et à ses suites qui 
      sont restées sans réponse de la part des autorités (par exemple, savoir si 
      le vol n° 93 de United Airlines qui s’est écrasé en Pennsylvanie a 
      été ou non abattu par l’armée, ou quelle quantité d’amiante cancérigène 
      s’est répandue sur Manhattan quand les tours jumelles se sont 
      effondrées).
      
      
 Plus grave encore, l’administration Bush est accusée de violer 
      le Bill of Rights, les droits des citoyens américains, sans parler de ceux 
      des étrangers. “The Progressive”, titre presque centenaire publié à 
      Madison (Wisconsin), consacre une chronique aux manoeuvres liberticides du 
      très à droite ministre de la justice John Ashcroft. Nat Hentoff, célèbre 
      éditorialiste et critique de jazz, écrit dans “The Village Voice”, 
      bible de la scène alternative new-yorkaise : “Le tout dernier plan de 
      bataille de John Ashcroft dans sa guerre contre les libertés individuelles 
      nous ferait rejoindre les citoyens de la Chine, de Cuba, du Kazakhstan et 
      autres pays surveillés en permanence et en tout lieu afin de détecter le 
      moindre signe de déloyauté envers l’Etat.”
      
      
 Le ministre avait en effet lancé, sur le site officiel du 
      gouvernement, l’Operation TIPS, un vaste plan de délation invitant 
      “des millions d’Américains, camionneurs, facteurs, conducteurs de train, 
      capitaines de navire, employés des eaux ou de l’électricité, et autres, à 
      signaler les activités présumées terroristes” en téléphonant à un numéro 
      vert. Malgré la passivité souvent dénoncée des grands médias, ceux-ci ont 
      à leur tour réagi, et l’“opération Tuyaux” a été mise en 
      sourdine.
      
      
 Dernier thème, le plus actuel, la guerre annoncée contre l’Irak. 
      Selon Gary Kamiya, rédacteur en chef du très branché Salon.com, elle est 
      le signe d’une “escalade sans précédent du militarisme américain, voulue 
      par les faucons triomphalistes qui se sont emparés du 
      gouvernement”.
      SG
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