Sciences

METALLURGIE. Les alliages libèrent du nickel, d'où un risque d'allergie.
Des minipiles dans les pièces de 1 euro

Par Denis DELBECQ
jeudi 12 septembre 2002

e n'était pas prévu au programme. Mais les pièces de 1 et de 2 euros se comportent comme de petites piles électriques au contact de la sueur. Un mécanisme qui libère du nickel. D'où les risques d'allergie que dénoncent de nombreux spécialistes et que confirme une nouvelle étude publiée par des chercheurs suisses. Franck Nestle (dermatologue, université de Zurich), Hannes et Markus Spiedel (métallurgistes, Institut fédéral de technologie de Zurich) montrent aujourd'hui dans la revue Nature pourquoi le nickel parvient à s'échapper plus facilement de ces pièces formées de deux alliages différents que d'un morceau de nickel pur.

Sueur artificielle. Les pièces de 1 et de 2 euros sont donc formées de deux alliages différents. Le métal blanc du centre des pièces de 1 euro contient 25 % de nickel, tandis que le métal jaune de l'anneau extérieur en contient cinq fois moins. Les chercheurs suisses ont démonté une pièce de 1 euro et ont plongé les deux parties dans une solution de sueur artificielle, reliant chacune aux bornes d'un mesureur de tension. Quelques dizaines de millivolts sont rapidement apparus, signe que la différence de propriétés électrochimiques des deux alliages crée un courant, corrode le métal et libère du nickel.

La même expérience a été répétée avec les deux parties d'une pièce de 2 euros, produisant les mêmes effets. Sur des pièces bimétalliques immergées dans une sueur artificielle, des traces de corrosion apparaissent après trente-six heures, tandis que la pièce de 1 franc suisse, faite d'un alliage unique de cuivre et de nickel, ne semble pas altérée.

D'autres expériences confirment que le contact prolongé de la peau avec les deux pièces bimétalliques européennes provoque l'apparition d'érythèmes et de vésicules au bout de quelques dizaines d'heures chez les personnes sensibilisées au nickel.

Caissiers. Au final, selon les résultats des chercheurs suisses, les pièces de 1 et de 2 euros libèrent 240 et 320 fois plus de nickel que ne permet la réglementation européenne pour les objets en contact direct et prolongé avec la peau. Pas de quoi menacer la santé publique. Mais un souci pour les personnes qui, comme les caissiers, manipulent beaucoup de pièces. «On estime que 10 % de la population est sensible au nickel», rappelle Werner Aberer, dermatologue à l'hôpital universitaire de Graz (Autriche).

Il s'insurge contre la décision du Conseil de l'UE qui, en 1998, a choisi formes et matériaux des pièces en dépit des nombreuses prises de position de scientifiques en faveur de l'élimination du nickel. Mais les pièces de monnaie ne tombent pas sous le coup de la directive européenne de 1994 sur la teneur en nickel. Les responsables européens ont choisi de recourir à d'autres matériaux pour les petites pièces. Les 1, 2 et 5 centimes sont faits d'acier recouvert de cuivre, tandis que les 10, 20 et 50 s'appuient sur l'«or nordique», un alliage de cuivre, de zinc, d'étain et d'aluminium, que certains préconisaient pour toutes les pièces. Mais la voix de la France, productrice de nickel, a pesé. Et le matériau décrié a atterri dans les pièces de 1 et de 2 euros.

Billet de 1 euro. «Qui assumera la responsabilité si une personne développe un eczéma après un contact avec ces pièces ? Le fabricant, la Commission européenne ou l'industrie du nickel ?», questionnait Werner Aberer, dans une lettre publiée en début d'année par le British Medical Journal. Gageons que la nouvelle confirmation des risques liés au nickel, publiée dans Nature, apportera de l'eau au moulin des autorités italiennes, qui réclament le lancement d'un billet de 1 euro.

 

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