Aux Etats-Unis, ils divisent la
communauté des médias : sont-ils le futur de la presse en ligne ou
le stade ultime de l'amateurisme ? En France, ils commencent à
émerger. Il y aurait aujourd'hui plus de 1,3 million de weblogs
référencés dans le monde et 1 500 à 2 000 nouveaux
arrivants par jour. Sur ces "journaux de bord en ligne", apparus à
la fin des années 90, les auteurs ("les
bloggers") se sentent la fibre journalistique. Chacun y allant de sa
chronique, de son analyse ou de son point de vue.
On trouve des weblogs sur tous les
thèmes : religion, technologie, recherche scientifique,
agroalimentaire, cinéma, politique ou encore - Internet oblige -
érotisme et pornographie. Ensemble, ils forment la "Blogosphere",
espace virtuel imaginé par William Quick, pionnier de cette nouvelle
forme de communication et créateur du weblog Daily Pundit, l'un des
meilleurs points d'observation du phénomène mondial.
Si le rythme de création des weblogs
s'est intensifié depuis quelques mois, c'est en raison des
événements internationaux. De même que l'IRC (Internet Relay Chat)
s'est démocratisé avec la guerre du Golfe - an ayant permis la
communication en direct entre les envoyés spéciaux et leur rédaction
durant le conflit - l'engouement pour les weblogs s'est accéléré
après les événements du 11 septembre 2001. Dans un éditorial paru en
début d'année, Virginia Postrel, ex-éditrice du magazine américain
d'opinion Reason, souligne qu'après "avoir atteint le 'ground
zero', les américains ont eu le désir de savoir ce que leurs
collègues, leurs voisins et le monde entier pensaient et
ressentaient. Les weblogs fournissaient le moyen idéal de
transmettre ces impressions".
Des plates-formes d'édition clé en
main |
Nés sous le signe du bricolage, en marge
de l'Internet, les weblogs ont profité de ce brusque regain
d'intérêt pour se professionnaliser sur le plan technique.
"Ce qui n'était en soi qu'une
variante de la page personnelle au format HTML simple, est
rapidement devenue un outil d'édition complet" estime sur son propre
site Rebecca Blood, auteur du guide Weblog Handbook.
Aujourd'hui, les weblogs s'appuient
sur des plate-formes d'édition clé en main, proposées par
certains éditeurs tels que
Blogger.com, Userland.com, MoveableType ou Greymatter. Toutes ces
plates-formes se basent sur du XML, le méta-langage apparu à la fin
des années 90. Ces solutions ont l'énorme avantage d'archiver des
données très simplement, autorisant ainsi une très grande
flexibilité et facilité d'édition. Conséquence directe : les
webloggeurs peuvent aggréger leurs contributions en ligne et
alimenter leurs rubriques continuellement sans passer par un
webmaster.
Grâce à ces plates-formes, en quelques
mois est apparue une multitude de weblogs magazines de grande
taille. On dénombre près d'une soixantaine de chroniqueurs pour
Blogcritics.org (un weblog satirique sur les... weblogs) et plus de
150 pour InstaPundit.com, l'un des plus grands weblogs du monde,
consacré également aux weblogs. Sur ces deux adresses, l'adhésion
est libre, le désistement aussi. Les internautes qui y restent sont
considérés comme des défricheurs de l'Internet. Et certains Weblogs,
comme Feedmag.com ou Slashdot.com, sont perçus comme des sources d'information à part entière
par les professionnels des secteurs concernés.
Ce statut de média place aujourd'hui les
weblogs sur le devant de la scène et au beau milieu d'un débat
agité. Pour les "pro-weblogs", ce nouvel espace Internet "forme un
contre-pouvoir médiatique", comme l'estime sur son site Glenn
Reynolds, professeur de droit constitutionnel à l'Université du
Tennessee aux Etats-Unis et créateur d'InstaPundit.com. "Les weblogs
disent ce que les journalistes n'osent pas dire, poursuit-il. Ils
révèlent une autre vision qui relativisent l'information véhiculée
par les grands organes de presse." Pour les "anti-weblogs", ces nouveaux espaces d'échange ne
doivent pas, au contraire, être considérés comme des sources
d'information. En mars dernier, dans
une chronique publiée dans la magazine d'opinion American
Propect, Natasha Berger s'est
inquiétée du "sérieux défaut de contrôle de qualité des weblogs" qui
sont des "parutions sans éditeurs".
La presse en ligne se met au
weblogging |
Si beaucoup d'acteurs de la presse ont
adhéré à ce discours méfiant, voyant au travers des weblogs
apparaître une nouvelle forme de concurrence, d'autres ont en
revanche choisi de rebondir sur le phénomène. Certains grands
quotidiens en ligne s'essaient désormais au "weblogging". Une
solution pratique qui leur permet notamment d'ouvrir un espace dédié
à leurs grands reporters ou à leurs spécialistes qui peuvent
directement publier en ligne des analyses ou des commentaires.
Sur le site du New York Times,
Paul Krugman, nominé au Prix Nobel d'économie, bénéficie d'un tel
dispositif. Sur le site d'ABC News,
les journalistes de la rédaction
internationale disposent également d'un weblog. D'autres sites d'information en ligne proposent
même à leurs lecteurs de devenir leurs chroniqueurs. C'est le cas de
Salon.com, pionnier du magazine en ligne aux Etats-Unis, qui a lancé
une offre de weblogging payante en juillet dernier.
La presse en ligne n'est pas la seule à
s'intéresser au phénomène. Chez les grandes marques, les weblogs
constituent déjà un nouvel instrument pour les campagnes de
marketing d'influence, au même titre que les forums. Certaines
marques parient sur la notoriété acquises par des weblogers et les
paient pour parler d'elles. Gizmodo.com, un weblog sur les nouveaux
produits de haute technologie, a poussé le concept plus loin :
il marchande la publication des communiqués. Au sein des
entreprises, la vague weblog commence également à déferler.
Certaines sociétés proposent par
exemple à leurs chefs de projet de tenir des "business weblogs" afin
de dialoguer avec l'équipe sur l'état d'avancement.
Pour les weblogs publics aujourd'hui
présents sur la Toile, reste néanmoins une question de taille : le
modèle économique. Encore en marge du marché publicitaire online,
les weblogs vivotent grâce à quelques boutons-bannières du Honor
System d'Amazon.com ou du Paypage System de PayPal. Pour s'imposer,
et survivre, les weblogs devront réussir là où les "pages perso" ont
échoué : démontrer l'attrait du marché
communautaire.
[Thuan Huynh, JDNet]