ne 
                  grande controverse agite la Convention : Dieu a-t-il sa place 
                  dans la future Constitution européenne ? Autant l'enceinte 
                  présidée par Valéry Giscard d'Estaing est vite tombée d'accord 
                  sur l'idée de doter l'Union d'une personnalité juridique 
                  propre, autant la question de son «âme» s'annonce-t-elle 
                  infiniment plus conflictuelle. Comme en 2000, déjà, lors de la 
                  rédaction de la Charte des droits fondamentaux de l'UE, deux 
                  camps s'affrontent : les pays résolument laïcs et les autres. 
                  A la demande expresse de Chirac et Jospin, l'ex-président 
                  allemand Roman Herzog, qui dirigeait alors les travaux sur la 
                  Charte, avait dû faire disparaître de son préambule la 
                  référence au «patrimoine religieux» de l'Europe. Paris 
                  avait sauvé la laïcité de l'Union Ñ «religieux» 
                  devenant, dans la version française, «spirituel et 
                  moral». Mais la querelle resurgit aujourd'hui, dans un 
                  contexte exacerbé par le débat qui fait rage sur la 
                  candidature de la Turquie musulmane.
                  Le camp de l'héritage chrétien «jouit au sein de la 
                  Convention d'un rapport de forces plus favorable» qu'il y 
                  a deux ans, note un conventionnel français. Car les appels 
                  répétés du pape à inclure la religion dans les «nouvelles 
                  fondations de la maison commune européenne» y bénéficient 
                  de nouveaux relais de poids, qu'il s'agisse de la très 
                  catholique Pologne (représentée à la Convention comme chacun 
                  des treize pays candidats) ou de la nouvelle majorité de 
                  droite italienne. Signe que le camp clérical reprend du poil 
                  de la bête, le Parti populaire européen (PPE, désormais 
                  dominant au sein des quinze gouvernements de l'UE, comme au 
                  Parlement européen) a dévoilé, mardi, un projet de 
                  Constitution qui ravira Jean Paul II. Dans son préambule, le 
                  texte ne se contente pas de reprendre «l'héritage spirituel 
                  et moral», mais insiste, en prime, sur «ce que l'Europe 
                  doit à son héritage religieux». Le parti qui fédère les 
                  droites classiques  et où pèsent lourd les 
                  chrétiens-démocrates allemands  propose même d'évoquer 
                  explicitement Dieu : l'article 57, inspiré de la Constitution 
                  polonaise, proclame ainsi que «les valeurs de l'Union 
                  incluent les valeurs de ceux qui croient en Dieu comme la 
                  source de la vérité, de la justice, du bien et de la beauté, 
                  comme celles de ceux qui ne partagent pas cette croyance mais 
                  respectent ces valeurs universelles émanant d'autres 
                  sources». Cette Invocatio Dei est prêchée depuis 
                  des mois par les évêques polonais, qui disent avoir le soutien 
                  du président Aleksander Kwasniewski (ex-communiste) et de 
                  l'Eglise catholique d'Allemagne. Le pape, qui a reçu Valéry 
                  Giscard d'Estaing en audience le 31 octobre, n'a de cesse de 
                  réclamer une mention «des valeurs dont est porteur le 
                  christianisme» pour que l'Europe ne se réduise pas à un 
                  grand marché, en proie à «un consumérisme indifférent aux 
                  valeurs de l'esprit».
                  «L'Europe n'est pas un club chrétien», rétorque 
                  Pierre Moscovici, représentant du gouvernement français à la 
                  Convention. Pour Alain Bauer, Grand maître du Grand Orient de 
                  France, les héritages protestant, juif, orthodoxe, musulman et 
                  humaniste laïque ont, tout autant que la catholicité, 
                  «permis à l'Europe d'affirmer une identité qui dépasse la 
                  somme de ses composantes». «Où que nous allions, une 
                  chose doit être claire... Nous devons mettre l'accent sur le 
                  pluralisme, la liberté religieuse, la séparation entre 
                  l'Eglise et l'Etat», insiste le président portugais Jorge 
                  Sampaio, preuve que la France  seul pays où la laïcité 
                  est nationalement instituée  n'est pas isolée dans ce 
                  combat. Au nom d'un supplément d'âme réclamé par les Eglises, 
                  «la reconnaissance du fait religieux ne doit discriminer ni 
                  les agnostiques, ni les juifs ou les musulmans», estime le 
                  porte-parole du président de la Convention. La «diversité 
                  des formes de spiritualité» est ce que met en avant 
                  l'épiscopat français. Trouver le juste équilibre entre 
                  ultra-catholiques et purs laïcs sera la rude tâche du 
                  catholique pratiquant Giscard.