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Jacques Nolot, des mots nommés désir

LE MONDE | 23.11.02 | 15h29

L'auteur, cinéaste et acteur, qui fut à la fois gigolo et ami de Roland Barthes, nourrit ses fictions de sa vie à la marge.

Jacques Nolot est accoudé sur le flipper d'un bar PMU à la périphérie de Paris. Imperméable élégant. Tempes grises, regard perçant. Il observe les clients. Il lit très peu de livres. Problèmes de concentration. Il dit être jaloux du talent. Il écrit. "Je vis, j'ai une culture de la rue." Autrefois, quand il y avait des cinémas porno, il adorait noircir des feuilles dans la chaleur des désirs, au milieu des travelos, des gigolos. Fauteuils déglingués, velours taché, images qui éclairent un petit monde qui se branle, se caresse, s'arnaque et s'engueule. Les cinémas ont fermé. Il en reste un à Bonne-Nouvelle, mais "il est prétentieux".

Son fils adoptif meurt. Jacques Nolot se promène dans les cafés, se terre au fond des boîtes de nuit, se réveille en sursaut le matin, écrit au milieu de son lit. Au début, ça ressemble à des lettres d'amour, d'humour, de douleur. Il se sent pris au piège d'un phrasé grivois, il aime ça. Quand il essaie de "faire intelligent, ça devient une catastrophe". Il ressuscite sous ses doigts le peuple des solitaires, des gueules cassées, des jolis minois, des légionnaires, des putes, des travestis, des gitons.

Il imagine mettre au théâtre une salle de cinéma porno. Des rangées de fauteuils sur la scène, des figurants se masturbant face au public, celui-ci étant à la place du film pornographique. Il invente une histoire de désirs entrecroisés entre un homme mûr, la caissière du cinéma et le jeune projectionniste. Jean-Michel Ribes, metteur en scène et directeur du Théâtre du Rond-Point, est emballé. On se rend vite compte que le projet coûterait une fortune, les figurants ne seraient pas toujours en forme. Jacques Nolot se tourne vers le cinéma. Vingt et un jours de tournage dans la salle désaffectée du Meri, place Clichy. Jacques Nolot ne dort pas, ne mange pas, rassure les figurants, convoque des comédiens amateurs, ces derniers l'épatent. Vingt et un jours "d'enfer et de grande jouissance".

Enfant, Jacques Nolot aime monter sur le dos de son grand-père, un vieil Espagnol bossu vêtu d'une cape. Le môme se prend pour un moulin à vent. Précoce, il comprend qu'il faut s'évader de sa famille et de son village de Marciac (Gers) où "les esprits sont fermés. Mon père, coiffeur, n'était pas mon vrai père". Un petit frère, mort, étouffé par un chat. Jacques, tout le temps malade, devient vendeur à l'épicerie, s'ennuie, sort dans les bals. Son patron croit qu'il pique dans la caisse. A 16 ans, il rencontre une touriste qui lui fait miroiter une place chez Félix Potin à Paris. Le rêve. L'adolescent monte à Paris, travaille dans les caves du grand magasin et s'inscrit à un cours de théâtre, son lycée à lui. "Les résultats sont catastrophiques." Employé aux livraisons, il rencontre Evelyne, une cliente, devient son amant "sans aucun plaisir".Elle l'entretient, lui apprend les bonnes manières. Le jeune homme est beau mec, fricote avec la chanteuse Dora Doll, Serge Lifar, grand danseur à l'opéra, et certains soirs, il casse "la gueule aux pédés". En 1963, il descend au Festival de Cannes comme une starlette. Envie d'être repéré, d'être la vedette du lendemain.

TROUVAILLES LANGAGIÈRES

En attendant, il est gigolo, fait le tapin, rencontre des hommes, gagne de l'argent, se "laisse porter par le plaisir du moment". Problèmes avec la police, la mafia. "Avec les maquereaux, on apprend vite." Jacques Nolot s'inscrit au cours de Tania Balachova et, là, c'est l'amour du théâtre, le plaisir des auteurs : O'Neill, Tchekhov, Strindberg, Artaud. Il rencontre Didier Flamand, "un frère". Celui-ci monte sa compagnie Prends bien garde au Zeppelin. Jacques Nolot en est. La troupe se produit aux quatre coins du monde. Il rencontre d'autres directeurs de compagnie : Nicolas Bataille et le New-Yorkais Andreas Voutsinas, avec qui il "travaille sur la connaissance de soi". Nolot est toujours aussi fringant, roule en Mercedes décapotable, ce qui est mal vu dans le milieu des jeunes comédiens.

Dans un bar, il est face à Roland Barthes. Les deux hommes deviennent amis. L'intellectuel aime la manière dont Nolot invente des mots, son parler populaire, ses trouvailles langagières. Nolot côtoie les amis de Barthes, André Téchiné, par exemple, et d'autres qui "l'aident à faire des bons choix". Le séducteur est toujours aussi matérialiste, "mais privilégie les dîners où il y a de l'intelligence". Un soir de tapin, il rencontre un homme plus âgé. Celui-ci prend soin de lui, "c'est le père que je n'ai jamais eu". Celui-ci le quitte dix ans plus tard. Nolot est au bord du suicide, improvise des monologues devant des copains, il accouche de Matïouette, première pièce de sa plume, tournée par Téchiné pour l'INA. Puis il écrit Le Café des Jules, chronique des machos de son village, mise en scène par Paul Vecchiali. Manège rend hommage aux trois sexes du bois de Boulogne. La Robe à cerceaux, tourné par Claire Denis, le raconte en fille se prenant pour un moulin à vent. Jacques Nolot est hanté par son passé, son arrivée à Paris. Il a besoin d'être mal, d'être au bout du rouleau pour écrire. Il s'y attaque. Le scénario s'appelle Le Premier Pas. Il raconte le tapin, le sida. En 1989, "ils sont très choqués à l'avance sur recette, c'est le refus net". Quatre ans plus tard, André Téchiné lui demande le scénario. Il en fait J'embrasse pas. C'est le choc.

Jacques Nolot, lui, réalise son premier film, splendide, L'Arrière-pays, qui raconte la mort de sa mère. Il enchaîne de jolis rôles au cinéma : le professeur dans Les Roseaux sauvages, l'amant de Charlotte Rampling dans Sous le sable, de François Ozon, dont il gardera un souvenir magnifique, un cafetier égoïste et salopard dans le Café de la plage, de Benoît Graffin. Celui-ci l'a attendu un an avant de tourner, "vous vous rendez compte, c'est rare dans le cinéma". Jacques Nolot avait fait une attaque cardiaque, suivi d'un coma : "Grand sentiment de tranquillité".

Aujourd'hui il joue dans Le Traitement, de Crimp, à Chaillot. Il a lu toutes ses pièces, il adore. La pièce est épuisante : "Il faut jouer au mot près." Il contemple sa vie et il ne "regrette rien". Le temps passe, il se sent maintenant une "proie à Paris quand on veut retrouver les plaisirs d'autrefois : j'ai été cambriolé vingt fois, on a failli m'assassiner trois fois mais j'ai gardé malgré tout une certaine fraîcheur, une naïveté". Il regarde la libération homosexuelle avec circonspection : "Elle n'est pas complètement achevée, regardez en province. A Paris, je n'aime pas le ghetto. Les gays risquent d'être prisonniers de leur propre communautarisme." Son œil est plus acerbe sur la famille du cinéma, "un milieu très petit-bourgeois, étriqué". Avec l'âge, il se sent apaisé, plus exigeant. Il a un nouveau scénario en chantier.

Dominique Le Guilledoux


biographie 1943

Naissance à Marciac (Gers).

 1964

Rencontre avec Roland Barthes.

 1981

Ecrit "Matïouette".

 1989

Ecrit "J'embrasse pas".

 2002

"La Chatte à deux têtes" au cinéma,

un rôle dans

"Le Traitement"

au théâtre.

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