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• LE MONDE | 10.12.02 | 12h56

• MIS A JOUR LE 10.12.02 | 13h39


Le rapport Clément propose de sanctuariser l'audiovisuel public
Pour améliorer le traitement de la culture par le petit écran, l'écrivain Catherine Clément plaide pour l'inscription du service public audiovisuel dans la Constitution, pour des émissions culturelles moins tardives et pour la création d'un poste de directeur des arts et de la culture à France Télévisions.

Catherine Clément a remis, mardi 10 décembre, son rapport sur la culture et la télévision publique au ministre de la culture, Jean-Jacques Aillagon. Ce dernier lui avait demandé, par une lettre de mission du 7 juin 2002, "d'évaluer et d'analyser l'offre existante, sa qualité, son volume, sa position dans les grilles, ainsi que de faire des recommandations et des propositions permettant d'intéresser le plus large public à la diversité culturelle".

Le rapport compte une centaine de pages, très "écrites", parfois dialoguées, de lecture aisée. A ce titre, il tranche avec la littérature des rapports, genre plutôt indigeste. La Nuit et l'Eté, titre du rapport, est une allusion ironique aux moments où la culture a droit de cité sur le petit écran : "Le symptôme majeur de la culture sur France Télévisions, dit-elle, tient à ses créneaux de diffusion - la nuit et l'été. (...) La culture est offerte aux Français aux heures où, majoritairement, ils dorment."

Dès l'introduction, elle pose un principe : le maintien du service public dans son intégralité. Elle écarte donc toute idée de privatisation de l'une ou l'autre des chaînes généralistes. Tentation qui, dit-elle, "traverse et la droite et la gauche". Afin d'évacuer définitivement cette proposition récurrente, elle suggère de compléter l'alinéa 13 du préambule de la Constitution de 1946, repris dans celle de 1958 : "L'organisation de l'enseignement public gratuit et laïque est un devoir de l'Etat", par cette mention : "L'organisation du service public de l'audiovisuel est un devoir de l'Etat" (lire page 32). Consciente qu'une telle inscription ne réglerait pas pour autant les problèmes de l'audiovisuel, elle parle à ce propos, en citant son maître Claude Lévi-Strauss, d'"efficacité symbolique."

La première partie du rapport est consacrée à la définition de la culture à la télévision. On sait que les acteurs de la télévision doivent faire face à un cahier des charges très précis dans ce domaine, mais élaboré sans soucis des normes propres à la télévision, à son identité. A la différence de la BBC, dont le Livre blanc de 1994 n'impose "ni corset ni contrainte, mais une impérieuse obligation de dialogue avec le public."

Catherine Clément s'émeut : "On peut s'inquiéter de voir triompher à la télévision publique, depuis de longues années, une vision sociologique de la culture qui construirait le peuple à son idée." Elle ajoute : "Quelque part entre les savoirs, les valeurs et le culte des libertés, se situe la culture au vieux sens, c'est-à-dire les arts, la création." Une notion jugée "ringarde" et élitiste qui inciterait, selon elle, les responsables de France Télévisions à se réfugier derrière une vision "bourdieusienne" de la culture : tout est culture, et si l'on tente une approche plus réductrice, on tombe dans la culture des "héritiers", c'est-à-dire une culture hiérarchique, scolaire, imposée.

Dialoguer avec les usagers

Catherine Clément défend, de son côté la vieille notion de "l'élitisme pour tous" dont elle rappelle qu'elle fut élaborée par le poète russe Maïakovski, après la révolution d'Octobre (lire ci-dessous). Mais pourquoi ne pas abandonner cet encombrant bagage culturel aux chaînes thématiques (La Cinq, Arte) ou au câble ? "Vous videz ainsi les chaînes généralistes de leur sens, rétorque Catherine Clément. Vous fabriquez des ghettos, commodes pour évacuer la culture par ailleurs. Ne vous étonnez pas de la baisse d'audience pour les programmes culturels !"

Finalement, la culture c'est ce qui fait œuvre, conclut-elle. Une notion large qui englobe des émissions comme Popstars. aux côtés des œuvres traditionnellement reconnues comme telles, mais aussi des fictions et des documentaires de création. Elle exclut, en revanche, les débats de société et les émissions politiques qui relèvent d'un autre genre. Pour ces "œuvres", dit-elle, il faut un directeur des arts et de la culture au même niveau que le directeur de la stratégie et des programmes.

Reste le problème de l'audience, capital puisque culture et audience seraient antinomiques. Forte de l'exemple de la BBC pour laquelle "garder le leadership de l'audience est un devoir civique pour un service public libéré de la publicité", Catherine Clément ne condamne pas la chasse à l'audience pratiquée par France Télévisions. Mais encore faudrait-il l'analyser, mettre en place des systèmes d'évaluation qualitatifs, et surtout dialoguer avec les usagers, en créant ce conseil consultatif des programmes composé de téléspectateurs que la loi d'août 2000 prévoyait de mettre en place.

Mais, pour tenir son rang, il faut aussi en avoir les moyens. Si Catherine Clément reconnaît que le budget de France Télévisions est insuffisant, elle reste floue sur les remèdes à apporter. La question d'une augmentation de la redevance n'est pas abordée, celle de la publicité n'est qu'effleurée. C'est la faiblesse du rapport qui n'a pas voulu explorer un problème qui relèverait avant tout d'un travail législatif "inachevé".

Catherine Clément est, en revanche, plus à l'aise avec les contenus, qu'elle passe en revue les uns après les autres. Avec cette remarque : " Si les programmes culturels ont du mal, c'est que leur mise en scène est trop souvent vieillotte."Il n'est pas facile, reconnaît-elle, de faire passer sur le petit écran l'émotion du théâtre, de la chanson, de la danse. Mais ces disciplines sont pratiquement évacuées de la télévision. Comme la musique classique ou les arts visuels. Quant au cinéma, art populaire s'il en fut, il est trop souvent cantonné aux effets d'annonce et de promotion. Même chose pour le livre. Et ne parlons pas de l'urbanisme ou de l'architecture. Quant au documentaire de qualité, qui tient sa place grâce à des émissions comme Thalassa ou Des racines et des ailes, il n'est pas non plus assez présent, à l'heure où il explose sur le grand écran.

Avancer la pendule

Reste la question des horaires. Si l'on veut offrir des programmes culturels à de larges publics, il faut avancer la pendule. En première partie de soirée, explique-t-elle, il paraît possible d'introduire de "grands événements artistiques, longtemps préparés à l'antenne". Pour être sûr de leur financement, le mieux serait de "réserver une part du budget annuel à cet effet, hors unité de programme". La deuxième partie de la soirée est plus épineuse encore. La plupart des téléspectateurs décrochent autour de 23 heures, au moment où les émissions culturelles vont démarrer. Il serait donc indispensable de gagner quelques quarts d'heure, de façon à faire démarrer les programmes entre 22 h 30 et 23 heures. Catherine Clément étaye ses propos en citant "Campus", sur France 2, l'émission de Guillaume Durand, qui, avancée d'une demi-heure en raison d'une grève, grimpa à 17,3 % d'écoute au lieu des 10 % habituels. Enfin, en troisième partie de soirée, les programmes devraient commencer au plus tard à minuit et demi.

Ultime demande : que dans chaque journal, quelle que soit l'actualité, "on continue à trouver une page d'information sur la culture".

La conclusion du rapport est une adresse à Jacques Chirac pour lui demander de "sanctuariser", comme il l'avait promis, le budget du ministère de la culture, dont relève l'audiovisuel : "Sans financement suffisant, tout le monde le sait, Monsieur le Président, l'audiovisuel public aura du mal à suivre."

Emmanuel de Roux


Horaires, audience, émissions : les recommandations

Voici les principales prescriptions formulées par Catherine Clément et les personnalités qui l'ont aidée à rédiger son rapport : Amina Okada, conservatrice au Musée Guimet, Elisabeth Couturier, critique d'art et ancienne responsable des documentaires sur France 3, René Cleitman, producteur de cinéma, Emmanuel Pierrat, avocat, et Alain Simon, inspecteur général du commerce et de l'industrie.

Constitution

Inscription du service public de l'audiovisuel dans le préambule de la Constitution, au même rang, à la même dignité que l'éducation nationale. Comme l'enseignement public gratuit et laïque à tous les degrés, le service public de l'audiovisuel (radio et télévision) est un devoir de l'Etat.

Organigramme

Création d'une nouvelle fonction à France Télévisions : un directeur des arts et de la culture, en charge du dialogue avec les arts, au même niveau hiérarchique que le directeur de la stratégie et des programmes, actuellement en charge du dialogue avec le cinéma.

Installation d'une structure légère pour favoriser la recherche, l'invention et l'innovation.

Public. Au choix

1 Mise en œuvre rapide du décret d'application de la loi sur le Conseil consultatif des programmes, en espérant qu'on pourra sans encombre passer de 20 à 50 le chiffre des jurés requis.

2 Changement de l'article de la loi d'août 2000 qui préside à la composition du Conseil consultatif des programmes, dont les membres désignés seraient des représentants des associations de téléspectateurs.

Horaires

Pour offrir au public de grands événements artistiques en première partie de soirée, on dégagera une part du budget de France Télévisions en dehors des unités de programme. Cette réserve non affectée sera sous la seule autorité du président de France Télévisions. Sauf en matière de cinéma, on allège le cahier des charges, en échange de deux horaires obligés : en deuxième partie de soirée, les programmes culturels commenceront au plus tard à 22 h 45. En troisième partie de soirée, les programmes culturels commenceront au plus tard à 0 h 30. En deuxième partie de soirée, avec un "Soir 3" de 8 minutes, on commencera bien avant 23 heures les émissions culturelles. En contrepartie, les rédactions de France 3 auraient la responsabilité d'un magazine culturel à part entière.

Audience

Entre l'actionnaire et France Télévisions, il faut un pacte clair au sujet de l'audience moyenne acceptable en fonction des exigences culturelles des programmes : améliorez l'accès à la culture, nous accepterons une légère baisse d'audience.

Journal télévisé

Dans chaque journal, et quelle que soit l'actualité, une page d'information sur la culture. Cette disposition sera inscrite dans les cahiers des charges allégés.

Magazine:

Après le "13 heures", sur France 2, offrir une exploration systématique du patrimoine français. Toujours sur France 2, créer un magazine d'informations internationales sur la création en France, en Europe, dans le monde.

• ARTICLE PARU DANS L'EDITION DU 11.12.02

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