Copyright vs droit d'auteur

Christophe Espern - cespern@free.fr - Décembre 2002

"C'est après une délibération réflechie que votre comité d'instruction publique vous propose de consacrer des dispositions législatives qui forment, en quelque sorte, la déclaration des droits du génie".

Joseph Lakanal - Rapport sur le droit d'auteur - Comité d'instruction publique- 1793

Le copyright, ou droit de reproduction, n'est pas le droit d'auteur mais seulement l'ancêtre de ce dernier et les droits des auteurs en France et dans certains pays européens ne sont pas ceux des auteurs anglais ou américains.

Pour la petite histoire

Quand il fut crée en Angleterre en 1557, le copyright protégeait plus les guildes d'imprimeurs que les auteurs. Au delà du monopole économique qu'elles représentaient, ces corporations étaient utilisées par les monarques européens pour contrôler les auteurs et le public. Le copyright était un outil de censure jusqu'à ce que les auteurs ne se battent pour leurs propre liberté, suivis de très près par le public qui, à la Révolution, fit tomber le privilège des imprimeurs mais crût bon de conserver celui des auteurs.

Sous l'influence d'écrivains et de philosophes européens comme Diderot ou Kant, le roi, puis le parlementaire français ont ajouté d'autres droits dans la loi protégeant plus l'auteur que le reproducteur et allant donc plus loin que le simple "droit de copie". Cette tradition de défense des libertés par et pour les auteurs a toujours existé et de grands hommes comme Beaumarchais ou Victor Hugo se sont battus par la plume, la parole et le verbe pour mériter ces droits.

A l'origine, en Europe, les premiers défenseurs du droit d'auteur étaient donc des nobles ou de riches notables, seules rares personnes éduquées sachant lire et écrire et qui refusaient souvent d'être rémunérés. Pour beaucoup, seules importaient la diffusion du savoir, la liberté d'expression, de création et de pensée. Et puis bien sûr aussi, la renommée, la gloire et la postérité.

Par là même, poétiquement, la répartition des droits pourraient être traduit par la maxime suivante : les droits du papier sont pour l'imprimeur, les idées sont de libres parcours et nul ne peut s'approprier les pensées de l'auteur. Ni même les contrôler d'ailleurs.

Ainsi, dans les années 50, grâce aux droit d'auteur, les auteurs-réalisateurs réussirent à mieux maîtriser le devenir de leurs oeuvres face à des studios de production de plus en plus censeurs. Dans un article intitulé "La mode des director's cut, quête éperdue de la voix de l'auteur" et paru dans le Monde du 24 juillet 2002, Jean François Rauger déclare :

"La possibilité pour le metteur en scène de contrôler le montage final (final cut) de son film s'est imposée progressivement, davantage dans les pays où le droit d'auteur fut reconnu (la France) que dans ceux où les contrats imposent une omnipotence du producteur (les Etats-Unis). La cinéphilie des années 1950, particulièrement celle qui inventa l'idée d'une "politique des auteurs", contribua à l'intégration du cinéma dans les formes modernes de l'art."

Car, porté par un droit essentiellement contractualiste, le copyright va désormais à l'encontre de ses objectifs, ce qui, semble t-il, avait été perçu lors de sa création. Si il est vrai que les pères de la démocratie américaine cherchaient eux aussi à protéger la liberté d'expression, le partage et la connaissance, ils n'ont visiblement pas su percevoir que les droits des auteurs n'étaient pas ceux des imprimeurs, ni même ceux du public.

Voici par exemple une traduction d'un paragraphe de "Copyright as Cudgel", un texte sur le DMCA (Digital Millenium Copyright Act), écrit par Siv Vaidhyanathan, professeur assistant à l'Université de New York :

"En 1790, Georges Washington a déclaré que le Copyright Act était un moyen pour le peuple américain d'apprendre à utiliser ses propres droits pour pouvoir, par la suite, distinguer ce qui relève de l'autorité légitime de l'Etat de ce qui relève d'une oppression injustifiée portant atteinte à ces mêmes droits. Thomas Jefferson a lui aussi soutenu cette loi. Mais, plus tard, il exprima certaines réserves sur ce qui, selon lui, risquait d'instaurer des monopoles artificiels et de remettre, entre les mains de quelques uns, un pouvoir excessif.

Quelle différences ?

Le droit d'auteur est double, il protège à la fois l'indépendance économique de l'auteur en lui conférant des droits patrimoniaux mais également le lien unissant l'oeuvre à l'artiste à l'aide du droit moral. Au contraire, avec le copyright, le juriste américain détache l'oeuvre de son auteur, visiblement par souci pratique et économique. Il s'en remet ainsi à la liberté contractuelle quant aux droits de chacun (auteur, éditeur, public).

Dans un rapport remis à différents ministres et intitulé "La titularité des droits sur les oeuvres réalisées dans le cadre d'un engagement de création", MM Phillipe Gaudrat et Guy Massé déclaraient en février 2000 :

"par le jeu des règles applicables aux oeuvres crées dans les liens d'un contrat (works made for hire) -exactement inverses à celles du droit français-, [la loi américaine] conduit à traiter de ces oeuvres comme si il s'agissait de produits culturels manufacturés : l'acte créatif, présumant l'attribution du copyright, est l'acte d'investissement, éventuellement de définition commerciale du produit."

De nos jour, le copyright cherche surtout à protéger l'investisseur qui prend un risque sur un éventuel succès en finançant la reproduction. A l'inverse, en France, on protège principalement l'auteur et l'interprétation qu'il a faite de l'idée et ceci en grande partie par la loi et pas par le contrat. Le juriste français cherche à identifier la patte de l'auteur, l'individualité notamment pour déterminer l'originalité, critère indispensable à l'existence de droits. La seule propriété de l'auteur, c'est lui-même, sa personnalité détachée dans ses oeuvres.

Ainsi, dans un rapport intitulé "Le droit d'auteur et Internet", aussi connu sous le nom de rapport Broglié publié par l'Académie des Sciences Politiques et Morales, on peut lire :

"Là où le droit d'auteur distingue le contenu de l'oeuvre, propriété partagée en quelque sorte avec le public, de la façon dont l'auteur l'a exprimée, de son empreinte personnelle, propriété exclusive de celui-ci, le copyright ne reconnaît que le travail compétent, réalisé pour produire l'oeuvre, c'est à dire qu'il tend à accorder la même protection au contenu de l'oeuvre et à la façon dont l'auteur l'a présenté."

Le juriste français ne s'attache ni au mérite, ni à la destination, ni même à la forme de l'oeuvre : il cherche le talent, l'inspiration, ce qui fait que l'oeuvre est incarnée. Les droits moraux sont la conséquence immédiate de cette conception personnalisée des oeuvres de l'esprit, sans doute plus adaptée à la protection de l'auteur que l'approche anglo-saxonne.

Les droits moraux sont des droits subjectifs, ne portant pas sur un bien mais sur une personne et donc attachés à l'auteur. Contrairement aux droits patrimoniaux, ils sont incessibles, inaliénables et perpétuels et ont un caractère absolu et discrétionnaire. Le droit au respect du nom et de la qualité de l'auteur, le droit de retrait ou le droit de repentir sont des exemples de droits moraux dont l'auteur peut se prévaloir tout comme le droit de divulgation, dont l'usage préexiste forcément à toute exploitation.

Pour la postérité, ci dessus évoquée, les droits moraux survivent à l'auteur et leur exercice peut être conféré (et non cédé) en vertu de dispositions testamentaires. L'Etat peut toujours se substituer aux héritiers pour protéger l'intégrité d'une oeuvre si il juge que l'intention originelle de l'auteur est menacé ou que le public doit être protégé. L'exercice abusif de certains droits moraux peut exposer l'auteur à des dommages et intérêts notamment dans le cas d'oeuvres de commande. Dans le cas des logiciels, le droit au respect de l'oeuvre est limité par la loi pour garantir certains droits des utilisateurs.

Perspectives

En allant au delà des droits patrimoniaux et du simple privilège économique, le législateur français avait su percevoir la nature particulière des oeuvres littéraires et artistiques, biens immatériels par essence, liées à la fois à l'auteur et au public et vecteurs de richesses avant tout culturelles. Il avait cherché à équilibrer les rapports de force entre éditeurs, créateurs et public, entre culture et économie ne légitimant un quasi-monopole qu'au nom de la défense des libertés individuelles et de l'intérêt général.

Mais paradoxalement, alors que les droits patrimoniaux sont sans cesse renforcés, le droit moral et les droits du public sont de moins en moins reconnus. La dernière directive européenne sur le droit d'auteur (EUCD), qui sera transposé en droit français début 2003 ne traite d'ailleurs pas du droit moral alors que ce dernier serait sûrement beaucoup plus légitime sur Internet que le droit de reproduction. Le droit moral est indissociable du droit d'auteur et c'est celui qui, à première vue, résiste le mieux à la technologie. Il est ainsi indépendant du support ou du média utilisé pour communiquer l'oeuvre au public et son harmonisation en Europe aurait été utile. Mais quoiqu'il en soit, les traités internationaux dont s'inspire la directive en font rarement mention.

L'EUCD se contente donc de détourner l'esprit du droit d'auteur et risque effectivement "de remettre entre les mains de quelque uns un pouvoir excessif ". Le législateur européen cherche à nous faire revenir au XVIème siècle quand l'imprimeur décidait à son gré du devenir de l'oeuvre, jugeant arbitrairement que tel ou tel libraire pouvait la diffuser. Le gouvernement français et les parlementaires devront donc utiliser au maximum les exceptions autorisées aux Etats Membres pour limiter les pouvoirs des ayants droits, notamment dans le cadre de la recherche, de l'interopérabilité, de la copie privée, de l'éducation et de la sécurité informatique.

Pour la protection des oeuvres financées par l'Etat, ils devraient également encourager les technologies de protection et d'identification s'appuyant sur des formats de fichier ouverts et non propriétaires. Les détenteurs de catalogue de copyrights ont également des brevets sur les technologies de protection et l'utilisation conjointe de l'EUCD et des brevets logiciels risque de confirmer des monopoles économiques existants. Il serait plus que souhaitable que des associations comme l'AFUL ou l'APRIL participent aux discussions qui se tiennent au Conseil Supérieur de la Propriété Littéraire et Artistique pour qu'elles puissent représenter et défendre les droits des développeurs et des utilisateurs de logiciels libres.

A défaut, le droit d'auteur devra sans doute être renommé dans les prochaines années, en droit de la major ou en droit du plus fort, cela lui ira mieux. Mais à ce stade, le citoyen risquerait de mal le prendre croyant dès lors comprendre que la trêve est rompue. Dépité, agacé, révolté de n'être que vache à lait ou éternel suspect, il pourrait oublier, d'un revers de médaille ou d'un air étourdi, un vieux contrat social, celui là plus moral, voulant que présentement, par acquis de conscience, il respecte les règles d'un jeu plutôt dangereux aux contours un peu flous et à l'ordre établi. Car la loi, tout comme l'art, l'argent, le logiciel et la démocratie, n'a pas plus de valeur que celle qu'on lui accorde.



"Brevets, EUCD, copie privée : cerise et gros gateaux"
L'EUCD en question