Le copyright, ou droit de reproduction, n'est pas le droit d'auteur
mais seulement l'ancêtre de ce dernier et les droits des auteurs en France
et dans certains pays européens ne sont pas ceux des auteurs anglais ou
américains.
Pour la petite histoire
Quand il fut crée en Angleterre en 1557, le copyright protégeait plus
les guildes d'imprimeurs que les auteurs. Au delà du monopole économique
qu'elles représentaient, ces corporations étaient utilisées par les
monarques européens pour contrôler les auteurs et le public. Le copyright
était un outil de censure jusqu'à ce que les auteurs ne se battent pour
leurs propre liberté, suivis de très près par le public qui, à la
Révolution, fit tomber le privilège des imprimeurs mais crût bon de
conserver celui des auteurs.
Sous l'influence d'écrivains et de philosophes européens comme Diderot
ou Kant, le roi, puis le parlementaire français ont ajouté d'autres droits
dans la loi protégeant plus l'auteur que le reproducteur et allant donc
plus loin que le simple "droit de copie". Cette tradition de défense des
libertés par et pour les auteurs a toujours existé et de grands hommes
comme Beaumarchais ou Victor Hugo se sont battus par la plume, la parole
et le verbe pour mériter ces droits.
A l'origine, en Europe, les premiers défenseurs du droit d'auteur
étaient donc des nobles ou de riches notables, seules rares personnes
éduquées sachant lire et écrire et qui refusaient souvent d'être
rémunérés. Pour beaucoup, seules importaient la diffusion du savoir, la
liberté d'expression, de création et de pensée. Et puis bien sûr aussi, la
renommée, la gloire et la postérité.
Par là même, poétiquement, la répartition des droits pourraient être
traduit par la maxime suivante : les droits du papier sont pour
l'imprimeur, les idées sont de libres parcours et nul ne peut s'approprier
les pensées de l'auteur. Ni même les contrôler d'ailleurs.
Ainsi, dans les années 50, grâce aux droit d'auteur, les
auteurs-réalisateurs réussirent à mieux maîtriser le devenir de leurs
oeuvres face à des studios de production de plus en plus censeurs. Dans un
article intitulé "La mode des director's cut, quête éperdue de la voix de
l'auteur" et paru dans le Monde du 24 juillet 2002, Jean François Rauger
déclare :
"La possibilité pour le metteur en scène de contrôler le montage
final (final cut) de son film s'est imposée progressivement, davantage
dans les pays où le droit d'auteur fut reconnu (la France) que dans ceux
où les contrats imposent une omnipotence du producteur (les Etats-Unis).
La cinéphilie des années 1950, particulièrement celle qui inventa l'idée
d'une "politique des auteurs", contribua à l'intégration du cinéma dans
les formes modernes de l'art."
Car, porté par un droit essentiellement contractualiste, le copyright
va désormais à l'encontre de ses objectifs, ce qui, semble t-il, avait été
perçu lors de sa création. Si il est vrai que les pères de la démocratie
américaine cherchaient eux aussi à protéger la liberté d'expression, le
partage et la connaissance, ils n'ont visiblement pas su percevoir que les
droits des auteurs n'étaient pas ceux des imprimeurs, ni même ceux du
public.
Voici par exemple une traduction d'un paragraphe de "Copyright as
Cudgel", un texte sur le DMCA (Digital Millenium Copyright Act), écrit
par Siv Vaidhyanathan, professeur assistant à l'Université de New York :
"En 1790, Georges Washington a déclaré que le Copyright Act était un
moyen pour le peuple américain d'apprendre à utiliser ses propres droits
pour pouvoir, par la suite, distinguer ce qui relève de l'autorité
légitime de l'Etat de ce qui relève d'une oppression injustifiée portant
atteinte à ces mêmes droits. Thomas Jefferson a lui aussi soutenu cette
loi. Mais, plus tard, il exprima certaines réserves sur ce qui, selon lui,
risquait d'instaurer des monopoles artificiels et de remettre, entre les
mains de quelques uns, un pouvoir excessif.
Quelle différences ?
Le droit d'auteur est double, il protège à la fois l'indépendance
économique de l'auteur en lui conférant des droits patrimoniaux mais
également le lien unissant l'oeuvre à l'artiste à l'aide du droit moral.
Au contraire, avec le copyright, le juriste américain détache l'oeuvre de
son auteur, visiblement par souci pratique et économique. Il s'en remet
ainsi à la liberté contractuelle quant aux droits de chacun (auteur,
éditeur, public).
Dans un rapport
remis à différents ministres et intitulé "La titularité des droits sur les
oeuvres réalisées dans le cadre d'un engagement de création", MM Phillipe
Gaudrat et Guy Massé déclaraient en février 2000 :
"par le jeu des règles applicables aux oeuvres crées dans les liens
d'un contrat (works made for hire) -exactement inverses à celles du droit
français-, [la loi américaine] conduit à traiter de ces oeuvres comme si
il s'agissait de produits culturels manufacturés : l'acte créatif,
présumant l'attribution du copyright, est l'acte d'investissement,
éventuellement de définition commerciale du produit."
De nos jour, le copyright cherche surtout à protéger l'investisseur qui
prend un risque sur un éventuel succès en finançant la reproduction. A
l'inverse, en France, on protège principalement l'auteur et
l'interprétation qu'il a faite de l'idée et ceci en grande partie par la
loi et pas par le contrat. Le juriste français cherche à identifier la
patte de l'auteur, l'individualité notamment pour déterminer
l'originalité, critère indispensable à l'existence de droits. La seule
propriété de l'auteur, c'est lui-même, sa personnalité détachée dans ses
oeuvres.
Ainsi, dans un rapport intitulé "Le droit d'auteur et Internet", aussi
connu sous le nom de rapport
Broglié publié par l'Académie des Sciences Politiques et Morales, on
peut lire :
"Là où le droit d'auteur distingue le contenu de l'oeuvre, propriété
partagée en quelque sorte avec le public, de la façon dont l'auteur l'a
exprimée, de son empreinte personnelle, propriété exclusive de celui-ci,
le copyright ne reconnaît que le travail compétent, réalisé pour produire
l'oeuvre, c'est à dire qu'il tend à accorder la même protection au contenu
de l'oeuvre et à la façon dont l'auteur l'a présenté."
Le juriste français ne s'attache ni au mérite, ni à la destination, ni
même à la forme de l'oeuvre : il cherche le talent, l'inspiration, ce qui
fait que l'oeuvre est incarnée. Les droits moraux sont la conséquence
immédiate de cette conception personnalisée des oeuvres de l'esprit, sans
doute plus adaptée à la protection de l'auteur que l'approche
anglo-saxonne.
Les droits moraux sont des droits subjectifs, ne portant pas sur un
bien mais sur une personne et donc attachés à l'auteur. Contrairement aux
droits patrimoniaux, ils sont incessibles, inaliénables et perpétuels et
ont un caractère absolu et discrétionnaire. Le droit au respect du nom et
de la qualité de l'auteur, le droit de retrait ou le droit de repentir
sont des exemples de droits moraux dont l'auteur peut se prévaloir tout
comme le droit de divulgation, dont l'usage préexiste forcément à toute
exploitation.
Pour la postérité, ci dessus évoquée, les droits moraux survivent à
l'auteur et leur exercice peut être conféré (et non cédé) en vertu de
dispositions testamentaires. L'Etat peut toujours se substituer aux
héritiers pour protéger l'intégrité d'une oeuvre si il juge que
l'intention originelle de l'auteur est menacé ou que le public doit être
protégé. L'exercice abusif de certains droits moraux peut exposer l'auteur
à des dommages et intérêts notamment dans le cas d'oeuvres de commande.
Dans le cas des logiciels, le droit au respect de l'oeuvre est limité par
la loi pour garantir certains droits des utilisateurs.
Perspectives
En allant au delà des droits patrimoniaux et du simple privilège
économique, le législateur français avait su percevoir la nature
particulière des oeuvres littéraires et artistiques, biens immatériels par
essence, liées à la fois à l'auteur et au public et vecteurs de richesses
avant tout culturelles. Il avait cherché à équilibrer les rapports de
force entre éditeurs, créateurs et public, entre culture et économie ne
légitimant un quasi-monopole qu'au nom de la défense des libertés
individuelles et de l'intérêt général.
Mais paradoxalement, alors que les droits patrimoniaux sont sans cesse
renforcés, le droit moral et les droits du public sont de moins en moins
reconnus. La dernière directive européenne sur le droit d'auteur (EUCD),
qui sera transposé en droit français début 2003 ne traite d'ailleurs pas
du droit moral alors que ce dernier serait sûrement beaucoup plus légitime
sur Internet que le droit de reproduction. Le droit moral est
indissociable du droit d'auteur et c'est celui qui, à première vue,
résiste le mieux à la technologie. Il est ainsi indépendant du support ou
du média utilisé pour communiquer l'oeuvre au public et son harmonisation
en Europe aurait été utile. Mais quoiqu'il en soit, les traités
internationaux dont s'inspire la directive en font rarement mention.
L'EUCD se contente donc de détourner l'esprit du droit d'auteur et
risque effectivement "de remettre entre les mains de quelque uns un
pouvoir excessif ". Le législateur européen cherche à nous faire revenir
au XVIème siècle quand l'imprimeur décidait à son gré du devenir de
l'oeuvre, jugeant arbitrairement que tel ou tel libraire pouvait la
diffuser. Le gouvernement français et les parlementaires devront donc
utiliser au maximum les exceptions autorisées aux Etats Membres pour
limiter les pouvoirs des ayants droits, notamment dans le cadre de la
recherche, de l'interopérabilité, de la copie privée, de l'éducation et de
la sécurité informatique.
Pour la protection des oeuvres financées par l'Etat, ils devraient
également encourager les technologies de protection et d'identification
s'appuyant sur des formats de fichier ouverts et non propriétaires. Les
détenteurs de catalogue de copyrights ont également des brevets sur les
technologies de protection et l'utilisation conjointe de l'EUCD et des
brevets logiciels risque de confirmer des monopoles économiques existants.
Il serait plus que souhaitable que des associations comme l'AFUL ou
l'APRIL participent aux discussions qui se tiennent au Conseil Supérieur
de la Propriété Littéraire et Artistique pour qu'elles puissent
représenter et défendre les droits des développeurs et des utilisateurs de
logiciels libres.
A défaut, le droit d'auteur devra sans doute être renommé dans les
prochaines années, en droit de la major ou en droit du plus fort, cela lui
ira mieux. Mais à ce stade, le citoyen risquerait de mal le prendre
croyant dès lors comprendre que la trêve est rompue. Dépité, agacé,
révolté de n'être que vache à lait ou éternel
suspect, il pourrait oublier, d'un revers de médaille ou d'un air
étourdi, un vieux contrat social, celui là plus moral, voulant que
présentement, par acquis de conscience, il respecte les règles d'un jeu
plutôt dangereux aux contours un peu flous et à l'ordre établi. Car la
loi, tout comme l'art, l'argent, le logiciel et la démocratie, n'a pas
plus de valeur que celle qu'on lui accorde.