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Au-delà de son caractère grotesque, la
course de vitesse entre une secte américaine et un gynécologue
italien pour réussir la première reproduction clonée d'un être
humain met en lumière l'une des tendances les plus profondes de nos
civilisations.
Car le clonage ne constitue pas, comme
beaucoup le prétendent, une rupture par rapport aux fondements de
nos sociétés. Il en constitue au contraire le prolongement
naturel.
L'une des pulsions les plus profondes de
l'humanité, qui anime ses conceptions religieuses comme ses projets
scientifiques, est en effet de tout faire pour creuser un fossé
entre sexualité et reproduction.
Bien des civilisations ont commencé par
nier le lien entre l'une et l'autre: l'homme ne pouvait pas naître
de «ça». Et, quand il est devenu impossible de le soutenir,
d'innombrables cosmogonies ont maintenu cette distinction pour les
naissances divines: le propre des dieux était de naître sans
relation sexuelle entre des géniteurs, par une sorte de clonage
théologique à partir d'autres dieux.
Pour beaucoup d'Eglises, la sexualité
est restée une contrainte bestiale, imposée aux hommes par les
forces du mal, dont il fallait à tout prix se délivrer en la
limitant aux nécessités reproductives. Et tout ce qui pouvait faire
de la sexualité un plaisir en soi, indépendant de la procréation,
était soigneusement proscrit par les codes religieux, jusque dans
les moindres détails, du coitus interruptus à
l'avortement.
On peut lire toute l'histoire de la
Renaissance et des Lumières comme une inversion des priorités,
irrésistible progrès de l'instant contre la durée, lente
réhabilitation du plaisir et de l'amour. Mais sans pour autant que
soient réconciliés Eros et maternité: le bien et le mal s'inversent,
mais restent séparés. Cette bataille se joue désormais à découvert:
la sexualité est une source de plaisir revendiquée; la natalité est
subie par beaucoup comme une contrainte individuelle et sociale,
qu'il faut tenter d'artificialiser, sous de multiples prétextes
thérapeutiques, par des techniques de plus en plus sophistiquées: la
pilule, la fécondation in vitro constituent des exemples parmi
d'autres de cette séparation croissante entre l'acte et ses
conséquences.
Le clonage ne fait que prolonger cette
évolution. Avec lui, la procréation évitera non seulement l'acte
sexuel (comme c'est déjà le cas avec la fécondation in vitro), mais
aussi la complémentarité sexuelle.
Bientôt, on ira plus loin encore, en
séparant le fœtus de sa matrice, faisant de l'être humain un
artefact, fabriqué sur mesure, avec des caractéristiques choisies à
l'avance; et, peut-être, un jour, avec une mémoire et une conscience
de soi prédéterminées. En devenant ainsi peu à peu des objets comme
les autres, les êtres humains deviendront, pour ceux qui les
achèteront (car ils se vendront), des objets de consommation,
abandonnés dès qu'un modèle nouveau viendra exciter leur
désir.
L'humanité aura alors achevé son cycle:
en se concentrant sur ses plaisirs immédiats, en renonçant à toute
responsabilité à l'égard de l'avenir, elle aura perdu sa raison
d'être.