lundi 20 janvier 2003
 Horizons
  
Rechercher
un article

  ACTUALITES
 à la une
 international
 europe
 france
 société
 régions
 carnet
 horizons
 analyses & forums
 entreprises
 communication
 aujourd'hui
 météo
 sports
 sciences
 culture

 version texte

  EDITION ABONNES
 le desk
 les dépêches
 les dossiers
 les fiches pays
 les thématiques
 la check-list
 les portfolios

  CHAINES
 aden
 éducation
 finances
 forums
 interactif
 mots croisés / jeux
 automobile

  ANNONCES
 emploi
 immobilier

  SERVICES
 newsletters
 vos préférences
 aide et services
 qui sommes-nous ?

  LE QUOTIDIEN

 édition électronique
 éditions nomades
 archives
 les thématiques
 abonnements
LE MONDE | 20.01.03 | 13h13
MIS A JOUR LE 20.01.03 | 14h39
Françoise Giroud, journaliste absolue
Fondatrice de "L'Express", journaliste et écrivain, secrétaire d'Etat à la condition féminine puis à la culture de Valéry Giscard d'Estaing, elle est morte le 19 janvier. Les mystères du parcours sans faute d'une femme à la vitalité inépuisable.

On a beau vouloir se prémunir contre les clichés - les morts n'ont que des qualités -, on a beau avoir mesuré la dureté de son énergie et l'avoir entendue, au soir de la mort de Simone de Beauvoir, dire seulement : "Elle était mal habillée", on se doit, devant Françoise Giroud, tout en gardant la lucidité critique qui lui était chère, de rendre les armes.
   
Article au format texte pour impression Envoyer par email cet article à un ami
 
 Sur le même sujet
Une curiosité insatiable, par Jean-Marie Colombani
LE MONDE | 20.01.03 | 13h16
L'hommage de la presse et des politiques à Françoise Giroud
LE MONDE | 20.01.03 | 13h13
Les nouveaux visages de Jacques Chirac
LE MONDE | 18.01.03 | 13h56
Marc Tessier, un président dans la tempête
LE MONDE | 14.01.03 | 12h48
Une journée dans la vie de Hamid Karzaï
LE MONDE | 31.12.02 | 13h01
Daniel arap Moi
LE MONDE | 30.12.02 | 13h11
Raël clone éternel
LE MONDE | 27.12.02 | 12h41
 
Ce destin de femme, qui avait commencé en 1916 (la même année que celui de François Mitterrand) et s'est achevé dimanche 19 janvier à l'Hôpital américain de Neuilly (Hauts-de-Seine), force le respect. Et si l'on a choisi le journalisme, comme elle, non par défaut mais par désir, on a forcément, un jour ou l'autre, rêvé en regardant la fameuse photo, où, au marbre du tout jeune Express qu'elle a fondé en 1953 avec Jean-Jacques Servan-Schreiber et qu'elle dirige, Françoise Giroud, conquérante, souriante dans l'éclat de sa trentaine, relit, au côté de François Mauriac, le "Bloc-notes" que celui-ci donne au magazine chaque semaine.

Françoise Giroud avait volontiers la dent dure et détestait les embaumements. Elle se moquait par avance de ceux qu'on allait lui réserver, en écrivant, dans son portrait d'Alma Mahler (Alma Mahler ou l'art d'être aimée, Robert Laffont, 1988) : "Les vivants ont peur des morts. C'est pourquoi ils disent immanquablement du bien de ceux qui viennent de disparaître." Du bien, on en dit nécessairement de quelqu'un qui a, comme elle, maîtrisé sa vie, tenu son cap jusqu'à la dernière minute - une mauvaise chute, jeudi soir 16 janvier, à l'Opéra-Comique, à Paris. Une femme, qui, à 86 ans, était toujours, instinctivement, journaliste, avec une curiosité insatiable pour l'information, la passion d'écrire des articles (sa chronique de télévision dans Le Nouvel Observateur), de lire des livres et d'en discuter avec véhémence au jury Femina, où elle siégeait depuis 1992.

Cela n'empêche pas de relever qu'un certain goût du pouvoir la conduisit, après avoir appelé, en 1974, à voter pour François Mitterrand, à accepter le poste de secrétaire d'Etat à la condition féminine dans le premier gouvernement du septennat de Valéry Giscard d'Estaing (1974-1976), puis celui de secrétaire d'Etat à la culture (1976-1977). Ni de se souvenir du mot ironique de Pierre Mendès France - le "grand homme" des débuts de L'Express, auquel le magazine apporta tout son soutien -, lorsque Françoise Giroud publia Si je mens (Stock, 1972) : "Croix de bois, croix de fer, si je mens je vais en enfer. J'ai bien l'impression qu'elle prend des risques..." Ni même de s'interroger sur son affirmation répétée, "il faut absolument être sociable", comme si l'image sociale qu'on projette de soi-même était l'alpha et l'oméga d'une vie, d'un individu - elle avait peut-être choisi de le croire pour demeurer dissimulée, à l'abri derrière des rôles de composition qu'elle jouait tous à la perfection. Mais cela ne lui permettait pas de toujours comprendre les artistes et leur refus d'adhérer à la comédie sociale.

Celle qui était née Françoise Gourdji, le 21 septembre 1916 à Genève, et qui avait très tôt perdu son père, n'avait pas attendu de se trouver confrontée à un monde d'hommes - le journalisme des années d'après-guerre - pour savoir qu'il fallait se forger une armure, et ne compter que sur son obstination et son courage. Trichant sur son âge, elle n'a pas 16 ans quand elle se fait engager comme dactylo-vendeuse dans une librairie du boulevard Raspail, à Paris. C'est là qu'en 1932 elle rencontre le cinéaste Marc Allégret et devient scripte - notamment pour La Grande Illusion, de Jean Renoir - puis scénariste de quelques films, dont Antoine et Antoinette, de Jacques Becker. Pendant la deuxième guerre mondiale, on la retrouve à Lyon. Elle donne ses premiers écrits de journaliste à Hervé Mille, pour Paris-Soir, replié en zone libre. Résistante, elle est arrêtée et emprisonnée à Fresnes, tandis que sa sœur est déportée.

A la Libération, Hélène Lazareff l'engage à Elle, et Françoise, désormais et pour toujours Giroud, dirige pendant sept ans l'hebdomadaire féminin le plus lu alors dans la presse française. 1953, l'année de ses 37 ans, est celle d'un accomplissement. Jean-Jacques Servan-Schreiber fonde L'Express avec elle et lui en confie la direction. Elle demeure la seule femme à avoir dirigé pendant vingt ans un grand journal français, qui fut un modèle, qui employa jusqu'à 500 personnes et atteignit un tirage de 700 000 exemplaires. Ce qui l'autorisait à être peu amène dans ses jugements sur L'Express d'aujourd'hui.

Si elle aimait à dire qu'elle n'avait jamais eu à lutter pour s'imposer aux hommes, puisqu'elle avait d'abord été dirigée par une femme et qu'ensuite c'était elle "qui commandait", elle avait bien décrit, dans Si je mens, la situation des femmes dans certains métiers ou certains lieux de pouvoir : "Dès qu'une femme franchit la frontière du territoire masculin, la nature du combat professionnel change. Les vertus que l'on exige alors d'une femme, on se demande combien d'hommes seraient capables de les montrer." On lui doit aussi cette phrase si juste : "Le problème des femmes sera résolu le jour où l'on verra une femme médiocre à un poste important." "On n'y est pas encore, mais on progresse", confiait-elle en riant, au moment de ses 80 ans (Le Monde daté 6-7 octobre 1996).

Il n'était certes pas illégitime de confier à Françoise Giroud, qui s'était imposée à une collectivité d'hommes, un poste de secrétaire d'Etat à la condition féminine. Ne faisant jamais les choses à moitié, elle n'allait toutefois pas se contenter, dans ces années 1970, d'être un membre du gouvernement venu de la société civile. Militant au Parti radical, de nouveau au côté de Jean-Jacques Servan-Schreiber, elle allait en assurer la vice-présidence, puis devenir vice-présidente de l'UDF, avant de démissionner au moment des élections européennes de 1979. Le journalisme reprenant toujours le dessus chez Françoise Giroud - "de toutes mes vies, celle que je préfère c'est le journalisme" -, elle a raconté, seulement sept mois après avoir quitté le gouvernement, son parcours dans les palais de la République, avec La Comédie du pouvoir (Fayard, 1977) : un regard corrosif sur les hommes et leur exercice du pouvoir, qui demeure sans équivalent. Cette "sceptique dynamique", selon sa propre définition, a alors 61 ans. Elle a déjà eu plusieurs vies, et a même été en analyse avec Jacques Lacan.

Cependant, à l'âge où beaucoup amorcent le virage du repli et "lèvent le pied", elle, au contraire, écrase l'accélérateur et passe à la vitesse supérieure. Elle est toujours présente dans les journaux, par des chroniques - au Nouvel Observateur, au Journal du dimanche, avec lequel sa collaboration se termine mal, en 1994, lorsque Paris Match, autre organe du groupe Hachette, publie une photo de la fille de François Mitterrand, ce qu'elle critique ouvertement -, elle préside telle ou telle instance, au premier chef la Commission d'avances sur recettes pour le cinéma (1989), et, surtout, à un rythme soutenu, elle écrit des livres.

Dès 1952 avaient paru Le Tout Paris, puis, en 1958, La Nouvelle Vague, portrait de la jeunesse, mais c'est à partir de la fin des années 1970 qu'elle intensifie le rythme de ses publications. Sa bibliographie est aujourd'hui riche de près de 30 titres - 17 depuis 1990 ; le dix-huitième, un roman, Les Taches du léopard, sera en librairie le 4 février (Fayard). Elle multiplie les portraits biographiques de femmes - Marie Curie, Alma Mahler, Jenny Marx, Cosima Wagner, Lou Andreas Salomé... -, mais distingue aussi des hommes - Christian Dior, Clemenceau. A cela s'ajoutent plusieurs volumes d'un Journal et quelques textes plus autobiographiques, au premier rang desquels Leçons particulières (Fayard, 1990), qui est sans doute ce que pouvait dire de plus personnel une femme si rétive à l'aveu, à la confession, à la confidence même, et qui gardait des humiliations subies autrefois "l'échine droite pour l'éternité", comme elle le relevait dans son Ce que je crois (Grasset, 1978), avant de citer Montaigne : "Je me contente de vivre une vie excusable" et d'ajouter : "J'aimerais, au jour de ma mort, avoir le droit de penser que j'ai mené une telle vie. Seulement excusable."

Cette activité hors du commun, ce goût de découvrir et de comprendre - "Tout m'intéresse. Parce que je suis journaliste dans l'âme" - ne parvenaient pourtant pas à guérir Françoise Giroud de sa haine de la vieillesse. Elle a mis tout son talent à décrire cette "maladie", cette "obscénité" qui fait qu'"un jour, on se découvre petite chose molle, fragile et fripée ; l'oreille dure, le pas incertain, le souffle court, la mémoire à trous, dialoguant avec son chat un dimanche de solitude. Cela s'appelle vieillir et ce m'est pur scandale." (On ne peut pas être heureux tout le temps, Fayard, 2001). La vieillesse, c'est aussi le moment où l'on vous demande toujours la même chose, déplorait-elle : les débuts de L'Express, Mendès France, les femmes et le journalisme, les femmes et la politique, au point, écrivait-elle dans le deuxième volume de son Journal, Chienne d'année (Seuil, 1996), qu'on a parfois l'impression "d'être un orgue de Barbarie dont on tourne la manivelle".

Elle était si lasse qu'on l'incite à rappeler, une fois encore, ce qu'elle aimait - le cinéma, le football (avant que, Mondial oblige, en 1998, ça ne devienne la mode), l'art contemporain, les concerts de musique classique - qu'il était plus excitant de lui proposer de se définir par ses détestations, comme elle le fit pour Le Monde au moment de son quatre-vingtième anniversaire : "Ce qui me déplaît ? La bêtise, la vulgarité. Une certaine vulgarité de cette époque en particulier, son côté zapping. On a envie de dire : Arrêtons-nous cinq minutes, réfléchissons. Mais est-ce que les gens ont encore la faculté de réfléchir ? Le moment où ça a "basculé", je le placerais au début des années 1980, et la télévision n'y est pas étrangère. J'écris sur elle pour comprendre, pour savoir ce que les gens regardent. (...) Je ne crois pas au progrès moral, mais je crois au progrès social, et nous sommes en pleine régression. L'atmosphère générale de la France est consternante. C'est la période la plus noire que j'ai connue, à cause de cette désespérance. Certes, j'ai vécu la guerre, les années noires de 1940-1945. Mais on espérait, on se battait. Aujourd'hui les gens se sentent impuissants, et, probablement, ils le sont."

Lucidité inquiétante, car Françoise Giroud se faisait fort d'avoir le dernier mot. Elle connaissait la pièce par cœur et avait appris à y jouer plusieurs rôles, la meilleure manière de rester à l'abri, de préserver ses secrets et ses blessures. Désormais, ce destin construit avec une énergie qui semblait inépuisable appartient à l'histoire du journalisme et à l'histoire de ce pays. Et l'on peut être certain que les biographies de Françoise Giroud, qui ne manqueront pas d'être écrites, cherchant le ressort de cette vitalité, tentant de percer le mystère de ce parcours sans faute, de ce professionnalisme absolu, feront encore longtemps rêver des jeunes filles...

Josyane Savigneau

ARTICLE PARU DANS L'EDITION DU 21.01.03

Articles recommandés




Droits de reproduction et de diffusion réservés © Le Monde 2003
Usage strictement personnel. L'utilisateur du site reconnaît avoir pris connaissance de la licence de droits d'usage, en accepter et en respecter les dispositions.
Politique de confidentialité du site.
Besoin d'aide ? faq.lemonde.fr