Les dessous de l'obscure passe d'armes entre Free et France Telecom
Par JDNet Solutions (Benchmark Group)
URL : http://solutions.journaldunet.com/0301/030124_freeft.shtml
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Vendredi 24 janvier 2003

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Ce jeudi matin, tout est rentré dans l'ordre : les internautes de Free et de France Telecom peuvent enfin surfer de l'autre côté du tunnel. Les mails passent désormais dans de bonnes conditions entre Free et Wanadoo, et les Wanadiens peuvent accéder aux sites hébergés par la galaxie Free. Hier soir à 20 heures, le tuyau a été débouché et agrandi - dans un rapport de 1 à 3 -, avec trois petites heures de retard sur le planning initial. Les internautes sont libérés, mais le bras de fer n'est pas fini...

On connaît désormais le fond de l'histoire : il y a deux mois, Free somme France Telecom d'ouvrir une route plus grande entre les deux réseaux, car un embouteillage menace. France Telecom demande alors à Free de payer pour ce câble plus gros, mais Free refuse. Les deux opérateurs ont le même intérêt : que le câble soit agrandi pour que leurs clients puissent accéder aux sites et aux internautes qui se trouvent de l'autre côté du tuyau, et dans de bonnes conditions.

La position de Free ne manque pas de fondement : "Lorsque le trafic dans les deux sens est équivalent, il n'y a pas de raison pour qu'un opérateur X paye plus cher qu'un opérateur Y", explique Me Pierre Jean Blard, avocat qui a eu à traiter une affaire comparable en Angleterre. Il y a deux ans d'ailleurs, France Telecom se conformait à cet usage : le câble qui reliait FT à Free n'était pas facturé. Pourquoi ce brusque changement de position ?

"No man's land" juridique
"En matière de peering - accords d'interconnexion -, c'est un peu la loi de la jungle : il n'y a pas de règles, et on voit tout et n'importe quoi, explique Me Pierre Jean Blard. Au cours des négociations, les opérateurs se parlent sur des registres différents, leurs approches sont radicalement étrangères, et les négociateurs mettent très longtemps avant de comprendre où leur concurrent veut en venir".

Mais de là à prendre en otage des millions d'internautes et des dizaines de milliers de propriétaires de sites Internet, en laissant le débit de leurs échanges s'effondrer jusqu'à la coupure pure et simple du robinet... De l'avis de quelques observateurs bien placés, le duel auquel se sont livrés les négociateurs de Free et de France Telecom témoignent d'une bonne dose d'immaturité.

Free se défend en prenant une posture qui lui est chère, celle du chevalier blanc : "France Telecom nous demandait de payer 3 000 euros par mois, affirme un reponsable de Free sous couvert d'anonymat. C'est une broutille pour nous : notre chiffre d'affaires dépasse les 10 millions d'euros par mois. Mais nous n'avons pas voulu céder : il n'y avait pas de raison que nous acceptions un accord injuste et déséquilibré".

Jusqu'au-boutisme
Et d'ajouter : "Nous leur avons proposé toutes sortes d'options techniques : ils auraient pu préserver leur image, nous serions restés connectés à leur point de peering et non l'inverse ; et nous aurions pris en charge les travaux techniques et la maintenance. Tout ce que nous voulions, c'était d'éviter de payer une somme injustifiée".

Du côté de France Telecom, l'entêtement est au moins comparable. Malgré nos sollicitations, l'opérateur historique n'a pas souhaité se justifier sur le processus des négociations, se retranchant derrière l'obligation de réserve qui est la règle dans les affaires commerciales.

Mais s'agit-il bien d'une affaire commerciale ? "C'est la tendance qui se dessine, confirme Me Pierre Jean Blard : les accords de peering ont de plus en plus tendance à se monnayer. C'est sans doute l'approche la plus juste et il est urgent que le milieu des FAI établisse des règles en la matière." Mais pourquoi Free devrait-il payer la note, puisque son point de peering est aussi incontournable que celui de FT ? Une question qui restera sans réponse.

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On en est donc réduit à des hypothèses. Et notamment à celles du reponsable de Free : "France Telecom a pensé que nous n'irions jamais jusqu'au bout, et que nous finirions par payer. Cela semblait tellement plus logique que nous cédions au chantage". Une fois de plus, Free se fait donc l'apôtre de la rébellion contre un opérateur historique qui aurait oublié que la page du monopole est tournée, pour des raisons "d'honneur et de sens de la justice".

L'image de marque des deux fournisseurs sort écornée de cette consternante -mais courte- histoire. Les deux sociétés travailleraient désormais à pacifier leurs rapports. Pourvu que ça dure...

[Nicolas Six, JDNet]



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