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Le Britannique 
Paul Webster, de « The Observer», à propos du journalisme «à la française» et du 
livre de Daniel Carton «Bien entendu, c'est off».
«C'est honteux d'être un lèche-cul» 
Par Catherine 
MALLAVAL
mardi 28 janvier 2003 
(1) Ed. Albin Michel. Lire Libération du 15 janvier. «Ce que les journalistes politiques ne vous racontent jamais», Daniel 
Carton, journaliste politique au Monde, puis au Nouvel 
Observateur, a choisi de le balancer dans son récent livre Bien entendu, 
c'est off (1), référence à l'expression américaine «off the 
record» dont usent les interviewés lorsqu'ils ne veulent pas que leurs 
confidences soient publiées. Et Carton de revenir sur la façon dont Rocard 
aurait négocié directement avec Chirac une place de ministre des Affaires 
étrangères, le silence complice des médias sur la fille cachée de Mitterrand, 
etc. Une claque méritée ? Entretien en «on» avec le journaliste 
britannique Paul Webster, 65 ans, qui a dirigé le bureau parisien du quotidien 
de gauche The Guardian de 1974 à 1999, auteur de Mitterrand : l'autre 
histoire, 1945-1995, aujourd'hui correspondant de l'hebdomadaire The 
Observer. Que pensez-vous du livre de Daniel Carton ? Ma première réaction est celle d'un journaliste. Pourquoi n'a-t-il pas 
raconté tout ça quand il était encore en poste dans un journal ? Quand on est 
détenteur d'informations, ce n'est pas une fois à la retraite qu'il faut les 
sortir ! Je sais, c'est sévère... A-t-il raison d'épingler les journalistes politiques français ? Je crois qu'il y a de vraies questions à se poser sur la façon dont ils 
s'abritent derrière la protection de la vie privée pour ne pas révéler certaines 
informations. Il est exact que la loi française est très stricte. On accuse la 
presse britannique anglaise de jeter de la boue sur tout le monde, mais, en 
Grande-Bretagne, les condamnations en cas d'erreur sont encore plus sévères. 
Quand The Guardian, un journal de qualité, parle de la vie privée de 
Cherie Blair, de ses achats d'appartements, de ses amitiés louches, il risque 
gros. Mais il le fait, parce que le lecteur a droit de savoir et de se faire une 
opinion. Il ne s'agit pas de dire combien de fois ils ont fait ça dans la nuit 
avec Tony, mais de montrer à quel point le couple Blair est un couple bourgeois. 
En France, prenez le cas de Pierre Botton. Sa vie privée et sa vie publique 
étaient intimement liées. Or, une vie d'escroc, ça se dénonce. Si toutes les 
affaires qui sortent depuis quelques années, comme Elf, par exemple, font autant 
de bruit, c'est peut-être parce que les journalistes ont attendu que la justice 
s'en mêle. Y a-t-il aussi une conception différente du journalisme ? Globalement, je pense que les Anglo-Saxons et les Français ont deux cultures 
très différentes du journalisme. Nous avons, nous autres Anglo-Saxons, l'idée 
très ancrée que nous sommes des empêcheurs de tourner en rond. Même dans les 
petits journaux province, on se fait un point d'honneur à chercher si le maire 
n'a pas trop dépensé pour une salle des fêtes, par exemple. Alors que prenez les 
journaux de province français : ils sont surtout très fort sur le programme de 
la salle des fêtes ! Nous avons aussi une vraie culture du scoop. Regardez le 
nombre de fois où l'on peut lire le mot exclusive, particulièrement dans 
la presse du dimanche ! En France, c'est différent. Pour être bien vu, et y 
compris des lecteurs, me semble-t-il, il faut être chroniqueur ou éditorialiste, 
analyser et débattre ! Ce n'est pas le journaliste de terrain qui a les 
honneurs. Je suis d'ailleurs très étonné tous les matins, quand j'écoute les 
revues de presse à la radio où sont cités toute une ribambelle d'éditorialistes 
de journaux de province. Tous ces gens qui parlent comme des papes sur la 
politique américaine, derrière leurs bureaux, en compilant les autres journaux 
du jour ! Ces journalistes feraient mieux d'écrire sur les scandales locaux. 
Nous aussi, nous avons des chroniqueurs en Grande-Bretagne, mais il me semble 
qu'il s'agit davantage d'informer les lecteurs que de chercher à impressionner 
les profs d'université... Vous avez publié un livre sur Mitterrand en 1995, était-ce si difficile 
d'enquêter sur lui ? En 1994, j'ai décidé d'aller faire une enquête sur Mitterrand dans la Nièvre. 
Là-bas, tout le monde savait tout , depuis 1946  dès sa première campagne 
législative dans le département , sur ses relations avec Bousquet, sur son 
antimarxisme, la francisque... Aux archives départementales, il y avait ses 
«professions de foi» de candidat à la députation. Tout. N'importe quel 
journaliste aurait très tôt pu y trouver les «vraies» informations. En fait, sur 
Mitterrand, le Canard enchaîné a fait sortir ce qu'il fallait, 
l'Humanité aussi. Mais ça n'a pas été repris. Pas plus que les 
informations sur sa maladie révélées dès 1981 par Paris-Match. Les 
journalistes français ont vraiment été très complices avec lui. Il a fallu 
attendre la fin de sa vie, et notamment le livre de Pierre Péan en 1994, pour 
que ça sorte. Mais c'était trop tard. J'en suis encore surpris. En 
Grande-Bretagne, dès qu'il a été question que Tony Blair devienne Premier 
ministre, sa circonscription a été passée au peigne fin. Vos journalistes politiques seraient donc tout beaux tout roses ? Nous avons des journalistes qui suivent le Parlement, le lobby. Ceux-là sont 
de vrais godillots, vivent là en permanence, pratiquent le off... On les 
critique beaucoup. Franchement, c'est honteux d'être lèche-cul avec des hommes 
politiques. Je dois cependant admettre que, chez nous, la plupart des journaux 
appartiennent à des industriels de droite, comme Rupert Murdoch par exemple. Et 
je ne peux en tout cas que déplorer le fait que les hommes politiques contrôlent 
de mieux en mieux l'information, en multipliant les conférences de presse 
notamment. En distillant des informations que l'on attribue ensuite à des 
«sources bien informées». Petit jeu qui leur permet de faire passer des 
messages, qu'ils peuvent ensuite démentir.