• LE MONDE | 11.01.03 | 13h48 L'éditorial du
Monde La mort de près CEUX QUI ONT VU la mort de près, dit-on, portent un autre regard sur la vie. Il en va de même, visiblement, pour ceux qui se penchent de très près sur la mort administrée comme châtiment, un moyen punitif encore en vogue dans une bonne partie du monde, dont les Etats-Unis : plus ils regardent comment la peine de mort est appliquée, moins ils y sont favorables. C'est le cas de George Ryan, gouverneur de l'Illinois. Républicain, il était partisan de la peine capitale lorsqu'il a été élu il y a quatre ans. Puis le Chicago Tribune a publié une longue et remarquable enquête sur les failles de la peine de mort en Illinois, démontrant comment treize condamnés à mort avaient pu être libérés – grâce au travail d'étudiants, pour certains – après avoir été injustement condamnés. Ebranlé, M. Ryan a suspendu les exécutions. Puis il a créé une commission d'enquête, qui a recommandé de profondes réformes. M. Ryan quitte aujourd'hui ses fonctions en graciant quatre condamnés à mort et en déclarant : "Si notre système ne marche pas, alors mieux vaut ne pas avoir de système." Le gouverneur Ryan n'est pas le seul à avoir changé d'avis sur la peine de mort. L'un des quatorze membres de sa commission, Scott Turow, vient de raconter dans le New Yorkercomment, au début de leurs travaux, seuls quatre membres étaient opposés à la peine de mort. Il n'était pas de ceux-là. Deux ans plus tard, lors d'un vote informel proposé par l'un des participants, la majorité avait basculé. Scott Turow aussi avait changé d'avis. Le Mondea évoqué dans ses colonnes d'autres exemples d'évolution sur la peine de mort aux Etats-Unis : l'ambassadeur Felix Rohatyn, la journaliste texane Michelle Lyons. Pour la première fois depuis 1973, le nombre de condamnés à mort américains a diminué en 2001, signe d'interrogations croissantes dans les prétoires. Le mouvement pro-abolitionniste emprunte outre-Atlantique des voies différentes de celles qu'a connues l'Europe. Les droits des victimes sont plus puissamment protégés en Amérique, le concept d'ordre moral – le châtiment suprême pour le mal suprême – y est plus fort, l'héritage de la violence plus lourd. Le cheminement est donc plus tortueux. On aurait pu craindre que le climat sécuritaire issu des attentats du 11 septembre 2001, allié au poids d'un attorney general très conservateur, John Ashcroft, militant de la ligne dure, dans l'administration Bush, n'entraîne une pause dans le débat sur la peine de mort. A l'évidence, cela ne s'est pas produit : le formidable élan fourni par la vague de révélations d'erreurs judiciaires et les questions morales qu'elles posent est irrésistible. Il faut donc saluer tous ceux, avocats, juristes, chercheurs, travailleurs sociaux, journalistes, universitaires et étudiants, qui ont fourni la principale impulsion au débat en exposant les erreurs judiciaires. Et les écouter lorsqu'ils nous invitent à examiner, nous aussi, de près, en France et en Europe, nos systèmes judiciaires et nos prisons. |
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