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• LE MONDE | 04.02.03 | 13h01

Jean-Jacques Aillagon, ministre de la culture et de la communication

"Pourquoi diaboliser d'éventuels partenariats avec le secteur privé ?"
Pour le ministre, il faut que France 3 "puisse s'ouvrir" à une collaboration avec la presse régionale et les collectivités locales.

Cet entretien a été relu et amendé par Jean-Jacques Aillagon.

Au cours des derniers mois, le sort de la télévision numérique terrestre (TNT) a paru incertain. Où en est aujourd'hui ce projet ?

Le projet avance, et je suis convaincu que ce sera une réussite. La technologie numérique se développe déjà via le câble et le satellite. Le numérique hertzien s'imposera à son tour. Ce que j'avais mis en doute au cours du débat de l'année 2002, c'était la vraisemblance des annonces sur le calendrier de la mise en œuvre de la TNT. C'est la raison pour laquelle j'ai proposé au premier ministre qu'une mission d'étude soit confiée à Michel Boyon. Son rapport nous restitue un calendrier crédible et nous indique quelles dispositions juridiques, techniques ou économiques doivent être mises en œuvre pour assurer à la TNT une véritable faisabilité.

Les chaînes sélectionnées par le Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) sont aujourd'hui connues. Cela clarifie la donne car nous savons ce que sera le paysage de la TNT. Nous attendons dans les prochains jours le deuxième rapport Boyon, qui sera, lui, plus technique. Nous avons pris le parti de tout mettre en œuvre pour que la TNT puisse être une réalité, vraisemblablement en 2005.

Comment assurer la bonne réception des programmes diffusés par la TNT ?

Il faut naturellement tout faire pour que la TNT puisse, le moment venu, être accessible au plus grand nombre de Français. La desserte d'une portion aussi large que possible de la population est un objectif à la fois de démocratie et de réalisme économique. Le calendrier dépend des décisions d'investissements privés, mais l'horizon fixé par le rapport Boyon est une couverture de 50 % des foyers français en 2005 et de 80 % en 2008. Une solution devra être trouvée pour les 20 % restants.

Où en est la réflexion sur la création de trois chaînes publiques pour la télévision numérique terrestre ?

La création de nouvelles chaînes ne doit pas être un objectif prioritaire pour France Télévisions. Aujourd'hui, la priorité, c'est l'approfondissement des missions de service public sur France 2, France 3 et France 5. C'est ce qui motive la révision du contrat d'objectifs et de moyens. Sortir de cet objectif aujourd'hui constituerait un facteur de distraction. Par ailleurs, ce serait une charge annuelle supplémentaire de quelque 150 millions d'euros, sans parler de l'investissement initial.

Je préfère m'interroger, avec le président de France Télévisions, Marc Tessier, sur la mobilisation de moyens pour améliorer la qualité des programmes existants, à la lumière du rapport de Catherine Clément et, sur un autre plan, du rapport Charpillon. Cela ne veut pas dire pour autant que l'Etat renonce aux trois fréquences de la TNT qu'il a préemptées.

Quelles options de programmation étudiez-vous pour l'audiovisuel public sur ces trois canaux ?

Il existe de nombreuses possibilités avec les chaînes publiques déjà existantes. On peut notamment réfléchir à la diffusion en hertzien de l'une ou l'autre des chaînes thématiques dont France Télévisions détient une partie du capital, Histoire, par exemple. Mais cela obligerait à revoir le statut de ces chaînes, aujourd'hui privées, car les trois canaux préemptés ne peuvent être affectés qu'à des chaînes de service public. Vous savez également que le gouvernement réfléchit à la création d'une chaîne internationale d'information. Quand cette dernière verra le jour, il est évident qu'elle devra aussi être diffusée en France et donc trouver sa place sur la TNT.

L'idée de créer une chaîne pour la jeunesse est-elle toujours d'actualité ?

L'approfondissement des missions de service public sur les chaînes existantes est aujourd'hui, je vous l'ai dit, la priorité. Néanmoins, si une création de chaîne devait à terme être envisagée, un projet pour la jeunesse et pour les enfants me paraîtrait en effet une hypothèse séduisante et utile. Elle correspondrait de façon sensible à ce que peut apporter un service public de la télévision.

Pourquoi avoir fait des déclarations critiques sur le service public de la télévision à votre arrivée rue de Valois ?

Je tenais tout simplement à dire que la télévision de service public, pour être totalement légitime, doit honorer les missions spécifiques que la nation lui a confiées. J'ai le sentiment que le débat a été utile. C'était mon devoir de le lancer.

Au cours des six derniers mois, j'ai noté que des initiatives ont été prises par les responsables de France Télévisions pour amarrer de façon plus marquée leurs chaînes à des objectifs prioritaires de service public. A chaque fois, je leur ai adressé, ainsi qu'à leurs équipes, mes félicitations et ma gratitude.

Aujourd'hui, nous travaillons dans cet esprit à la révision du contrat d'objectifs et de moyens, exercice qui se passe dans des conditions sereines et confiantes, et je le crois avec une très grande convergence de points de vue.

Quelle direction prenez-vous pour la révision du contrat d'objectifs et de moyens de France Télévisions ?

Je vois aujourd'hui trois grands objectifs : l'approfondissement des programmes, la prise en compte par France Télévisions des besoins spécifiques de certaines populations comme, par exemple, les malentendants, et la décentralisation et l'accentuation des missions régionales de France 3.

L'approfondissement des programmes passera notamment par trois axes : l'information, les œuvres cinématographiques, la fiction et le documentaire, et enfin la place de la culture. Je me félicite de ce que le budget de France Télévisions qui vient d'être voté permette déjà d'affecter des moyens importants à ces priorités. Sur le dernier point, le rapport de Catherine Clément fournit à France Télévisions et au ministère une base de propositions passionnante.

Quel cadre envisagez-vous pour la décentralisation appliquée à France Télévisions ?

Alors que l'Etat engage le chantier de la décentralisation, il faut que France 3 s'interroge sur la façon d'améliorer sa capacité à diffuser dans les régions des programmes mieux ancrés dans leur réalité locale et adaptés à l'attente des populations concernées. Par exemple des émissions qui permettraient aux cultures régionales de mieux s'exprimer.

Des partenariats avec des collectivités territoriales ou d'autres partenaires locaux peuvent être envisagés. C'est pour France 3 une perspective de grand avenir. Je suis persuadé qu'il y a la place pour une telle démarche à côté d'initiatives privées, souvent exemplaires, que le gouvernement souhaite également encourager.

Cette logique d'association locale ne risque-t-elle pas d'entraîner une semi-privatisation de France 3 ?

Non, ce n'est vraiment pas mon objectif. Il ne s'agit ni de privatiser France 3 ni de la faire exploser en de multiples sociétés locales sans ciment fédérateur.

Mais la pire des choses serait que France 3 se retrouve marginalisée et que, le désir de télévision locale augmentant, tous ses partenaires, notamment la presse quotidienne régionale et les collectivités locales, s'orientent systématiquement vers des initiatives autres.

Par ailleurs, pourquoi diaboliser d'éventuels partenariats avec le secteur privé ? Je crois qu'il faut oser faire en sorte qu'un service public national - et France 3 relève du service public national - puisse s'ouvrir à des partenariats locaux, dans des formes juridiques à définir, respectueuses du statut des personnels, et des objectifs de service public national.

En matière de financement du service public, comment améliorer le dispositif en place ?

Je suis pour un financement du service public pérenne et spécifique, à l'abri des aléas de la gestion budgétaire. Par ailleurs, j'observe qu'il y a un bon équilibre entre le financement public et les recettes publicitaires et qu'il n'y a pas lieu de le modifier.

Pour ma part, je considère que l'amélioration du rendement de la redevance doit être notre priorité. Je suis frappé par l'importance de la fraude. Selon certaines sources, elle représenterait l'équivalent du montant cumulé des budgets d'achat annuels de films et de documentaires des trois chaînes publiques réunies. Par ailleurs, je note la mauvaise presse de la redevance aux yeux de nos concitoyens. Cela justifie un effort d'explication auprès des Français.

Quel regard portez-vous sur l'affrontement entre Canal+ et TPS sur les droits de retransmission du football ?

Il ne faut pas que la conquête des droits sportifs tourne à une guerre de Troie, dont les deux effets seraient une déstabilisation des participants et une fragilisation du monde de la création en France, notamment du cinéma. J'appelle les différents protagonistes à la raison et au dialogue.

Propos recueillis par Bénédicte Mathieu et Bertrand d'Armagnac


Le dossier complexe de "CNN à la française"

Selon le ministre de la culture et de la communication, le projet de chaîne d'information internationale est une équation "extrêmement complexe". Sur ce dossier, l'équipe de Jean-Jacques Aillagon doit travailler avec le ministère des affaires étrangères, qui a traditionnellement la main sur l'audiovisuel extérieur, qu'il finance. Le souci du gouvernement est, sur ce projet, de s'adresser au monde entier et pas seulement aux Français expatriés, d'où la nécessité de diffuser des programmes francophones et dans les principales langues régionales. Autre donnée délicate, la recherche d'un "compromis entre les points de vue de notre pays sur les affaires du monde et une parfaite liberté rédactionnelle de la chaîne". Le gouvernement doit également décider qui sera l'opérateur de ce "CNN à la française". Pour M. Aillagon, en l'absence de " proposition construite" du secteur privé, "la meilleure solution serait l'amarrage à France Télévisions, (...) quitte à mobiliser les réseaux de correspondants de RFI et de l'Agence France-Presse".

• ARTICLE PARU DANS L'EDITION DU 05.02.03

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