Publié sur 01 Net en janvier
2003 (la version publiée peut présenter de légères différences avec l'article ci-dessous) Gillette : le rasoir qui espionne de prèsEn début de mois, la société Gillette annonçait que 500 millions de rasoirs de sa gamme Match 3 allaient incorporer des micro composants capables d'émettre des données et d'identifier individuellement chaque produit. Les défenseurs de la vie privée en frémissent déjà. L’enjeu pour les fabricants et les distributeurs est d’optimiser la traçabilité des produits avec une finesse inégalée, depuis la fabrication jusqu’à la vente au consommateur final. Grâce à ces étiquettes électroniques et à une nouvelle génération de présentoirs, la technologie " alertera automatiquement les responsables du magasin quand le stock deviendra insuffisant ou lorsque des produits seront volés, et permettra un réassort automatisé ", explique-t-on chez Gillette. CASPIAN, une association américaine de consommateurs défendant le respect de la vie privée face aux supermarchés, s’inquiète déjà de la généralisation de la technologie. Réagissant à l’annonce de Gillette, l’organisme redoute l’apparition probable " d’un vaste réseau global de récepteurs, placés dans les magasins, dans les aéroports ou sur les routes, et permettant l’identification et le traçage continuels de tous les produits que nous utilisons ". Il faut dire que ces tags, surnommées RFID (Radio Frequency IDentifiants), vont beaucoup plus loin que les traditionnels codes à barres que nous connaissons. D’abord, le taggage est presque indécelable à l’œil nu. Ces puces sont de la taille d’un grain de sable (de l’ordre de 100 microns de côté) et n’intègrent pas de batteries. Elles " répondent " à un signal radio, dans lequel elles puisent l’énergie nécessaire à leur propre émission. Contrairement aux codes-barres donc, les RFID sont des émetteurs-récepteurs, jouant leur rôle de façon omni-directionnelle à l’intérieur d’un périmètre donné. Enfin, et surtout, les RFID fournissent un identifiant unique à chaque produit (codé sur 64 bits), et non à une gamme de produits. Certes, la portée d'émission de chaque tag reste faible, de 3 à 5 mètres. Mais le fait d'acheter des produits susceptibles d'émettre des informations à l'insu du consommateur soulève des interrogations légitimes... Le vice Président de Gillette indiquait d'ailleurs dans une interview que chacun pourra demander lors du passage en caisse que les composants soient désactivés avant de sortir du magasin. Mais des partisans du respect de la vie privée évoquent déjà des appareils individuels - qui restent à inventer - permettant à chaque consommateur de désactiver lui-même les RFID des produits qu'il achète... Même si l’expérimentation conduite par Gillette est une première mondiale à cette échelle, la technologie en question existe depuis quelques années. Elle a été mise au point au Centre Auto-ID, un laboratoire installé au sein du MIT, et financé par d’importants industriels, parmi lesquels Gillette, Procter et Gamble ou Philip Morris. Pour le fabricant de rasoirs, les tags seront produit par Alien Technology, qui trouve par le biais de ce contrat juteux un moyen d'initier une production de masse, avec pour conséquence la baisse du coût unitaire des puces. Les experts estiment que, produits à 500 millions d'exemplaires, les RFID reviennent à 25 cents pièce. Mais à partir de 10 milliards d'unités, ce prix pourrait baisser considérablement, et atteindre 5 cents par tag, un prix négligeable pour la plupart des produits sur lesquels ils pourraient être apposés. La majorité des produits que nous consommons, qu’il s’agisse de rasoirs, de denrées alimentaires, de médicaments ou de vêtements, pourraient donc bien se transformer très prochainement en espions potentiels... Cyril Fievet |