Les pathétiques misères faites au réseau par Martin Jouanneau On savait la Len, Loi sur l'économie numérique, dangereuse pour la démocratie ; en instituant une justice privée, et une censure a priori des contenus du réseau. Et voilà que le gouvernement et sa majorité parlementaire, assène un nouveau coup bas au réseau, en début de vote. Le texte assimile maintenant Internet à de la "communication audiovisuelle", et donc soumise à la régulation du CSA. Alors que le rapporteur même de la loi, Jean Dionis du Séjour, était contre cet amalgame, le gouvernement a fait maintenir le mélange des genres dans la loi, sous le prétexte de revenir sur cette question d'ici l'été 2003. Joutes verbales autour d'un lobby Pourtant de l'aveu du représentant du groupe UDF, la régulation du CSA n'est pas souhaitée, de "l'avis du CSA lui-même". Le groupe socialiste soutenait cette même distinction entre Internet et l'audiovisuel, lançant un retentissant "Pathétique !", à l'annonce de la reculade du rapporteur, qui s'alignait finalement sur la position du gouvernement. Pour expliquer sa défection et l'impossibilité de jeter les bases d'un droit spécifique au réseau, le rapporteur expliquait notamment : "En quinze jours d'auditions, j'ai pu constater que nous ne rassemblions pas tout le monde sur les fondements de ce droit Internet, et notamment pas l'industrie culturelle. Il faut donc nous donner le temps de convaincre ces acteurs-là." Les bancs du groupe socialiste se sont alors fait bruyant, avant de laisser le rapporteur conclure : "La loi LSI devrait vous inciter à plus de modestie..." Christian Paul, député socialiste, avait néanmoins le dernier mot : "Les mêmes lobbies étaient à l'oeuvre !" C'est donc bien pour le bon plaisir mêlée de frilosité du lobby de l'industrie culturelle (maisons de disques en tête), que le législateur ne peut pas sainement prendre en considération Internet. Une justice privée Le texte finalement adopté, dans une discussion menée au pas de charge par le rapporteur et la ministre de l'Industrie, revient donc sur la responsabilité des hébergeurs de contenu sur le réseau. La nouvelle injonction d'agir avec promptitude pour supprimer du réseau des données "à caractère illicite" est dorénavant inscrite dans la loi. La saisine d'un hébergeur par un tiers devient la règle, le recours à la justice l'exception. On peut craindre au regard de cette nouvelle loi que de nombreux hébergeurs auront du souci à se faire. Aucun d'eux n'a jamais demandé à exercer cette mission de basse justice, les contentieux les pousseront sans doute à censurer a priori, quitte à rétablir le contenu si son auteur apporte la preuve qu'il est dans son droit. Le législateur a, de plus, tenu à introduire un amendement visant à "imposer aux hébergeurs d'effectuer une surveillance, afin d'empêcher la diffusion d'informations faisant l'apologie des crimes de guerre ou des crimes contre l'humanité, incitant à la haine raciale ou ayant un caractère pédophile". On ne voit pas très bien quels sont les outils qui devront être mis en oeuvre par les fournisseurs d'hébergement pour mettre en place cette surveillance. Peu importe puisque le législateur affirme que ces outils existent. Et si on autorisait un peu le spam ? Décidément bien à l'écoute de certains lobbies, le gouvernement a tenu à modifier l'article instituant l'interdiction du spam. En gros, on n'aura effectivement pas le droit de polluer la boîte aux lettres d'une personne physique. Mais, sur la suggestion le l'Association pour le commerce et les services en ligne (Acsel), "la prospection directe par messagerie électronique, sans consentement préalable, est autorisée à destination des personnes morales inscrites au registre du commerce et des sociétés". Pour simplifier, on n'a pas le droit de spammer votre ordinateur personnel, mais au bureau, c'est autre chose. Précipité, le vote de la loi rebaptisée "loi pour la confiance dans l'économie numérique" est caractéristique de la manière dont nos gouvernants voient le réseau. La loi s'évertue à empêcher l'internaute de participer à la création de contenu, préférant voir en lui un consommateur passif, qui devrait subir sans broncher les coups de boutoirs des lobbies commerciaux. On a du mal à croire que le Sénat saisira l'opportunité de rectifier le tir, restera alors au Conseil constitutionnel la difficile tâche de sauver, une nouvelle fois, les professionnels et amateurs du réseau, sans doute las de tant d'incompétence de la part de leurs gouvernants. Le fer de lance de la mobilisation anti-Len http://www.odebi.org/ Le communiqué d'Acsel, quasi transposé dans la nouvelle loi http://www.acsel.asso.fr/acsel/actions/communiques/2003_fevrier.htm La discussion sur l'Internet "audiovisuel" http://www.assemblee-nat.fr/12/cra/2002-2003/148.asp L'amendement 173 à l'article 2 (surveillance par les hébergeurs) http://www.assemblee-nat.fr/12/cra/2002-2003/150.asp