
En 2001,
Le Monde
continue sa progression et son expansion…
Lemonde.fr, premier site français d'information… Le
redressement du groupe Midi libre se confirme…
Courrier international confirme son succès…
Le Monde 2, un pari réussi…
Qu'a dû penser le lecteur du quotidien
de référence en lisant ces énoncés triomphalistes? Pas grand-chose,
sans doute. Les pages 24 et 25 du Monde
daté des 26 et 27 mai 2002 relèvent de la communication d'entreprise
à destination des actionnaires, ou plutôt - ce qui est encore plus
important - de futurs actionnaires, puisque Le
Monde a annoncé à ce moment-là son intention d'entrer en
Bourse. Candidat à la cotation, Le Monde
doit donc en accepter les règles, dont la première est la
transparence de ses comptes. Le bilan du
Monde aurait donc dû être établi selon les normes financières
officielles, ce qu'il a omis de faire, surprenant sans doute la
célébrissime vigilance du directeur de la rédaction...
Nous avons sollicité l'un de ces
experts, reconnu sur la place de Paris et, de surcroît, lecteur
assidu du Monde. Ce spécialiste des
médias n'a formulé qu'une exigence: garder l'anonymat.
«Ça fait Enron!» Tel a été le premier
commentaire de l'homme de l'art. Il a enchaîné: «Quand vous
affirmez, comme le fait l'article, que le journal poursuit sa
progression et son expansion, à quoi pensent les analystes
financiers? Ils s'attendent à ce que les résultats progressent eux
aussi. Et là, patatras! Il y a des pertes importantes et un gros
endettement!»
Prenons Vivendi Universal. Messier a dit
que ses résultats de 2001 étaient formidables, mais qu'il y avait un
petit problème comptable… En réalité, le trou était déjà de 14
milliards d'euros! … De la même façon, quand le patron du Monde annonce dans son éditorial que "l'année
2001 a montré la capacité du Monde à
résister à la dégradation de son environnement économique et à
réagir avec succès après le choc du 11 septembre'', je comprends que
cette société, qui faisait des bénéfices en 2000, a bien résisté, et
que, malgré les difficultés, elle est encore bénéficiaire en 2001.
Or elle affiche de lourdes pertes!»
Il faut chercher pour trouver
l'information essentielle, qui concerne le résultat net consolidé.
Lequel est passé d'un bénéfice de 7,4 millions d'euros à une perte
de 13,1 millions d'euros, soit un écart de 20,5 millions d'euros. Ce
qui revient à dire qu'en une année les comptes se sont dégradés de
quelque 135 millions de francs! Ou bien, si l'on veut comparer avec
le passé, les pertes de 2001 ont pratiquement doublé par rapport aux
pertes dramatiques de l'exercice 1994, la dernière année de
l'ancien Monde.»
Ce qui me choque, poursuit l'analyste
financier, c'est que, dans sa rubrique économique, Le Monde exige des sociétés transparence et
rigueur; il engage même des investigations pour traquer la réalité
économique que cachent parfois les comptes de certaines entreprises
communiqués à leurs actionnaires. Eux qui donnent des leçons de
transparence financière s'en exonèrent totalement!»
Notre expert relève que le groupe
affiche un endettement de 80 millions d'euros, soit un demi-milliard
de francs. «La trésorerie s'est dégradée, elle doit être très
tendue. Ils ont investi 33 millions d'euros en 2001, l'année même où
ils ont fait plus de 13 millions de pertes. Par quel miracle ont-ils
financé leurs investissements? Par des emprunts et par des ORA
(obligations remboursables en actions). Le recours à ces ORA doit
signifier tout simplement qu'ils ne disposaient plus de crédits
bancaires et qu'ils ont emprunté auprès d'entreprises
amies…»
L'audit succinct de notre ami se clôt
par le souvenir d'un article du Monde du
14 mars 2002 - «Excellent!» - intitulé: «Trucs et astuces pour
présenter ses comptes» et sous-titré «Les sociétés multiplient les
méthodes pour afficher leur bilan au mieux de leurs intérêts». En
réalité, les deux pages qu'il a sous les yeux montrent que la
direction du groupe utilise ces mêmes astuces dénoncées par la
rubrique Economie du quotidien!
L'analyste financier enchaîne: «Le
patron du Monde met en œuvre des
pratiques qu'il a beaucoup reprochées à Jean-Marie Messier: il
communique au lieu d'informer et est ainsi très discret sur ce qui
intéresse le plus les lecteurs mais aussi les financiers, puisqu'il
représente la vraie valeur de l'entreprise: le journal Le Monde lui-même.» Ces conclusions
rejoignent le souci du comité d'entreprise du
Monde. Le 26 juin 2001, l'expert-comptable que celui-ci avait
mandaté relevait déjà que «le niveau actuel d'endettement atteint un
plafond qui ne saurait être dépassé. Il faut donc trouver de
nouveaux capitaux».
Le groupe Le
Monde, estime Colombani, doit trouver, en dehors du Midi libre, d'autres filiales
«tiroirs-caisses» pour subventionner la maison
Monde, structurellement déficitaire. Le rachat du groupe PVC
(Publications de la Vie catholique) obéit a cette stratégie. Mais,
si la liberté de Rome repose sur l'asservissement de ses provinces,
ces dernières doivent rester dans l'ignorance de cet état de
fait.
Alors que l'équilibre était prévu à la
fin du premier semestre 2002, celui-ci se termine pour la maison
mère, c'est-à-dire pour le quotidien, par une perte d'exploitation
d'environ 2 millions d'euros. Et, trois mois plus tard, le 1er
octobre 2002, Colombani adresse une lettre à l'ensemble du personnel
pour lui faire part de la grave dégradation de la situation
économique et financière de l'entreprise, à la suite, écrit-il,
d'une «conjoncture qui s'est fortement dégradée». La lettre annonce
des mesures drastiques pour «abaisser le point d'équilibre de la
maison Monde, et réduire nos coûts de
fonctionnement, à périmètre constant, de 10% sur trois ans, dont 5%
dès 2003». Le 7 janvier dernier, Jean-Marie Colombani a annoncé des
pertes d'environ 3 millions d'euros pour le groupe Le Monde. Selon
des sources internes, cette présentation enjolive énormément la
situation: en fait, c'est le résultat brut d'exploitation qui se
monte à - 3,2 millions d'euros. Le résultat net, lui, qui mesure la
rentabilité réelle de la société, s'élève à - 12,1 millions d'euros,
soit - 80,6 millions de francs. Cette médiocre performance prend
notamment en compte les pertes exceptionnelles (4,6 millions
d'euros), et les frais financiers (3,6).
Ainsi, le groupe Le Monde a enregistré
en deux ans des pertes dépassant 25 millions d'euros, soit 167
millions de francs! Jamais, depuis sa création,
Le Monde n'a vécu de telles affres financières. Notre
analyste ne savait pas plus qu'au moment de l'achat du Midi libre la direction du Monde s'était engagée à l'égard de son
banquier, la BNP, à ne pas dépasser un ratio d'endettement de 20%.
Une fois la ligne jaune franchie, au printemps 2002, la BNP a refusé
de consentir un nouveau prêt pour passer ce cap difficile. Un refus
qui suivait les résultats d'une consultation officieuse demandée à
la COB par la direction du quotidien et visant à savoir comment elle
réagirait à une introduction en Bourse: «Ne faites pas cette
opération, car on donnerait un avis négatif.»
Enfin - c'est sans doute le point le
plus important - ces manipulations ont créé un véritable rideau de
fumée autour de la diffusion, qui est pourtant, lorsqu'on les
interroge, le principal argument avancé par les avocats de la
direction du
Monde pour défendre la
stratégie de Jean-Marie Colombani et Edwy Plenel. Car le traitement
des «affaires», l'angle people de la Une, les «coups» et scandales
mis en avant par le marketing du nouveau
Monde n'y ont rien fait: les ventes journalières au numéro -
kiosques, maisons de la presse et autres boutiques - qui constituent
le véritable thermomètre de la santé d'un quotidien, n'ont cessé de
baisser depuis 1995. «En cinq ans, nous pourrions remplir le Parc
des Princes avec nos nouveaux lecteurs», s'est vanté un jour
Jean-Marie Colombani. En l'an I du nouveau
Monde, 236 133 lecteurs achetaient tous les jours en kiosque
le journal de Colombani et Plenel. Ils n'étaient plus que 213 014 en
2001, soit quelque 23 000 en moins, grosso modo, soit la moitié du
Parc des Princes. Et encore, les gradins du stade des lecteurs
disparus auraient pu être encore beaucoup plus remplis… sans la
tragédie du 11 septembre!
