Lemonde.fr


• LE MONDE | 21.02.03 | 13h22

• MIS A JOUR LE 21.02.03 | 13h33


Les régions veulent nouer des liens plus étroits avec France 3
Gouvernement, salariés et élus s'accordent pour souhaiter un développement des programmes locaux. En revanche, une éventuelle entrée des collectivités dans le capital de la chaîne publique lance un débat sur son indépendance éditoriale.

La chaîne des régions va devoir s'essayer, dans les prochains mois, à un délicat numéro de funambule. A l'heure où le gouvernement s'apprête à transférer de nouvelles compétences aux collectivités régionales, France 3 se trouve confrontée aux demandes des élus, qui réclament une plus grande place pour les programmes régionaux sur sa grille."Il est contradictoire de vouloir régionaliser les institutions sans vouloir donner aux régions une meilleure visibilité dans la vie médiatique", s'insurge Adrien Zeller, président (UMP) de la région Alsace. Le ministre de la culture, Jean-Jacques Aillagon, suit la même direction. Dans Le Monde daté 2 février, il expliquait ainsi qu'il faudrait "que France 3 s'interroge sur la façon d'améliorer sa capacité à diffuser dans les régions des programmes mieux ancrés dans leur réalité locale".

Pour bon nombre de présidents de région, c'est le manque d'informations locales – disponibles sur seulement deux tranches horaires, à midi et le soir – qui pèche sur la chaîne. Ils demandent d'inverser la proportion des programmes, aujourd'hui majoritairement nationaux, au profit des émissions régionales. "Nous explorons des pistes avec M. Aillagon", confirme Rémy Pflimlin, directeur général de France 3.

"L'ÉCHÉANCE DE LA TNT"

Pour France 3, l'intérêt des régions pour l'audiovisuel représente une opportunité. Grâce à de nouveaux partenariats financiers, la chaîne pourrait élargir son offre de programmes locaux – pièces de théâtre en langues régionales, émissions culturelles locales, événements sportifs ou exceptionnels, et, bien sûr, information –, accroissant ainsi la proximité avec les téléspectateurs que lui impose son cahier des charges. Ces soutiens viendraient compenser le sérieux coup de frein qu'a mis le gouvernement à la télévision numérique terrestre (TNT), reportée au plus tôt en 2005. La TNT devait compter huit chaînes de télévision numérique régionales (TNR), diffusées sur huit bassins de population. Ce report a privé France Télévisions d'une partie de l'apport exceptionnel de l'Etat, qui devait s'élever à 152 millions d'euros."Pour nous, ces partenariats sont une façon de nous renforcer et d'être prêts quand l'échéance de la TNT arrivera", note M. Pflimlin.

Des collaborations ont déjà été lancées. Ainsi, en juin 2002, la région Aquitaine et France 3 ont signé un accord de partenariat qui prévoit que la région injectera les "investissements nécessaires" pour permettre à France 3 de développer "les contenus d'une nouvelle télévision numérique régionale".

Certaines régions proposent d'aller plus loin. Dans un rapport, remis en janvier, M. Zeller milite pour le transfert du centre de décision de la chaîne de Paris aux régions en échange d'une participation au capital.

Pour Jacques Blanc, président (UMP) de la région Languedoc-Roussillon, "il faut que l'on s'habitue dans ce pays à ce qu'il y ait un service public de l'audiovisuel qui soit régional, surtout quand le national n'assure pas ses missions". Depuis longtemps favorable à la création d'une "structure régionale autonome pour chaque rédaction de France 3", il propose que son "capital soit composé de fonds de l'Etat et de crédit de la région".

A France 3, certains craignent qu'à l'occasion de cette ouverture aux régions le gouvernement ne soit tenté de se délester du poids financier de la chaîne sur les collectivités locales. Et ce malgré les assurances de M. Aillagon, hostile à toute privatisation de la chaîne.

PARTICULIÈREMENT DÉLICAT

Dossier particulièrement délicat dans ces réflexions : l'information. Parce qu'elle compose une bonne partie des programmes régionaux de France 3, des journalistes – ils sont plus de 1 300 sur 4 500 salariés au sein de la chaîne – s'inquiètent du poids que pourrait faire jouer cette conception d'une régionalisation "musclée" sur leur indépendance. Ces interrogations surgissent quelques semaines à peine après une longue grève, dont l'une des principales revendications était la sauvegarde et l'indépendance du service public.

S'il juge "rabougrie" la couverture de l'actualité régionale sur France 3, Martin Malvy, président (PS) de la région Midi-Pyrénées, n'est pas pour autant d'accord avec la solution préconisée par M. Zeller ou M. Blanc de "régionaliser" la chaîne publique. Selon lui, c'est à l'Etat de trouver les solutions. Pour Alain Rousset, président (PS) de la région Aquitaine, "il ne faudrait pas que l'intervention des régions donne l'impression, au moment où l'information régionale se développe, que l'on cherche à faire de France 3 une chaîne partisane".

"Je n'ai aucune crainte à ce sujet, répond M. Pflimlin. Il y a vingt ans, les pessimistes disaient que la publicité allait asservir la télévision publique, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui. France 3 est constituée de professionnels, qui sont partout garants de l'indépendance de la chaîne. Si l'indépendance était perdue, la confiance du public s'étiolerait."

Pour préserver son autonomie à l'égard des pouvoirs locaux, France 3 pourrait également profiter de l'éventuelle ouverture de la télévision à la publicité provenant de certains secteurs qui en sont aujourd'hui interdits (grandes surfaces, édition, presse, cinéma). Cette demande a été faite par Bruxelles au gouvernement français. Cela permettrait à la chaîne d'engranger des recettes publicitaires plus importantes lors de ses décrochages régionaux. La France devrait prendre une première décision, au printemps, en autorisant la publicité pour la presse à la télévision (Le Mondedu 20 février).

Outre les partenariats publics, France 3 cherche à se lier avec la presse quotidienne régionale (PQR). Celle-ci tire de nombreuses ressources publicitaires des grandes surfaces, et craint qu'un éventuel accès aux spots télévisés ne grève ses bénéfices. Elle se tourne donc peu à peu vers l'audiovisuel pour "récupérer" à l'écran les publicités perdues dans ses pages.

Si le gouvernement doit relayer ce mouvement, en prenant lui-même la décision de donner une meilleure place à l'information régionale, il lui reste à trouver un modus vivendi entre tous les protagonistes publics et privés. Tout en préservant l'indépendance de France 3.

Béatrice Jérôme et Bénédicte Mathieu

• ARTICLE PARU DANS L'EDITION DU 22.02.03

Droits de reproduction et de diffusion réservés © Le Monde 2003
Usage strictement personnel. L'utilisateur du site reconnaît avoir pris connaissance de la licence de droits d'usage, en accepter et en respecter les dispositions.
Politique de confidentialité du site.
Besoin d'aide ? faq.lemonde.fr