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• LE MONDE | 15.02.03 | 12h33

par Eric Le Boucher

L'autre revers de George W. Bush
CHRONIQUE DE L'ÉCONOMIE

George w. bush a subi un autre revers cette semaine, cette fois sur le front intérieur. Alan Greenspan, le prestigieux président de la Réserve fédérale depuis quinze ans, a critiqué sa politique économique avec sa manière douce radicale. Les propos du président de la Fed sont très ennuyeux pour le président Bush, d'une part parce qu'ils peuvent convaincre des hésitants dans les rangs des élus républicains de refuser le vote du budget en l'état, d'autre part, et plus lourdement, parce qu'ils annoncent une rupture du pacte fondamental qui a été au cœur de la forte croissance américaine dans la décennie 1990. La politique budgétaire vertueuse de Bill Clinton avait permis à la banque centrale de maintenir une politique monétaire pro-active, à l'inverse de ce qui se passe en Europe où, parce qu'elle juge les déficits publics trop lourds, la BCE laisse ses taux à un niveau élevé.

Si cette rupture est bien consommée, alors les marchés financiers peuvent se mettre à douter de la durabilité et de l'ampleur de la reprise économique, et Bush Junior peut s'inquiéter de sa réélection dans deux ans. Comme son père, il tomberait sur l'économie.

Qu'a dit Alan Greenspan ? D'abord que le faramineux plan de relance de "la croissance et l'emploi" de 1 500 milliards de dollars que propose Bush est peut-être inutile. La guerre éventuelle contre l'Irak bouche tellement l'horizon qu'il est impossible de savoir si l'économie va repartir d'elle-même lorsque la paix sera revenue ou si, au contraire, elle va rester en léthargie. Dans la première hypothèse, à laquelle se rallie plutôt Greenspan, verser des milliards dans la machine est superfétatoire voire dangereux si cela conduit à la surchauffe. Mieux vaut donc attendre que les armes se soient tues avant de dépenser l'argent public.

Ensuite, a dit le président de la Fed, le projet de budget présente un déficit de 3 % du PIB, trop élevé. Le fond du plan Bush n'est pas en cause : M.Greenspan ne critique pas la suppression de la double taxation des dividendes versés par les entreprises à leurs actionnaires comme le font les démocrates en expliquant que cette mesure ne va bénéficier qu'aux riches. Pour la Fed, cette détaxation est utile pour simplifier la fiscalité et pour améliorer le fonctionnement de long terme de l'économie. Selon les calculs de la Maison Blanche les baisses d'impôts promises au total par Bush (3 000 milliards de dollars) donneraient du muscle aux gains de productivité et feraient passer le potentiel de croissance de 3 à 3,5 %. Fort bien, dit Greenspan, mais à la condition de faire des mesures d'économie budgétaire par ailleurs de façon à ce que les baisses d'impôts soient budgétairement "neutres".

Nous sommes revenus à l'ère Reagan de mélange d'une politique de l'offre (recul de l'Etat social) et d'un déficit keynésien qui risque d'avoir un double effet négatif, selon la Fed : d'abord relever les taux d'intérêt et donc annuler les bénéfices d'une baisse des taxes et, ensuite, faire planer le doute chez les ménages d'un relèvement futur des impôts pour éponger les dettes. C'est là le message le plus original des propos du président de la Fed : le départ proche à la retraite des enfants du baby-boom doit nous amener à réviser de fond en comble, et pour longtemps, les grands équilibres financiers entre l'impôt, la sécurité sociale et la retraite. Car les baisses d'impôts actuelles signifient des hausses futures à un moment où les dépenses de santé et le besoin d'épargne vont peser lourdement dans les comptes des nombreux ménages quinquagénaires. La consommation risque alors de s'atrophier durablement.

L'avertissement vaut bien entendu au-delà des Etats-Unis, et en particulier pour la France chiraquienne, elle aussi coupable de lourds déficits à cause de semblables promesses fiscales non financées par des économies. Chirac et Bush se séparent sur la politique étrangère. Sur la politique économique, ils se ressemblent pour nous préparer un désastre budgétaire.

Eric Le Boucher

• ARTICLE PARU DANS L'EDITION DU 16.02.03

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