Publié sur 01 Net en novembre
2002 (la version publiée peut présenter de légères différences avec l'article ci-dessous) TIA : le pentagone vise le contrôle total de l'informationLe Pentagone a initié un vaste projet de surveillance et de contrôle de l'information. Les organismes de défense des libertés individuelles montent au créneau, sur un dossier qui sent la poudre. Le système TIA, pour "Total Information Awareness" (Connaissance Totale de l'Information) est sans doute le plus ambitieux des programmes de surveillance imaginés aux Etats-Unis. Doté d'un budget de 245 millions de dollars sur trois ans, le projet est conduit par l'un des bureaux de la DARPA, l'Agence de recherche de la Défense américaine. Présenté comme un moyen innovant de lutte anti-terroriste, il vise à combiner de multiples données, issues de la surveillance étendue de l'ensemble des moyens de communication, pour détecter, via des dispositifs d'analyse sémantique intelligents et automatisés, des comportements suspects. Largement plus puissant et plus étendu que Echelon, le fameux programme d'écoute des échanges numériques, TIA se propose de tracer les appels téléphoniques ou les emails aussi bien que l'utilisation des cartes de crédit, tout en couplant ces informations avec de multiples autres bases de données personnelles, parmi lesquels les registres médicaux (et même vétérinaires) ou le suivi des déplacements (voyages, utilisation des transports...). Mais, comme si la nature orwéllienne de ce projet ne paraissait pas suffisante, l'inquiétude qu'il suscite outre-atlantique doit beaucoup à la personnalité de l'homme qui en a la charge, John Poindexter. Amiral et personnage clé du contre espionnage états-unien, Poindexter est l'ancien conseiller à la sécurité nationale de Ronald Reagan. Largement impliqué dans plusieurs scandales au cours des années 1980 (notamment l'Irangate, puis l'affaire des Contras, tous deux portant sur des ventes d'armes illicites et autres trafics de drogue), il fut reconnu coupable de cinq chefs d'accusation. Parmi ceux-ci, le faux témoignage lors des auditions menées par le Congrès mais aussi la destruction de plusieurs milliers d'emails prouvant son implication dans les scandales. Ironie du sort, ces messages, dûment enregistrés par les services de surveillance de l'époque, n'ont en réalité pas été détruits, et sont aujourd'hui consultables publiquement... Sans véritable raison apparente, Poindexter n'a pas été poursuivi et beaucoup s'étonnent aujourd'hui de voir ce personnage controversé à la tête d'un projet aussi sensible. Un sénateur, pourtant républicain, a d'ailleurs officiellement demandé vendredi dernier au Département de la Défense l'examen du projet et les modalités du recrutement de Poindexter, tandis qu'un autre sénateur - démocrate - exigeait mardi le remplacement pur et simple de l'amiral. Au total, le projet TIA a d'ailleurs initié une vaste campagne de rejet. Les organisations de défense des libertés individuelles se mobilisent. L'ACLU (American Civil Liberties Union) lançait le 15 novembre une campagne destinée à contrer TIA, sur le thème "Stoppons le plan du gouvernement pour saper notre vie privée", incitant les internautes à s'impliquer pour faire barrage au projet. De son côté, l'EPIC (Electronic Privacy Information Center) tenait lundi dernier un meeting sur le sujet, destiné à informer - et surtout à alarmer sur l'ampleur potentielle du projet. Cyril Fievet |