Selon Pierre Péan et Philippe Cohen, Le Monde serait devenu, en 1995, "le journal de campagne d'Edouard Balladur". Leur affirmation repose sur quatre exemples.

Sondages.

Le premier concerne la publication, le 12 janvier 1995, d'un article de Jérôme Jaffré, alors directeur des études politiques de la Sofres, intitulé "Pour l'opinion, l'élection présidentielle est déjà jouée" et qui, sur la foi des sondages, fait d'Edouard Balladur "le grand favori de l'élection présidentielle". Sur les 576 articles d'information, de reportage, d'analyse et de commentaire publiés par Le Monde sur la campagne présidentielle entre le 1er janvier et le 23 avril 1995, MM. Péan et Cohen n'en retiennent donc qu'un seul, écrit par une personnalité extérieure à la rédaction. Ils occultent ainsi l'ensemble de la "couverture" de la campagne du Monde.

Pourtant, dès le 19 janvier, au lendemain de l'annonce de sa candidature, notre éditorial conclut : "L'adhésion que rencontre aujourd'hui M. Balladur a toutes les caractéristiques d'un choix par défaut. M. Balladur rassure. Saura-t-il convaincre ?" On ne peut citer ici tous les éditoriaux ou analyses distanciés, réservés ou critiques. L'article de Jean-Marie Colombani, à la veille du premier tour, en donne le ton général : "A Jacques Chirac revient le mérite d'avoir, sans relâche, posé le bon diagnostic : celui de la fracture sociale. (...) Edouard Balladur représente la garantie d'une gestion civilisée, sans heurt et sans surprise, conservatrice et raisonnable, (...) quitte à finir par faire croire qu'il se résigne à entériner un processus de dislocation sociale". Ajoutons, durant toute cette période, les dessins de Plantu à la "une" du journal, caustiques ou cruels pour un Edouard Balladur qui a retrouvé pour l'occasion sa chaise à porteurs, ballottée par un Charles Pasqua patibulaire.

Ecoutes.

Le second exemple invoqué par MM. Péan et Cohen est la publication, dans Le Monde daté 19-20 février 1995, de révélations sur le contenu des écoutes téléphoniques réalisées par la "cellule de l'Elysée" entre 1983 et 1986, et dont Edwy Plenel était l'une des victimes ; ce faisant, Le Monde se serait "prêté à une manipulation orchestrée par l'entourage de Charles Pasqua" pour éclipser l'affaire Schuller-Maréchal, très embarrassante pour M. Balladur et M. Pasqua. Or Le Monde a consacré des titres ou des manchettes de "une" à cette affaire les 1^er, 9, 10, 11, 15, 16, 21 et 22 février. Le 10 février, l'éditorial souligne que "les irrégularités constatées dans cette affaire sont telles qu'elles alimentent pour le moins le soupçon d'une machination conçue pour discréditer un magistrat trop curieux", et un article d'Edwy Plenel interpelle le premier ministre candidat sur la " dérive de l'Etat de droit".

GSI.

Le troisième "forfait" du Monde consisterait à avoir minimisé l'affaire des relations entre M. Balladur et la société GSI, dont il avait été salarié et actionnaire. Ne retenant que deux articles du 1^er et du 5-6 février, ils omettent de mentionner que Le Monde est revenu longuement sur cette affaire le 9 mars, puis le 10 mars, avec une manchette à la "une" et un éditorial intitulé "Le piège des affaires".

Port autonome de Paris.

Dernier exemple de son "balladurisme" supposé, Le Monde aurait porté un "coup bas contre Jacques Chirac avec l'affaire de la vente des terrains du port autonome de Paris", dont M. et Mme Chirac auraient tiré profit. Cette enquête a été publiée le 22 mars. Le 25 mars, Le Monde a apporté les précisions et démentis de l'ancien directeur et de l'ancien président du Port autonome.

Gérard Courtois