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• LE MONDE | 03.03.03 | 13h30


Le débat sur le rôle de la presse gagne les écoles de journalisme
Le CFJ remet en question ses programmes, l'ESJ a diversifié ses filières.

Les écoles de journalisme n'échappent pas au débat sur le rôle et le pouvoir des médias. La publication du livre de François Ruffin Les Petits Soldats du journalisme, qui raconte de manière très critique les méthodes d'enseignement du Centre de formation des journalistes (CFJ) à Paris, pose un certain nombre de questions sur l'offre des écoles et les nouvelles demandes des entreprises de presse. Un récit qui n'a pas manqué de susciter des réactions au sein du CFJ, l'une des plus anciennes institutions de la profession, créé en 1946.

Le forum de discussion du site Internet de l'école de la rue du Louvre a vite servi de lieu de débat entre les élèves. Ceux-ci ont décidé de publier, en réponse au livre de leur ex-condisciple, un texte qui a recueilli une cinquantaine de signatures. Un signataire s'explique : "Je ne me reconnais pas dans le portrait fait par François Ruffin. Pour moi, l'école n'est pas là pour nous donner un niveau culturel mais pour nous apprendre les techniques de base du métier". Un autre élève n'a pas voulu parapher le texte, sans pour autant faire sienne la thèse de l'ouvrage : "J'ai choisi cette école pour le prestige du diplôme et ses réseaux. Même si je garde mes distances vis-à-vis de son enseignement, j'ai l'impression de m'épanouir".

Très vindicative, une jeune future diplômée du CFJ se déclare, quant à elle, "déçue par l'école". Elle lui reproche par exemple l'accord signé avec l'Institut de l'entreprise, parrain d'une session consacrée à l'économie qui s'est terminée par un stage de dix jours dans un service de communication d'une entreprise. Michel Sarazin, directeur du CFJ, défend cet accord signé il y a deux ans : "Les services de communication prennent de plus en plus de poids. Ce seront leurs interlocuteurs, en particulier pour ceux qui choisiront le journalisme économique, autant qu'ils soient prévenus".

La diversité des opinions des élèves semble quelque peu battre en brèche la théorie de l'uniformisation des esprits, défendue par M. Ruffin. Piqués par les attaques, ils sont bien déterminés à prouver leur vigilance. Ceux qui ont choisi la spécialisation en presse écrite ont, par exemple, décidé de remettre en cause leur participation à un projet prévu de longue date : la réalisation d'un quotidien pendant deux semaines, à la demande du ministère de la défense, à l'occasion d'une réunion des élèves officiers français, en mars. "Il s'agit d'un quiproquo", déclare M. Sarazin, qui poursuit la négociation avec les étudiants.

En désaccord "avec les méthodes malhonnêtes" de son ex-élève devenu écrivain, le directeur de l'école s'inquiète de l'impact de l'ouvrage sur l'image de celle-ci et réfute la thèse selon laquelle "le CFJ ne serait plus qu'un moule à abrutir ses étudiants pour en faire une chair à canon docile pour médias tous méprisables". Mais il ne refuse pas le débat sur l'avenir et les missions des écoles de journalisme. "Nous avons décidé d'ouvrir, il y a un mois, un très grand chantier pour se demander à quoi ressemblera le CFJ dans dix ou quinze, annonce-t-il. Des groupes d'anciens élèves, un comité pédagogique paritaire vont se réunir pour en discuter".

Toutes les questions seront débattues, des critères de sélection au contenu de l'enseignement, en passant par la diversification des itinéraires, ou l'intégration dans le cursus universitaire LMD (Licence Master Doctorat). Beaucoup déplorent le manque de brassage social et culturel des élèves - recrutés le plus souvent à un niveau bac + 4, et diplômés surtout de Sciences-Po - et le modèle de formation calqué sur celui de la presse quotidienne. Le CFJ pourrait s'inspirer de l'exemple de l'autre grande institution, l'Ecole supérieure de journalisme (ESJ) de Lille.

"Les étudiants sont les premiers critiques de leur enseignement, affirme Loïc Hervouet, directeur général de l'ESJ. Nous nous efforçons de remettre en cause le rôle social du journaliste et demandons à nos élèves de ne pas devenir des professionnels de la profession. L'enseignement est toujours basé sur les mêmes principes du journalisme avec un haut niveau de culture générale et une exigence d'adaptation aux nouvelles technologies". Directeur exécutif de l'ESJ de 1996 à 1999, Didier Tourancheau reconnaît que le journalisme "est aujourd'hui une mise en scène de techniques où il faut avant tout prouver son talent d'écriture".

Depuis une dizaine d'années, l'ESJ a décidé de diversifier ses filières, qui n'obligent plus les étudiants à sortir de Sciences-Po pour être admis à l'école. Même si, dans les faits, les cinquante candidats qui, chaque année, intègrent l'ESJ arrivent avec une formation bac + 4, l'école de Lille est la seule à offrir une "troisième voie" à quelques élèves. Ainsi, la promotion 2003 compte un professeur en banlieue et un vendeur de produits informatiques qui ont choisi de se recycler.

Par ailleurs, quarante étudiants "bac + 2" peuvent intégrer une filière spécialisée formant des journalistes agricoles, scientifiques ou souhaitant travailler dans la presse hebdomadaire régionale (PHR). "Cette nouvelle offre, qui diversifie l'accès au journalisme, est un véritable ascenseur social", explique M. Hervouet. A Lille, chaque étudiant débourse 3 000 euros par an pour la filière générale, 2 000 euros pour la filière agricole et scientifique et 1 000 euros pour la filière PHR.

Ces réflexions s'accompagnent d'interrogations sur la situation financière de ces écoles privées. En dépôt de bilan en 1998, le Centre de formation et de perfectionnement des journalistes (CFPJ), qui abrite le CFJ, axé sur la formation initiale, et une activité de formation professionnelle, n'a dû son salut qu'à la mobilisation d'anciens élèves regroupés au sein de l'association CFJ-Demain. Il avait aussi augmenté ses droits d'inscription (3 000 euros), ce qui avait provoqué en 2002 une grève des étudiants.

Selon Christophe Poutier, administrateur du CFPJ, "nous avons atteint la rentabilité en 2002, mais nous avons cumulé un déficit de 3,8 millions d'euros et nous cherchons un financement équivalent auprès des entreprises de médias partenaires, de l'ensemble de la profession et des banques". De son côté, l'ESJ arrive plus ou moins à s'équilibrer financièrement après être sortie d'une mauvaise passe. Dotée d'un budget de 1,9 million d'euros, l'école a obtenu de quelques entreprises et institutions (FNAC, Fondation Varenne, Entreprises et cités) une souscription de "titres associatifs", consistant en un emprunt à long terme.

Laurence Girard et Daniel Psenny


Neuf établissements reconnus

Neuf écoles de journalisme françaises, publiques ou privées, sont reconnues par la profession à travers la convention collective des journalistes.

Ecoles privées : l'Ecole supérieure de journalisme de Lille (ESJ) ; le Centre de formation et de perfectionnement des journalistes (CFPJ) et l'Institut pratique de journalisme, situés à Paris.

Ecoles publiques : le Centre universitaire d'enseignement du journalisme (CUEJ) à Strasbourg, le Centre d'études littéraires et scientifiques appliquées (Celsa Paris-IV), l'Ecole de journalisme et de communication de Marseille, et les instituts universitaires de technologie (IUT) de Tours, Bordeaux et Toulouse.

35 270 cartes de presse ont été attribuées en 2002, dont 265 nouvelles cartes délivrées à des titulaires d'un diplôme reconnu, selon les chiffres fournis par la Commission de la carte d'identité des journalistes professionnels (CCIJP).

• ARTICLE PARU DANS L'EDITION DU 04.03.03

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