Société

Les médecins de M6 dénoncent une énorme injustice
Leur participation à une émission TV vivement critiquée.

Par Sandrine CABUT
jeudi 06 mars 2003

enacés de sanctions par leur conseil de l'Ordre, sous le feu des critiques de leurs confrères, les six médecins qui ont participé à la série d'émissions J'ai décidé de maigrir, dont la dernière est diffusée ce soir sur M6, ont bien du mal à digérer la «levée de boucliers». «Le président du conseil national de l'Ordre a parlé "d'émission abominable", celui de l'Ordre de Paris a employé le terme de "barbare", c'est disproportionné et outrancier, s'anime Jean Fabre, acupuncteur à Marseille. Et ce qui m'a le plus choqué, c'est le terme de charlatanisme accolé à l'acupuncture dans certains journaux. Je n'ai jamais dit que l'acupuncture faisait maigrir.» Comme ses cinq confrères , Jean Fabre a coaché à sa manière (1) ­ et bénévolement ­ une patiente qui souhaitait perdre du poids. Et dans chaque émission, il a été filmé en consultation avec elle, dans son cabinet.

Sanction. Il y a quinze jours, le Dr Fabre a été prévenu par son conseil départemental qu'il serait traduit devant les instances régionales pour violation des articles 19 et 20 du code de déontologie (relatifs à la publicité, ndlr). L'éventuelle sanction pourrait consister en un blâme, un avertissement ou une interdiction temporaire d'exercer. Il n'en revient toujours pas. «Nous sommes sérieux, courtois, et aucune de nos paroles ne discrédite la profession», affirme- t-il, en estimant que l'émission permet au contraire «de faire passer des messages de bon sens» et de faire mieux connaître l'acupuncture.

Surtout, il dit ne rechercher aucune publicité, et avoir la conscience tranquille sur le côté déontologie et secret médical, puisque «les discussions d'ordre privé ou vraiment médicales n'ont pas été filmées». Un avis partagé par Jean-Michel Cohen, nutritionniste dans les Hauts-de-Seine (dont le cas sera examiné par le conseil départemental de l'Ordre le 12 mars). «On voit de plus en plus de médecins en consultation sur toutes les chaînes, parfois dans des situations bien plus confidentielles que dans "J'ai décidé de maigrir"», ajoute-t-il.

Mais ce que le nutritionniste a surtout en travers de la gorge, c'est l'hypocrisie de l'instance ordinale. «Je n'ai signé mon contrat avec M6 que lorsque j'ai eu l'accord écrit du conseil départemental à qui j'avais exactement décrit ce que j'allais faire, insiste-t-il. Leur courrier précisait que les précautions que j'avais l'intention de prendre semblaient adaptées, et joignait une photocopie d'articles du code de déontologie. Et aujourd'hui, on m'accuse ? Je rêve.» En contact avec un avocat, il dit que même une sanction symbolique, il ne l'acceptera pas.

«Précautions». Du côté de M6, on affirme aussi avoir essayé de bétonner en amont. «La consultation juridique pour valider le projet n'a rien constaté de plus que ce que font toutes les chaînes depuis des années, explique Mike Le Bas, directeur adjoint des programmes à M6. De plus, Marc Lesggy (présentateur et producteur de l'émission, ndlr) avait fait une démarche pour avoir une entrevue auprès du conseil national de l'Ordre. On lui a seulement renvoyé une lettre avec des extraits du code de déontologie.» Confortée par le courrier favorable du conseil de l'Ordre des Hauts-de-Seine, la chaîne estime donc avoir pris ses «précautions».

Quant aux professionnels de la nutrition, ils semblent partagés. Fin janvier, 42 d'entre eux, sous la houlette du Pr Arnaud Basdevant (Hôtel-Dieu), avaient signé un texte cinglant dans le Monde. Le médiatique Jacques Fricker, qui est intervenu deux fois dans l'émission, est évidemment plus mesuré. Tout en soulignant quelques faiblesses (notamment sur le choix de patients dont le surpoids n'est que modeste), il estime que «ce n'est pas une mauvaise idée de montrer différentes approches de ces problèmes et de susciter le débat». Le conseil de l'Ordre de Paris devait se prononcer hier soir sur le sort des 4 médecins relevant de sa juridiction. Quelle que soit la décision, les instances ordinales ne pourront plus faire l'économie d'une réflexion de fond sur la question.

(1) Il y a également un chirurgien plasticien, une nutritionniste, un médecin du sport et deux généralistes.

 

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