• LE MONDE | 11.03.03 |
12h59 Quand le "New York Times" dit "non" à la guerre Dans la lignée de son
combat contre la guerre du Vietnam, le grand quotidien new-yorkais
s'oppose à l'invasion de l'Irak décidée par le président Bush. Il juge
"l'objectif fumeux" et "fondé sur des bases discutables". Dans l'atmosphère de ferveur patriotique et de bellicisme dans laquelle les Etats-Unis se trouvent plongés, l'unanimisme que s'efforce de bâtir autour de lui le président Bush vient d'être battu en brèche par le New York Times. Cette institution de la presse américaine a pris position publiquement contre la guerre en Irak. Et ce avec des arguments que ne désavoueraient pas les dirigeants français. "Nous pensons qu'il existe une meilleure option -que la guerre-, qui implique des inspections de longue durée et approfondies. Mais, comme tout le monde en Amérique, nous pensons que la fenêtre est en train de se fermer. Mais si l'on en revient à un choix entre dire oui ou non à une invasion dépourvue de soutien international élargi, notre réponse est non", éditorialise le quotidien new-yorkais. S'il ne cache pas ses sentiments d'hostilité envers Saddam Hussein, il rend largement responsable de l'impasse actuelle son propre président, George W. Bush. "S'il avait géré la confrontation avec l'Irak d'une manière plus mesurée, il serait aujourd'hui dans une position qui lui permettrait de rallier l'ONU derrière un programme d'inspections plus musclé, de crier victoire et de ramener la plupart de ses troupes à la maison." Ce n'est malheureusement pas ce qui s'est produit, "Bush a changé à plusieurs reprises de raisons pour l'invasion", "il s'est enfoncé dans une impasse dans laquelle l'unique alternative visible pour l'administration est la guerre ou une retraite impensable". L'argumentation présidentielle semble peu crédible. S'il "existe des circonstances dans lesquelles le président devrait agir militairement, quoi que puisse en dire le Conseil de sécurité", ce n'est pas le cas actuellement. L'Amérique n'est pas attaquée, aucun lien sérieux n'a pu être établi entre Bagdad et Al-Qaida, et "les pays ne sont pas supposés lancer des invasions sur la base de pressentiments ou de renseignements fragmentaires". Et si le refus de l'Irak de désarmer pourrait justifier une réaction militaire, "ce n'est pas une bonne raison alors même que l'ONU estime que le désarmement est en cours et que les inspecteurs peuvent travailler". Le journal rappelle l'importance des Nations unies : "A long terme, l'Amérique a besoin d'une institution internationale forte pour maintenir la paix et désamorcer les tensions dans une douzaine de points de crise potentielle à travers le monde. Elle a besoin du soutien de ses alliés, en particulier d'Etats menacés, comme le Pakistan, pour mener la guerre contre le terrorisme. Et elle doit démontrer par l'exemple qu'il existe des règles qui s'appliquent à tous, une des plus importantes étant que l'on n'envahit pas un autre pays sans les raisons les plus graves. Quand l'objectif est fumeux, ou fondé sur des bases discutables, il est temps de s'arrêter et de chercher d'autres méthodes, moins extrêmes, pour parvenir à ses fins". "ACTE D'HYGIÈNE GLOBAL" L'argument est sans appel, même si le Times reconnaît que reculer n'est plus guère possible pour la Maison Blanche. "Etant donné l'impasse dans laquelle Bush s'est fourré, retirer ses troupes – même si d'importants effectifs demeuraient sur place – serait reconnaître son échec". Et l'on ne voit guère un président si conscient de sa mission quasi divine s'y résoudre de son plein gré. Le New York Times se souvient aussi du temps où, avec le Washington Post, il s'opposait vigoureusement à la guerre du Vietnam quand il écrit : "Si les Etats-Unis ignorent le Conseil de sécurité et attaquent de leur propre chef, la première victime du conflit sera l'ONU. Ce scénario rappelle cette formule de l'époque du Vietnam où l'on disait que l'Amérique devait détruire un village pour le sauver." Aujourd'hui, le Times, qui s'était illustré en publiant les "Dossiers du Pentagone", est opposé à la guerre, le Post, qui avait révélé le scandale du Watergate – mais qui a adopté depuis le 11 septembre une ligne proche de celle de l'administration –, a pris position pour l'invasion dans un éditorial sur "Le moment de vérité". Quant au Wall Street Journal, depuis le début favorable au conflit, il proclame que "se débarrasser de Saddam -est- un acte d'hygiène global". Patrice de Beer |
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