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• LE MONDE TELEVISION | 07.03.03 | 14h02

par Daniel Schneidermann

Parole contre parole
Par Daniel Schneidermann

enfin !

Enfin des réponses des accusés, des réponses en longueur que l'on peut lire, écouter, relire, comparer, confronter aux accusations du livre. Enfin, plus de quinze jours après le début du séisme, la direction attaquée investit à son tour les médias, et multiplie les interventions. D'abord, relevées sur trois pages du Monde, il y a toute une collection d'approximations et d'erreurs. Minutieuse certes, convaincante à la lecture, mais qui ne saurait constituer qu'un hors-d'œuvre. Précisément, Edwy Plenel s'explique sur France 3. Quant au trio dirigeant tout entier, Colombani, Plenel et Minc, il fait face à la même heure à Guillaume Durand sur France 2, dans un parfait alignement. Feu sur Péan et Cohen ! Et feu sur l'autre Durand (Claude, l'éditeur), qui a commis sa première bourde en déclarant (au Point) que le livre avait pour but de "donner un coup d'arrêt au pouvoir que s'arrogent les journalistes". Nourrie, pugnace, mais tardive, la contre-offensive suffira-t-elle à effacer le souffle du Péan-Cohen ? Ce n'est pas certain.

Il est à craindre qu'à l'impression initiale de sidération et de dérobade vienne s'ajouter une certaine confusion. Et d'autant plus que, d'un média à l'autre, les explications fournies par la direction du journal ne sont pas toujours parfaitement cohérentes. Ainsi, à propos de "la" fameuse facture envoyée aux NMPP par Le Monde : "Ce serait choquant, si c'était vrai", s'exclame Edwy Plenel, face à Laurence Bobillier de France 3. Ah ? C'est donc faux ? On est prié de le déduire tout seul. Mais alors pourquoi les NMPP sont-elles en crise ? "Il y a une crise aux NMPP, parce qu'il y a des gens qui veulent faire éclater ce système à leur profit", ajoute-t-il. Soit. Mais quelques heures plus tôt, en lisant dans les colonnes du Monde sous la plume de Dominique Alduy, directeur général, que "les travaux menés à la demande des NMPP par Le Monde ont été valorisés par la direction générale des NMPP et ont fait l'objet d'une remise de documents et d'une facturation de 1 million de francs pour prestations réelles, constatées et confirmées", ne fallait-il pas comprendre que l'existence de la fameuse facture était au contraire confirmée ?

Comment se sortir de la nasse ? D'abord en parlant à nos lecteurs en français, et pas en novlangue. Et puis, c'est tout simple : en pratiquant la plus grande transparence possible. "Patrice Bergougnoux et Olivier Schrameck pourraient en témoigner", s'exclame par exemple Edwy Plenel, en démentant être intervenu en faveur de la nomination du premier à un haut poste policier, intervention qui lui est prêtée ces jours-ci sur toutes les ondes par l'ancien ministre Claude Allègre. Mais s'ils "pourraient en témoigner", pourquoi ne l'ont-ils pas déjà fait dans les colonnes du Monde ? Evidemment, nous avons ici davantage envie de croire nos dirigeants, plutôt que le duo de producteurs en série d'erreurs de dates et de prénoms. Evidemment, quand Plenel assure (au Point), qu'il n'a jamais été "ni le conseiller occulte ni le fabricant d'un quelconque journal" du syndicat policier de Deleplace, nous avons envie de le croire. Mais le réflexe – et le devoir – d'un journaliste est de ne croire personne, pas même son chef. Les survivants de cette époque lointaine sont-ils si difficiles à retrouver, et à interroger ? Fût-ce sur un seul point, en rester au "parole contre parole", ma version contre la tienne, une émission Colombani-Plenel répondant à une émission Péan-Cohen, serait précisément ce recul du journalisme que semble souhaiter Claude Durand. C'est justement quand on est "parole contre parole", que commence l'investigation, contradictoire, fouillée et indépendante, qui devra bien un jour ou l'autre, sur ce sujet précisément, trouver sa place ici et ailleurs. " On pourrait investiguer sur Le Monde, assure Plenel sur France 3, mais avec les règles de notre métier." Qu'attendons-nous ? Ne serait-ce que pour une raison : si nous ne le faisons pas ici, les autres ne se priveront pas de le faire à notre place. Les autres ? Les concurrents bien sûr, et ce sera de bonne guerre, mais surtout la déferlante de livres-brûlots qui ne vont pas manquer, dans les mois et les années qui viennent, d'exploiter le riche filon découvert par Péan et Cohen.

• ARTICLE PARU DANS L'EDITION DU 08.03.03

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