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La création d'une "CNN à la française" accélérée
LE MONDE | 24.03.03 | 13h46
Les offres pour la "chaîne d'information internationale en français" souhaitée par Jacques Chirac doivent être remises au gouvernement le 22  avril, pour permettre un démarrage à l'antenne en 2004.

Dans un contexte diplomatique de plus en plus difficile pour la France, l'absence de chaîne d'information internationale capable d'étayer la position des "antiguerre" au fil des manœuvres militaires des Américains en Irak n'a jamais été ressentie de façon aussi cruciale.

Le pays paraît, cette fois, décidé à se doter d'une chaîne de télévision qui, sans être gouvernementale, puisse faire connaître au monde le point de vue français sur la situation internationale. C'est, en tout cas, à marche forcée que l'on travaille désormais à la "grande chaîne d'information internationale en français capable de rivaliser avec la BBC ou CNN" voulue avec une "détermination de plus en plus pressante", dit-on au sein des chaînes, par le président de la République, Jacques Chirac, depuis qu'il en a parlé la première fois, le 12 février 2002 devant le Haut Conseil à la francophonie.

Le groupe de travail confidentiel installé depuis la fin de l'année à Matignon, et qui réunit des représentants du Quai d'Orsay, du ministère de la culture et de la communication mais aussi des professionnels de la télévision, a lancé, mercredi 19 mars, un "appel à projets" en vue de la création de cette chaîne. Le cahier des charges, rédigé sur trois pages, est censé cadrer les schémas, trop flous à ce jour, que pourraient proposer les postulants publics comme privés.

France Télévisions, associée à RFI, RFO, Arte, TV5 et CFI, et l'AFP, est sur les rangs. Comme le groupe TF1 qui souhaite, depuis quelques mois, internationaliser sa chaîne d'information LCI à condition de recevoir quelque subside de l'Etat. Le calendrier est serré : les offres remises au gouvernement le 22 avril, devraient permettre un démarrage à l'antenne "au cours de l'année 2004".

Formulé "sans idée préconçue ni enveloppe budgétaire", dit-on dans l'entourage du premier ministre, le texte de la consultation détaille pour la première fois les contours stratégiques du futur projet. Le gouvernement déclare, par ce biais, son intention diplomatique de viser "prioritairement le monde arabe, l'Afrique et l'Europe", la chaîne devant, de façon avouée, "contribuer à une stratégie durable d'influence de la France dans le monde".

Centrée sur le traitement de l'actualité internationale quotidienne, la "CNN à la française", comme on l'appelle désormais, devra être diffusée sur tous les modes possibles (hertzien, satellitaire, Internet...) en français, mais des "versions en anglais, arabe et espagnol seront également envisagées". L'objectif est d'intéresser un large public tout en ciblant prioritairement "les décideurs politiques, économiques et culturels", les "jeunes adultes" devant, eux, "faire l'objet d'une attention particulière".

La décision fait boule de neige. D'ici huit jours, Philippe Baudillon, l'ancien directeur de Canal France International (CFI), devrait remettre à Dominique de Villepin, ministre des affaires étrangères, un rapport "méthodologique". Et la mission d'information parlementaire présidée par le député François Rochebloine (UDF, Loire), contrainte de resserrer son calendrier, prévoit – à condition de maintenir son rythme bihebdomadaire d'auditions – de présenter un rapport d'étape vers le 15 mai. Susceptible d'influencer le choix du président.

La brutale accélération des travaux qui avançaient jusqu'ici en ordre dispersé – les députés n'ont pas eu pendant plusieurs mois connaissance de l'existence de la cellule gouvernementale – doit permettre à la future chaîne d'information d'être dotée d'un budget par la loi de finances 2004. Au cas où ce calendrier, jugé "assez irréaliste" par certains, serait respecté, le président de la République pourrait ainsi annoncer la création de la "CNN à la française" en juillet.

Depuis le début de l'offensive de l'US Army, jeudi 20 mars, les images mettant en scène la "coalition" américaine ou les officiels irakiens occupent les écrans. Point de contrepoids aux belligérants.

La bataille internationale des images a commencé lors de la guerre du Golfe en 1991 avec la montée en force de CNN, mais sans la France. La raison ? Des querelles entre les ministères, des freins budgétaires et des rivalités personnelles entre les "porteurs de projets" n'avaient jusqu'ici jamais permis de concrétiser le projet de chaîne d'information internationale, coincé dans les cartons des gouvernements depuis 1989.

Aujourd'hui les forces semblent, enfin, vouloir se joindre pour combler le retard. Depuis une quinzaine de jours, un schéma opérationnel d'un nouveau type semble se dessiner. Il s'agirait – mais seules des discussions préliminaires ont eu lieu la semaine dernière – de créer la nouvelle chaîne sur la base d'une organisation "mixte" rassemblant les opérateurs publics, autour de France Télévisions, et le groupe TF1.

Lors de leur audition commune devant la mission parlementaire, le 12 février 2003, Ghislain Achard, le directeur général délégué de France Télévisions, Serge Adda, le PDG de TV5 et CFI, et Jean-Paul Cluzel, PDG de Radio France International, avaient annoncé avoir "décidé de coopérer et de présenter un projet commun". "Il semble que nos compétences, nos forces sont complémentaires", avait déclaré M. Achard. "Il conviendrait d'imaginer une ouverture sur le secteur privé qui offre de très bonnes images et qui ne doit pas être écarté", a dit M. Adda.

Le gouvernement semble assez réceptif aux appels du pied faits par Jean-Claude Dassier, directeur général de LCI, et Etienne Mougeotte, vice-président de TF1. Les raisons sont financières et politiques. "Pourquoi ne pas créer une société à 50-50 qui recevrait LCI en location ?, milite M. Dassier. Autour du squelette de nos journaux, on ferait avec nos moyens conjoints avec TF1 et avec les ressources des équipes de rédaction du public une dizaine d'émissions nouvelles internationales."

A France Télévisions, on envisage pour l'instant de ne présenter qu'une offre 100 % publique, "tout en restant ouvert". A l'AFP, Jean de Boishue, un proche de Jacques Chirac, devait être nommé directeur général afin de mettre en œuvre le projet commun de "CNN à la française".

Reste la question budgétaire, une épine dans le talon du gouvernement soumis à de très fortes contraintes économiques. L'hypothèse basse qui suppose de recourir majoritairement à un opérateur privé tournerait autour de 25-30 millions d'euros par an. Mais "il faut être sérieux, rétorque M. Rochebloine, et se donner les moyens de pouvoir exister vraiment, surtout si la France prétend vouloir avoir une influence dans le monde". Pour lui, "la chaîne ne pourra pas naître à moins de 100 millions d'euros".

Florence Amalou


Plus de dix ans d'hésitations

1989 : Alain Decaux, secrétaire d'Etat à la francophonie, préconise la création d'une chaîne d'information internationale en français.

1990 à 1993 : la création d'une version internationale du flux d'information de France 2 est écartée à deux reprises.

Décembre 1996 : le président de RFI, Jean-Paul Cluzel, est mandaté par le ministre des affaires étrangères pour étudier la création d'une chaîne servant de "vitrine à la France".

25 février 1997 : création de Télé FI, holding qui doit grouper les chaînes de télévision à vocation internationale présidée par M. Cluzel.

Mai 1997 : le projet Télé FI est abandonné.

Avril 1998 : le ministre des affaires étrangères annonce qu'un "grand journal d'information international sera diffusé quotidiennement par TV5 avec plusieurs versions sous-titrées (anglais et espagnol)". Ce journal conçu par France 2 est diffusé entre mars et août, puis stoppé.

Février 2002 : Jacques Chirac plaide pour la création d'une "grande chaîne d'information internationale en français capable de rivaliser avec la BBC ou CNN".

Janvier 2003 : la Cour des comptes fait un diagnostic sévère sur les actions menées depuis dix ans "en ordre dispersé".

ARTICLE PARU DANS L'EDITION DU 25.03.03

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