Lemonde.fr

La profusion d'informations nourrit l'angoisse météorologique
LE MONDE | 25.03.03 | 13h30
La multiplication des bulletins "météo" et la création d'une chaîne dédiée à cette discipline devraient rassurer le public sur les aléas du temps. Pourtant, il n'en est rien.

Le 23 mars , Journée mondiale de la météo décidée par l'ONU. Du 21 au 25 mars, tenue à Paris du 13e Festival international de météorologie parrainé comme celui, prochain, de Zagreb, par l'Organisation météorologique mondiale. La météo est partout. Difficile de lui échapper.

Ici, comme ailleurs, elle a colonisé les médias, en particulier la télévision, dont les chaînes publient plusieurs bulletins par jour et qui, en 1996, a accueilli sur son réseau une chaîne spécialement dédiée à cette discipline.

D'ailleurs, aujourd'hui, "la météo est davantage regardée que le journal télévisé", constate Martin de La Soudière, ethnologue au Centre d'études transdisciplinaires sociologie, anthropologie, histoire (Cetsah) du CNRS. Faut-il s'en étonner ? Sans doute pas.

D'autant que les craintes liées au réchauffement climatique, souvent présenté  "en termes de fantasmes et de peur", contribuent, au nom de la curiosité, mais aussi bien sûr de l'anxiété, à capter le public.

"DES SAISONS SUR MESURE"

S'appuyant sur les résultats d'une étude consacrée aux relations homme-environnement dans le milieu agricole, et plus particulièrement centrée sur les populations du Massif central, Martin de La Soudière a pu démontrer l'importance que "le temps qu'il fait" avait pris dans notre société.

En cinquante ans, estime-t-il, le rapport de la population française à la météo a profondément changé car la France est passée d'une économie principalement agricole à une économie industrialisée.

L'intérêt pour la météorologique, centré à l'origine sur les cultures, s'est progressivement déplacé vers des problèmes de confort et de bien-être.

"Le souci, commente le chercheur dans son ouvrage Au bonheur des saisons – Voyage au pays de la météo (Grasset), a changé d'objet, mais il est toujours présent et est exacerbé par la mondialisation de la météo". Avec pour conséquence une moindre tolérance aux aléas "saisonniers et climatiques". On souhaite "des saisons sur mesure ainsi que des saisons qui fassent honneur au calendrier, avec de vrais hivers, de vrais étés et de vrais automnes", remarque Martin de La Soudière.

Parallèlement s'est développée une "hyper-attention au temps qu'il fait", qui s'est construite sur les inondations catastrophiques de Vaison-la-Romaine (1992), de la Somme (2001) et de Sommières (2002) et sur les ravages que les tempêtes Lothar et Martin ont faits en décembre 1999. Ces événements "ont engendré une anxiété collective, une crainte diffuse, nourries par une violence climatique qui semble récente. Cette idée de quelque chose qui se détraque nourrit d'autres peurs", affirme Martin de La Soudière.

Des peurs d'autant plus fortes "qu'elles cristallisent l'angoisse de la société" et "qu'il est impossible de maîtriser le climat" et les effets de ses changements. Au XIXe et pendant une partie du XXe siècle, le déboisement fut ainsi tenu pour responsable des changements de temps. Puis la TSF et la bombe. Dans le passé, le "petit âge glaciaire", bien réel celui-là, qui a duré de 1450 à 1850 et a connu son maximum au XVIIsiècle, a été très durement ressenti par les populations en raison notamment de la terrible famine qu'il a provoquée en 1693.

Dans la perception des phénomènes météorologiques, on constate "une coupure entre l'Antiquité et le XVIIIe siècle", note Martin de La Soudière. Au Ve siècle avant notre ère, Hippocrate préconisait dans Des airs, des eaux et des lieux d'orienter l'habitation en fonction de la météorologie.

Au Moyen Age, ce conseil n'est plus suivi. Mais il est à nouveau d'actualité aux XVIIe et XVIIIe siècles, qui retrouvent un certain goût pour le climat. Un intérêt nourri par l'avènement de la météorologie scientifique et par l'émergence d'un courant médical hygiéniste qui prône le bon air et un environnement sain. Ce courant est d'ailleurs à l'origine des cures thermales et de l'héliothérapie.

UN INTÉRÊT UNIVERSEL

Pendant cette période de renouveau, s'est aussi développé, sous l'impulsion de Jean-Jacques Rousseau puis des romantiques, un fort courant littéraire et pictural mariant les phénomènes atmosphériques et ceux de l'âme. "Le temps qu'il fait attire irrésistiblement l'écriture", insiste Martin de La Soudière, qui est frappé par le fait que de nombreuses personnes le notent sur leur journal intime. Beaucoup de dictons sont également liés à la météo.

Mais une étude approfondie a montré, précise le chercheur, qu'ils ne sont pas aussi anciens qu'on pourrait le penser. Liés à l'invention de l'imprimerie et aux colporteurs, ils sont apparus à partir du XVIe siècle et reproduisent en réalité de vieux dictons ou des propos répétés depuis des générations.

Une chose est sûre : l'intérêt porté aux conditions climatiques est universel, même s'il ne se traduit pas de la même manière sous les tropiques, dans les régions arctiques ou dans nos contrées tempérées. Sous nos latitudes, l'attention des Français pour le temps qu'il fait ou qu'il va faire tient peut-être à la forte variabilité naturelle de notre pays, soumis aux effets de trois types de climat : océanique, continental et méditerranéen.

Il existe cependant une différence de perception à ce sujet entre les pays latins (France, Espagne, Italie) et les pays anglo-saxons et germaniques. Chez les premiers, la population a plutôt tendance à critiquer les météorologues "qui se trompent tout le temps" et leur demande d'affiner de plus en plus leurs prévisions. Tandis que chez les seconds, le crédit des météorologues est beaucoup plus fort et la météorologie beaucoup moins médiatisée, parce que, peut-être, leur rapport à la science est différent et marqué par un plus grand respect.

Christiane Galus

ARTICLE PARU DANS L'EDITION DU 26.03.03

Droits de reproduction et de diffusion réservés © Le Monde 2003
Usage strictement personnel. L'utilisateur du site reconnaît avoir pris connaissance de la licence de droits d'usage, en accepter et en respecter les dispositions.
Politique de confidentialité du site.
Besoin d'aide ? faq.lemonde.fr