b>Voici la première
version –avant modifications- de la chronique de Daniel Schneidermann
pour Le Monde Radio-Télévision du vendredi 7 mars, daté samedi 8
mars
ENFIN ! Enfin des réponses des accusés, de vraies
réponses que l’on peut lire, écouter, relire, méditer, confronter aux
accusations. Enfin, sur trois pages, toute une impressionnante collection
d’inexactitudes et d’approximations relevées dans le livre de Pierre Péan et
Philippe Cohen. Enfin, plus de quinze jours après le début du séisme, la
direction attaquée investit à son tour les médias, et multiplie les
interventions. Il est trop tôt, à l’heure où nous bouclons cette chronique
(jeudi en début d’après-midi, les trois pages rapidement lues), pour savoir si
l’impact de cette minutieuse contre-attaque effacera des mémoires les images du
souffle Péan-Cohen. Mais on peut craindre que subsiste une impression initiale
de sidération, et de dérobade. Ces images d’Edwy Plenel au « Vrai Journal » de
Canal Plus, par exemple. Non, il n’accorderait pas d’interview ; oui, il se
consacrait à sa défense judiciaire. « Dans l’adversité, la famille c’est
toujours bien. Ca console », lâche-t-il, filmé en caméra cachée (une caméra
cachée dans les couloirs du Monde ! Sacrilège passé presque inaperçu dans la
tourmente). « Même trente secondes ? », insiste le reporter. « Non, je vous
fuis. » Et les images d’archives de défiler. Plenel jeune, Plenel moins jeune,
Plenel aujourd’hui. Parmi les images d’archives de Canal Plus qui illustrent
la carrière de Plenel, celle du fameux Bernard Deleplace, syndicaliste policier
des années 1980, que cette affaire fait resurgir des oubliettes. Le Plenel de la
période Deleplace, le signataire de ces lignes l’a côtoyé. Il traversait en
trombe notre bureau des reporters, rue des Italiens, son papier à la main, pour
faire irruption dans le bureau des chefs, sur le coup de 10 h 30, toujours à la
limite de l’heure du bouclage (fatidique heure de bouclage, hier comme
aujourd’hui). On ne savait jamais s’il avait enquêté jusqu’à la dernière
seconde, ou s’il s’agissait d’une ruse plenélienne pour éviter que l’article
soit relu de trop près par les chefs. Les chefs tempêtaient, mais publiaient le
papier. Pas le choix. L’investigation n’attend pas. Quand Plenel traversait
ainsi le bureau en trombe, l’œil fiévreux, c’était généralement parce qu’il
tenait une interview de Bernard Deleplace. Ou une tribune libre de Bernard
Deleplace. Ou le compte-rendu d’un congrès policier de Deleplace. Les reporters
protestaient. Non qu’ils sousçonnassent quelque obscure turpitude, mais pour des
raisons plus pragmatiques : les comptes-rendus des activités deleplaciennes leur
en prenaient, à eux, de la place, dans les colonnes forcément limitées du
journal. Et nous voilà, aujourd’hui, écoutant Plenel raconter (au Point) ce «
coup de foudre d’amitié ». « Bernard Deleplace est devenu un ami. C’est une
exception dans mon parcours professionnel que j’assume. Est-ce que cette amitié
m’a amené à faire des choses déontologiquement inadmissibles ? Non. Je n’ai
jamais été ni le conseiller occulte ni le fabricant d’un quelconque journal de
ce syndicat de police. » Evidemment, nous avons envie de le croire, et même
davantage que le duo de producteurs en série d’erreurs de dates et de prénoms.
Mais, sans préjuger de la contre-contre-offensive, qui ne saurait tarder,
rappelons ici une conviction de principe. En rester, fût-ce sur une seul point
du livre, au « parole contre parole », ma version contre la tienne, serait une
défaite du journalisme. C’est justement quand on est « parole contre parole »
que commence l’enquête d’investigation, contradictoire, fouillée et
indépendante, qui devra un jour ou l’autre trouver sa place dans ce journal. Ne
serait-ce que pour une raison : si nous ne le faisons pas nous-mêmes, les autres
ne se priveront pas de le faire à notre place, dans le collection de livres
brûlots qui vont sans nul doute investir le filon découvert. D.S