Lemonde.fr

Les 75es Oscars, grand soir du front antiguerre
LE MONDE | 24.03.03 | 13h13     MIS A JOUR LE 25.03.03 | 02h03
Défections, badges, discours militants : malgré un dispositif rigoureux, la cérémonie a servi de tribune dimanche aux opposants à la guerre en Irak.

Los Angeles de notre correspondante

Pendant la guerre, le spectacle des Oscars continue. "L'Académie remercie Roman Polanski et accepte cet Oscar pour lui", lance simplement Harrison Ford, annonçant le prix du "meilleur réalisateur". La salle applaudit fortement, Martin Scorsese se lève, Jack Nicholson a l'air aux anges, on entend quelques huées... Roman Polanski, qui s'était reconnu coupable, en 1977, de "relations sexuelles illicites avec une mineure", n'est pas venu à Los Angeles de crainte d'être arrêté.

Quatre jours après l'attaque américaine sur l'Irak, la 75e cérémonie de remise des Academy Awards a bien eu lieu comme prévu, dimanche 23 mars, au Kodak Theatre de Los Angeles. Sur ABC, qui retransmet la cérémonie, le présentateur vedette Peter Jennings est apparu à deux reprises pour deux brefs bulletins d'information.

Les habits étaient plus discrets, les diamants presque absents, et les mesures de police draconiennes. Cinquante ans après sa première retransmission à la télévision, la cérémonie des Oscars est diffusée dans cent cinquante pays à des centaines de millions de téléspectateurs. Tradition hollywoodienne oblige, les organisateurs craignaient de voir leur spectacle se transformer en un vaste forum antiguerre. Officiellement par souci de retenue, le fameux tapis rouge avait été supprimé, ce qui, du même coup, évitait aux invités d'avoir à répondre aux questions des nombreux journalistes présents.

Tous les présentateurs s'en sont tenus au script, même la pacifiste Susan Sarandon, tout habillée de noir, qui présentait l'hommage aux disparus de l'année. On remarquait ici et là quelques "peace pins", ces nouveaux pins bleu et vert avec l'insigne de la paix : Rob Marshall, le réalisateur de Chicago, le portait au revers du veston, tout comme Tod Haynes, le réalisateur de Loin du paradis, Daniel Day-Lewis, Tim Robbins et Susan Sarandon ; Julianne Moore, splendide dans une robe bustier verte de Saint Laurent, l'avait accroché sur son sac. L'acteur Andy Serkis, qui incarne Golum dans Le Seigneur des anneaux, portait une pancarte sur laquelle on pouvait lire "No War".

NOMBREUX ABSENTS

A l'intérieur, on comptait les absents. Will Smith, qui devait remettre une statuette, ne s'est pas rendu à la cérémonie "par solidarité avec les braves hommes et femmes qui combattent en Irak". Les actrices Angelina Jolie, Cate Blanchett se sont désistées, ainsi que Peter Jackson, le réalisateur du Seigneur des anneaux, et Zhang Ziyi, vedette du film Hero. Matthew McConaughey a remplacé Jim Carrey, forfait.

Outre Roman Polanski, de nombreux lauréats étaient absents, tels Hayao Miyazaki, qui a remporté l'Oscar du meilleur dessin animé pour Spirited Away, Caroline Link, réalisatrice allemande de Nowhere in Africa, Oscar du meilleur film étranger, et Eminem, Oscar de la meilleure chanson (Lose Yourself dans 8 Mile).

Nommé dans la catégorie "Meilleur film étranger", Aki Kaurismãki, le réalisateur de L'Homme sans passé, avait prévenu qu'il ne viendrait pas à la cérémonie alors que "les Etats-Unis préparent un crime contre l'humanité pour de honteux intérêts économiques".

Après Nicole Kidman, qui ne put retenir ses larmes en recevant l'Oscar de la meilleure actrice pour son interprétation dans The Hours, de Stephen Daldry, ce fut à Adrien Brody de recevoir le prix du meilleur acteur pour son interprétation du Pianiste de Polanski. L'acteur a pris tout son temps et a même ordonné un imposant "Cut !" ("Coupez !") à l'orchestre qui tentait de l'interrompre. En larmes lui aussi, il dit : "Je reçois ce prix à un moment étrange. En tournant ce film, j'ai mieux pris conscience de la tristesse et de la déshumanisation des gens en temps de guerre, ainsi que de ses répercussions. (...) Que vous croyiez en Dieu ou en Allah (...), prions pour une résolution rapide du conflit."

Avant ou après lui, d'autres lauréats ont tenu à faire des allusions au conflit en Irak. Oscar du meilleur second rôle masculin pour son interprétation dans Adaptation,Chris Cooper a souhaité, "à tous, la paix". Plus explicite, Pedro Almodovar, Oscar du meilleur scénario pour Parle avec elle, a sorti de sa poche un petit papier, "même si c'est interdit", et a remercié "tous ceux qui élèvent la voix en faveur de la paix, du respect des droits de l'homme, de la démocratie et de la légalité internationale. Ce prix leur appartient, et à vous, car vous êtes les témoins de ce moment merveilleux dans ma vie".

"LE PAPE EST CONTRE VOUS"

Vint alors la "vedette" de cette cérémonie, Michael Moore, Oscar du meilleur documentaire pour Bowling for Columbine. Il n'a pas mâché ses mots. "Nous aimons documenter la réalité, mais nous vivons une époque fictive, avec des élections fictives, et un homme qui nous envoie à la guerre pour des raisons fictives ", a-t-il lancé, son Oscar à la main, sous un mélange nourri d'applaudissements et de sifflets. "Nous sommes contre cette guerre, monsieur Bush ! Honte à vous ! Le pape est contre vous, vous êtes fini." Au bout des 45 secondes réglementaires, l'orchestre a couvert Michael Moore.

A peine descendu de scène, Michael Moore a justifié devant la presse sa "sortie" contre celui qu'il appelle le "squatter" de la Maison Blanche. "Je suis un Américain, et on n'abandonne pas sa nationalité lorsque l'on pousse la porte du Théâtre Kodak, a expliqué le cinéaste.  Ce qui est magnifique dans ce pays, c'est que vous pouvez y dire ce que vous pensez." "Agiter la menace que Saddam Hussein va vous tuer ou me tuer ce soir, c'est ça la fiction. La réalité, c'est qu'ils -les Irakiens- disposent des deuxièmes réserves mondiales de pétrole", a encore dénoncé Michael Moore.

Au-delà de sa diatribe anti-Bush, le cinéaste s'est félicité de voir Hollywood "se lever et applaudir" son film, "qui parle de la façon dont nous sommes manipulés par la peur qui est agitée par la Maison Blanche ou par l'Amérique des grandes entreprises pour créer une culture de la violence, sur le territoire des Etats-Unis comme à l'étranger".

Le spectacle pouvait reprendre. Julie Andrews a eu droit à une standing ovation, tout comme Olivia De Havilland, royale en bleu à 86 ans, venue de Paris, ainsi que Peter O'Toole, qui recevait un Oscar d'honneur.

Samedi 22 mars, sur la plage de Santa Monica, la guerre en Irak était dans tous les esprits. Les indépendants remettaient leurs prix (les Independent Spirit Awards) à Far from Heaven (Loin du paradis) (meilleur film, meilleur réalisateur, meilleur rôle principal, meilleur second rôle). Bowling for Columbine était consacré meilleur documentaire, et Michael Moore commentait : "La leçon donnée cette semaine aux enfants de Columbine est que la violence est un moyen acceptable de résolution d'un conflit." Il ajoutait : "Si on a contre soi le pape et les Dixie Chicks, on ne peut pas faire long feu à la Maison Blanche."

Claudine Mulard (avec AFP)


Le palmarès

Meilleur film : Chicago.

Meilleur réalisateur : Roman Polanski (Le Pianiste).

Meilleur acteur : Adrien Brody (Le Pianiste).

Meilleure actrice : Nicole Kidman (The Hours).

Meilleur second rôle masculin : Chris Cooper (Adaptation).

Meilleur second rôle féminin : Catherine Zeta-Jones (Chicago).

Meilleur film en langue étrangère : Une enfance africaine (Caroline Link - Allemagne).

Meilleur film d'animation : Le Voyage de Chihiro (Hayao Miyazaki - Japon).

Meilleure chanson : Lose Yourself (du film 8 Mile, interprétée par Eminem).

Meilleur documentaire : Bowling for Columbine.

ARTICLE PARU DANS L'EDITION DU 25.03.03

Droits de reproduction et de diffusion réservés © Le Monde 2003
Usage strictement personnel. L'utilisateur du site reconnaît avoir pris connaissance de la licence de droits d'usage, en accepter et en respecter les dispositions.
Politique de confidentialité du site.
Besoin d'aide ? faq.lemonde.fr